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04 / 10 / 2010 | 72 vues
Didier Cozin / Membre
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La formation tout au long de la vie, 20 ans pour tout changer !

Depuis quelques mois, des voix s’élèvent pour dénoncer un prétendu échec français (et européen) de la stratégie de Lisbonne et de la formation tout au long de la vie, qui y est associée.

La stratégie de Lisbonne aurait fait pschitt et pour ces Cassandre européennes, le changement de modèle économique et social ne serait pas à l’ordre du jour.

Nous pensons que ces critiques se trompent grossièrement : elles n’ont pas compris que les mouvements éducatifs qui agitent la société sont des mouvements de fonds qui mettront encore des années pour changer notre paysage apprenant.

20 ans pour généraliser le plan de formation

Il avait fallu 20 ans (une génération) pour que les entreprises généralisent le plan de formation, il n’en faudra sans doute pas moins pour que la formation tout au long de la vie re-dessine le PFF (paysage de la formation française).

En 2020, notre système éducatif et de formation pourrait ne plus ressembler en rien à ce qu’il est aujourd’hui.

Reprenons le cours de cette histoire. En mars 2000, tous les pays de l’Union s’étaient engagés à faire de l’économie européenne.« L’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d'ici 2010. »

Trois ans après le sommet de Lisbonne, les partenaires sociaux signèrent un ANI ré-vo-lu-tionnaire (celui du 20 septembre 2003, relatif à l’accès des salariés à la formation tout au long de la vie professionnelle).

 

 

Dès l’introduction, le ton était donné : « Dans une économie de plus en plus ouverte sur le monde, les entreprises sont confrontées en permanence à la nécessité d’une adaptation maîtrisée à leur environnement. Le renouvellement accéléré des techniques de production et de distribution des biens et des services sollicite toujours davantage l’initiative et la compétence de chacun des salariés ; leurs aspirations à une meilleure maîtrise de leur évolution professionnelle nécessitent de renouveler les objectifs et les moyens de la formation professionnelle continue ».

Toutes les problématiques futures du travail et de la professionnalisation étaient contenues dans l’ANI.

  • L’économie de plus en plus ouverte sur le monde : nous sommes désormais en concurrence avec la terre entière. Cette concurrence ne s’exerce pas seulement au niveau des entreprises mais aussi à celui des individus. L’essor formidable des télécommunications, comme celui des transports, implique que désormais les marchandises, comme de nombreux services, peuvent être produits dans n’importe quelle partie du monde.
  • La nécessité permanente d’une adaptation maîtrisée à leur environnement : le changement est partout et s’accélère, aucune organisation ne peut plus être immobile ou se reposer sur ses marchés anciens ; les leaders d’aujourd’hui peuvent décrocher brutalement en l’espace de quelques mois.
  • Le renouvellement accéléré des techniques sollicite l’initiative et la compétence de chacun des salariés : une entreprise n’a pas seulement besoin d’une élite de travailleurs compétents, réactifs ou motivés, mais à tous les niveaux de son activité elle doit se renouveler, créer, inventer, compter sur l’investissement de tous ses travailleurs.
  • Leurs aspirations à une meilleure maîtrise de leur évolution professionnelle : il ne s’agit pas uniquement de s’adapter aux impératifs économiques du nouveau monde de l’information, mais bien aussi de ré-enchanter le travail et le lien salarial. Les travailleurs ne sont plus cette main-d’œuvre taillable et corvéable d’antan mais des hommes et des femmes qui aspirent à une vie épanouissante et riche d’évolutions et d’opportunités professionnelles.

Concluons cette relecture de l’ANI de 2003 par les quatre objectifs listés par les partenaires sociaux :

  • permettre à chaque salarié d’être acteur de son évolution professionnelle,
  • favoriser l’acquisition d’une qualification tout au long de sa vie professionnelle,
  • développer l’accès des salariés à des actions de formation professionnelle conduites tout au long de sa vie professionnelle,
  • accroître le volume des actions de formation dispensées au bénéfice des salariés.

L’objectif des partenaires sociaux ne faisait pas de doute : révolutionner la formation professionnelle en dotant chaque salarié d’une capacité à changer, évoluer et se former. Il s’agissait donc de ré-inventer la formation professionnelle continue avec une ambition encore supérieure à celle de 1971 (qui avait vu la création du plan de formation et du 1 % formation).

Face à cette ambition proclamée, que s’est-il passé durant 7 ans dans notre vieux pays ?
Rien encore, ou si peu !

  • Les branches professionnelles ont négocié et prudemment tenté d’acclimater l’ANI à leur secteur.
  • Les OPCA ont temporisé, laissant parfois à croire aux entreprises qu’ils étaient devenus leur assurance formation, les couvrant contre le risque d’une possible généralisation du DIF.
  • Les confédérations syndicales, toutes signataires des accords, ont finalement abandonné ce terrain qualitatif au profit d’autres combats plus traditionnels (comme celui les retraites).
  • Les grands groupes ont négocié de timides accords d’accès à la formation tout au long de la vie.
  • Les services RH et formation ont très vite oublié les conséquences financières, organisationnelles et sociales d’un DIF généralisé et capitalisable (mais dont l’échéance de 2010 semblait si lointaine).
  • La Cour des Comptes a fait tourner ses calculettes : « Si tous les salariés du secteur privé capitalisaient leurs heures pour ne les utiliser comme ils en ont la possibilité qu’au bout de six ans, la charge potentielle cumulée pour les entreprises atteindrait 77 milliards d’euros ».
  • Enfin, les salariés se sont interrogés ou ont attendu : le DIF est-ce pour moi ? Quelle formation demander ? À qui demander, comment, pourquoi me former ? Que se passe-t-il si on me refuse la formation ?...
Sept ans de stupeur et de tremblements ont donc frappé le monde du travail, effrayé par sa propre audace, mais toujours incapable d’en tirer des enseignements sur le terrain.

