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11 / 10 / 2010 | 2 vues
Didier Cozin / Membre
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Le bouchon du DIF (Droit Individuel à la Formation)

 

 

 Autrefois, pour désigner le DIF, un consultant inventa le qualificatif de « bombe à retardement ». Le DIF serait cette machine infernale démoralisant les services formation et RH et qui exploserait logiquement en 2010.

Au final, sur le font du DIF tout semble calme et le dispositif du DIF n'est pas encore explosif. Nombre d’acteurs de la formation vont une nouvelle fois s’en féliciter : le DIF sera comme le bug de l’an 2000, c’est un faux problème, une trouvaille médiatique ou cosmétique, les gens du peuple n’aiment pas la formation….

La greffe formation tout au long de la vie n’a pas encore pris en France car l’immense majorité des salariés ne connaissent pas le DIF ou ne savent pas le mettre en œuvre. Les cassandres auront encore provisoirement eu raison en 2010.

Revenons tout de même dix ans en arrière: Que s’est-il réellement passé entre les années 2000 et 2003 dans le domaine de l’apprenance au travail ?

Après moult rapports et études dénonçant l’inefficacité sociale d’une formation professionnelle au seul service des plus qualifiés, les partenaires sociaux  entreprirent dans une belle (mais trompeuse) unanimité de dynamiter la formation professionnelle continue en dotant chaque salarié d’un capital  universel, cumulable et généralisé de 20 h de formation par an.  A l’instar des congés payés de 1936, il s’agissait de forcer la main d’un monde du travail aveuglé par le court terme tout en permettant à chaque salarié de s’approprier un avenir professionnel via sa formation.

La Formation devait redonner à chacun l’opportunité de construire sa professionnalisation.

Le calcul (assez malin) des partenaires sociaux était le suivant : face à un système bloqué et verrouillé  nous ouvrons une brèche en offrant à chaque salarié un capital formation de 20 heures par an. La réforme était judicieuse  et ambitieuse : on ne formerait pas le peuple contre son gré (on connaît les piètres résultats de la contrainte éducative), on lui offrait simplement les moyens de s’émanciper.

Malheureusement il y a loin de la coupe aux lèvres et si tous les partenaires sociaux  signèrent cet ANI de septembre 2003, ils eurent le grand tort de ne pas doter le DIF d’un régime de financement ad hoc (mais le consensus restait introuvable sur ce point).

Le compte formation était donc cumulable sur six années (horizon européen de 2010) et cette extraordinaire « capability » en formation, ce capital individuel et collectif cumulé année après année devait bien parvenir à faire sauter les blocages, bouchons et corporatismes hexagonaux. Ces fameux blocages  (désignés par le Sénat en 2007 par 3 C -Cloisonnement, Corporatisme et Complexité) ne pourraient résister à une pression constante et annuelle de 200 millions d’heures de DIF.

En cette fin d’année 2010 le monde du travail est donc confronté à un formidable enjeu social, organisationnel et financier (les 35 heures ou la cinquième semaine de congés n’étaient pas cumulables). Le DIF, dispositif phare de la réforme de la formation, va très certainement monter en  pression car

·         Le temps nécessaire pour qu’il soit connu, approprié et au final réclamé est désormais écoulé,

·         Le  milliard d’heures de DIF cumulées depuis 2004 obère les services RH et les comptes des grandes entreprises (une grande entreprise publique nous confiait récemment que sa dette DIF dépassait les 700 millions d’€),

·         Le  probable  provisionnement du DIF le rendra insupportable économiquement  (relire à ce sujet le petit encart dans la Loi de novembre 2009 en tête de la section consacrée au DIF), 

·         La nouvelle Loi formation de 2009 installe définitivement le DIF dans le paysage de la formation en le rendant portable et jamais éteint (sauf lors du départ à la retraite),

·         La crise économique interpelle et interroge nombre de positions ou de certitudes professionnelles,

·         De nouveaux besoins professionnels émergent, les  travailleurs ne supportent plus d’être considérés comme de la main d’œuvre,

 

En 2011 sans doute les digues sauteront et il faudra refonder dans l’urgence une formation professionnelle inadaptée et imbue d’elle même. Les acteurs historiques ou majeurs de la formation de peur de chavirer leur organisation, n’ont pas anticipé ce futur proche, ils ont même parfois abandonné jusqu’à l’idée de déployer le DIF (« le DIF est un échec », « le DIF est maudit»..). Ils comprendront trop tard leur erreur. Le vent nouveau pourrait bien les emporter.

 Le besoin de comprendre le monde dans lequel on évolue, de sortir du carcan de la société industrielle, de redevenir  des travailleurs libres et autonomes (plus une masse d’hommes/robots conformistes et formatés pour une consommation de masse) ces besoins fondamentaux condamnent les anciennes organisations statiques.  Facebook  et Google vont éclipser à jamais Frederick Taylor et Karl Marx.

 La société de la connaissance et de l’information, portée par l’Internet, va réhabiliter les humanités, l’entreprenariat et la prise de risque. Elle implique que la connaissance, les compétences, les projets soient partagés, interrogés et reconstruits en permanence. Elle nous affranchira des dogmes du XX ème siècle (hérités eux-mêmes du XIX et de la grande industrie). La lutte du travail contre le capital est une scorie de l’histoire, le travail et la connaissance deviennent le capital (humain) de chaque salarié.

Les classifications et protections du XX ème siècle seront dépassées, plus aucun travailleur ne pourra revendiquer la propriété de son poste, de son statut ou même d’un patrimoine matériel (qui peut fondre lors d’une crise). Le seul patrimoine universel, pérenne, durable et dynamique restera l’intelligence et la connaissance.

Pour une société matérialiste et hédoniste qui s’était totalement investie et convertie  à la consommation de masse, cette inversion de valeurs sera sans doute traumatisante. Il va falloir que le peuple (ré)apprenne à compter, à évaluer,  à prévoir, à anticiper, à imaginer, à deviner.

Nous conjuguâmes durant tout un siècle le verbe avoir dans tous les modes et à tous les temps, il est temps de faire du verbe être notre futur auxiliaire.  

Didier Cozin

Auteur des ouvrages « Histoire de DIF » et «Reflex DIF »

 

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