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09 / 12 / 2009 | 12 vues
Christian Kostrubala / Membre
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L’open-space fait sa loi : le diktat des espaces ouverts et de la standardisation.

Christian Kostrubala, directeur de la publication et Xavier Baron, sociologue intervenant, réagissent ensemble au phénomène de généralisation des open-spaces et de standardisation des bureaux. Ou quand les sciences sociales interrogent l’expérience de terrain…

La généralisation des open-space, signifie-t-elle que la configuration traditionnelle des bureaux n’est plus adaptée au travail que l’on y fait ?

Xavier Baron : Alors que l’espace de travail devrait être pensé en fonction des besoins, il est plus souvent déterminé par des contraintes économiques. C’est pourtant un calcul insuffisant, puisque l’environnement de travail influe sur la performance du collaborateur.

Alors pourquoi les espaces sont-ils standardisés ?

Christian Kostrubala : Il s’agit de rentabiliser l’investissement immobilier, qui n’est pas conçu pour une entreprise particulière, mais destiné à une location par une entreprise pendant  en moyenne 7 ou 8 ans. Ce sont donc 4 ou 5 utilisateurs qui devront s’adapter au même espace. Dans ce contexte, non seulement la standardisation s’impose, mais l’ouverture des espaces semble la plus pertinente. Elle permet de rentabiliser l’occupation des surfaces et d’optimiser les coûts énergétiques (en optimisant l’éclairage naturel, l’isolation thermique, etc). De même que Microsoft détermine largement l’ergonomie du travail intellectuel avec Windows, ce sont des standards mondiaux d’investissements et de coûts qui imposent partout des bureaux ouverts.

Les transformations spatiales sont-elles liées aux nouveaux modes de travail ?

C.K. : Le modèle traditionnel de l’entreprise était statutaire. Il est aujourd’hui trop rigide pour les nouvelles organisations souples qui se développent en réseaux, en favorisant l’individuel et le court terme. Il s’agit donc d’être réactif et adaptable. L’idée que relayent les entreprises est alors que les bureaux standards et ouverts permettent de recevoir le flux de ces nouveaux collaborateurs mobiles et aux compétences très spécialisées.

Les bureaux ouverts sont-ils vraiment plus fonctionnels pour les collaborateurs, ou est-ce seulement profitable à l’entreprise ?

X.B. : Il est difficile de mesurer les effets de l’environnement de travail sur la performance des salariés car le produit du travail se mesure de plus en plus difficilement sur un mode quantitatif. Il est devenu principalement relationnel, informationnel et « serviciel », donc immatériel. En revanche, on peut très bien chiffrer la réduction des coûts mobiliers et des coûts de fonctionnement que permet la mise en place d’espaces ouverts. Cet argument est suffisant pour les entreprises, qui cherchent à persuader leurs collaborateurs que ces aménagements sont aussi profitables pour eux car « ils favorisent la communication » par exemple. Mais si la proximité est un avantage pour la coopération et les échanges, la promiscuité est néfaste. Il faut savoir limiter les risques d’une densification excessive et d’une dépersonnalisation humiliante. Ce qui est en jeu n’est certainement pas de recréer l’illusion d’un luxe apparent dans une customisation des open spaces. Il n’est pas de singer maladroitement l’environnement domestique avec un canapé par étage, des pseudos lounges, des cuisines et des fausses cheminées...

C.K. : Des études ont montrés le rôle déterminant  de l'architecture intérieure sur les processus psychosociaux : l'individu dans un endroit communautaire (le foyer familial, l’école, le travail) doit pouvoir bénéficier d'un lieu personnel, où il peut se retirer. L’open-space et la densification excessive peuvent alors nuire à l’homme car ils engendrent une promiscuité qui aggrave le stress. Il est au contraire bénéfique pour le bien-être de chacun de fragmenter l'espace, de façon à limiter les rapports non-désirés.

Pourtant, ces espaces ouverts sont souvent plus confortables (lumineux, fonctionnels) que les bureaux cloisonnés où l’on risque de se sentir enfermés… ?

X.B. : Ce qui manque aux nouvelles configurations de bureaux, c’est certainement une dimension de réappropriation. Il est nécessaire à chacun de pouvoir investir l’environnement dans lequel il évolue, de s’approprier son espace. Dans des lieux standardisés, les sentiments d’identité et d’appartenance ne se développent pas, et les salariés restent donc dans un inconfort psychologique.Mais l’espèce humaine étant évolutive et pleine de ressources pour survivre, des conditions même contraignantes peuvent favoriser l’impulsion créative et développer les capacités d’adaptabilité et d’inventivité quitte à habiter l’espace grâce à des stratégies de détournement, par exemple. S’il est très difficile a priori d’évaluer la qualité des aménagements, ouverts ou fermés, car il ne s’agit pas d’étudier l’aspect formel ou fonctionnel, il est tout à fait important d’examiner le vécu a posteriori, c’est-à-dire de les apprécier dans la pratique et la durée.

Finalement, pourriez-vous nous dire comment composer avec cette loi d’airain des espaces ouverts et standardisés ?

En pratique, les sociologues comme les hommes de terrain, responsables des services généraux, managers et syndicalistes sont bien en peine d’imaginer le bureau idéal. Leur participation en amont à la conception des espaces n’est pas toujours convaincante. C’est seulement dans les processus d’appropriation réelle que l’on s’aperçoit tout à la fois des difficultés comme des capacités d’adaptation. Ce qu’il faut, c’est laisser ouverte une participation des usagers une fois l’espace investit, sans les contraindre à des règles d’utilisation qu’ils ne veulent ou ne peuvent pas intégrer. Il faut laisser et même développer des marges de manœuvre et d’expression à leur créativité dans le dispositif même d’aménagement sur toute sa durée. En d’autres termes, si on ne peut agir en amont, on doit pouvoir réagir, c’est-à-dire donner sa propre réponse à l’aménagement proposé. Un espace et ses usages ne se préjugent pas, ne se projettent pas. Les espaces de travail, même ouverts, peuvent être collectifs et correctement dominés par leurs usagers dans la pratique, mais sans doute à condition qu’ils le soient dans la durée et par l’invention des utilisateurs eux-mêmes.

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