 

La France et les Français sont toujours très longs à changer (Voltaire le remarquait déjà 25 ans avant la révolution de 1789). Ils adoptent d’ambitieux programmes (la sécurité sociale, la reconstruction, divers plans de développement), mais se révèlent souvent incapables de réformer ou d’ajuster ce qui a été si laborieux et difficile à accoucher.

Aux antipodes des Asiatiques, qui s’adaptent sans cesse au terrain, améliorent et ajustent en permanence, les Français laissent « pourrir » la situation, puis traitent avec un remède de cheval un malade qui aurait pu se contenter d’une thérapie douce, s’il avait été traité à temps.

Corporatisme, complexité et cloisonnement


La formation professionnelle, raillée par le Sénateur Carle en 2007 avec ses 3 C (corporatisme, complexité et cloisonnement), cette formation tout juste quadragénaire risque de vivre, dès 2011, une de ces grandes vagues déferlantes dont notre pays a le secret.

  • Près d’1 milliard d’heures de DIF ont été capitalisées par les salariés (une grande entreprise publique nous confiait récemment le chiffre de 700 millions d’euros de dette formation).
  • Depuis 2007, 100 millions d’heures de DIF sont cumulées tous les ans par le secteur public sans réel développement (1 DIF pour 1 000 fonctionnaires en 2008 !).
  • La crise économique produit ses effets ravageurs et disqualifie des millions de travailleurs.
  • La formation professionnelle reste inadaptée et incapable d’accompagner ou de remettre à niveau les nombreux travailleurs en déshérence.
  • L’effet ciseaux de cette crise joue à plein dans de nombreux secteurs (des besoins sociaux qui explosent et des capacités de financement qui s’écroulent).
  • Les entreprises restent globalement déresponsabilisées quant au maintien de l’employabilité de leurs salariés.
  • Les jeunes sont souvent mal formés par l’éducation initiale et les entreprises ne veulent pas assumer le coût de leur professionnalisation (l’apprentissage concerne 10 fois moins de travailleurs en France qu’en Allemagne).
  • Les seniors sont abandonnés par les entreprises et ne peuvent trouver d’emploi après 50 ans.
  • Les pays émergeants concurrencent désormais un grand nombre de nos activités économiques (y compris celles à fortes valeurs ajoutées).



Arrêtons ici la litanie des maux français, ils sont connus de tous et même si le diagnostic semble partagé, un consensus est impossible entre des partisans du tout État qui lorgnent du côté de l’ex-URSS et les libéraux qui attendent tout du marché. La dette, comme l’a écrit Jacques Attali dans son avant-dernier ouvrage (tous ruinés dans 10 ans ?), est avant tout le produit de nos divisions. N’étant d’accord sur rien, nous empruntons sur tout pour éviter de traiter le patient.

 
Existerait-il donc en ce début du XXIème siècle une alternative à la formation tout au long de la vie, à la montée en qualification de chaque citoyen des pays européens ? Pouvons-nous envisager un retour à un passé militaire ou industriel (glorieux) du XIXème siècle ou à ces mythiques 30 glorieuses de l’après guerre ? La décennie 2010-2020 pourra-t-elle se construire sur d’autres bases que celles consignées par nos partenaires européens ? Avons-nous encore d’autres choix que :

  • d’améliorer l'équité dans l'éducation et la formation ?
  • de promouvoir l'efficacité dans l'éducation et la formation ?
  • de faire de l'éducation et de la formation tout au long de la vie une réalité ?
  • de moderniser l'enseignement et la formation professionnels (EFP) ?
  • de moderniser l'enseignement supérieur ?
  • de développer l’employabilité ?


Ces objectifs européens si difficiles à mettre en œuvre sont-ils de nature différente de ceux des lumières au XVIIIème siècle ou de Jules Ferry au XIXème ?

Vouloir enterrer l’« économie de la connaissance » en Europe, c'est aller vite en besogne et même si en cette fin d’année 2010 la surface de la formation continue semble encore lisse (ou à peine irisée), de puissants mouvements sous-marins sont en fait à l’œuvre et pourraient surprendre plus d’une organisation distraite, immobile ou simplement attentiste.

Si la décennie 2000-2010 fut celle de la construction du cadre et des dispositifs de formation tout au long de la vie, 2010-2020 verra sans doute le déploiement intégral de ce concept de formation tout au long de la vie, né de l’essor des télécommunications, d'internet, des médias sociaux et d’une accélération de l’histoire.

La formation tout au long de la vie n’est pas ce phantasme de technocrate européen que d’aucuns dénoncent, ou encore ce complot imaginaire destiné à faire plonger le peuple dans une « jungle libérale ». Non, la formation tout au long de la vie est la seule occasion pour notre pays de rester un acteur important dans la course mondiale à l’intelligence et à l’innovation.

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Bonjour,

 

Les articles publiés sur la formation professionnelle ont un certain succès ce dont je me félicite (et qui à vrai dire m'étonne un peu) !

 Cela étant, je profite de l'occasion pour signaler cet arrêt de la Cour de Cassation du 21 septembre dernier (http://tiny.cc/h39e3).

Il s'agit d'un  arrêt est  un peu ambigu sur certains points mais  les magistrats semblent vouloir "muscler" un peu plus le régime juridique du plan de formation ce qui n'est pas sans susciter certaines réactions :

 http://tiny.cc/87sv2