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15 / 10 / 2009 | 5 vues
Samuel Gaillard / Membre
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Expertises CHSCT : la Cour de Cassation reprend la main, et la bonne !

Le 29 septembre dernier, la Cour de Cassation a rendu un arrêt en matière d’expertise CHSCT(P. n°08-17023) assorti du double « label » P+B (publié + bulletin). Cela signifie qu’il sera publié au Bulletin de la Cour de Cassation et qu'il doit être regardé comme ayant « valeur doctrinale » (sur l’interprétation des arrêts de la Cour de Cassation, voir article « droit et technique de cassation 2009 », Christian Charruault, conseiller à la Cour de Cassation).

Dans ce domaine hautement sensible qu’est aujourd’hui celui des conditions de travail, impasse ne pouvait être faite sur cet arrêt d’opportunité qui présente un double intérêt : celui de forme tout d’abord, portant sur le contrôle opéré par la Cour de Cassation, d’une part ; celui de fond ensuite, portant sur le champ de compétence du CHSCT en cas de transfert, d’autre part.

Contrôle de la Cour de Cassation en matière d’expertise CSHCT

S’agissant tout d’abord du rôle formel joué par la Cour de Cassation en matière d’expertise CSHCT, cet aspect sera peut-être d’être considéré de prime abord comme étant de peu d’importance. À tort !

Derrière cet aspect technique se cache en effet celui de la cohérence des conditions d’ouverture de l’expertise CHSCT sur le territoire français. Et ce n’est pas faire injure à l’appréciation souveraine des juges du fond que de dire qu’en ce domaine il y avait matière !

  • Depuis une décision rendue en 2003, labellisé « P » (publiée), la Cour de Cassation avait en effet abandonné l’appréciation de l’opportunité de la mise en œuvre d’une expertise CHSCT aux seuls juges du fond, à savoir le président du Tribunal de Grande Instance pour commencer, puis la Cour d’Appel ensuite (Cass Soc., 25 juin 2003, P. n° 01-13826).

Devant la multiplication des contentieux expertise CHSCT, résultant de l’importance prise par cette institution, de celle prise par l’évolution croissante de  l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur (réponse nécessaire à la dégradation inquiétante des conditions de travail), il s’en est suivi une incohérence manifeste de la jurisprudence à travers tout le territoire, que l’on pourrait sommairement résumer par un développement d’une jurisprudence d’Oc et d’une jurisprudence d’Oil.

Les professionnels du droit « pro-salariés » étaient ainsi amenés à expliquer régulièrement aux représentants du personnel que leur affaire aurait certainement obtenu gain de cause si elle avait été tranchée devant telle juridiction, mais que devant la leur, ils n’avaient aucune chance.

  • Et les professionnels du droit « pro-employeurs » amenés à conseiller de mettre tout d’abord en œuvre tel ou tel projet de préférence devant tel CHSCT plutôt que devant tel autre… Déclinaison très française de la notion anglo-saxonne de « treaty shopping », en quelque sorte !


Il était donc inévitable que constat soit fait de l’inadéquation de ces conséquences au regard des dispositions de l’article L. 411-1 et L. 411-2 du Code de l’Organisation judiciaire, selon les termes desquels la mission essentielle de la Cour de Cassation est d’assurer l’unité de l’interprétation de la loi sur tout le territoire de la République. Et la Cour de Cassation a heureusement rectifié le tir.

Tout d’abord déverrouillée par un arrêt non publié du 16 septembre 2008 (P. n° 07-18754), la Cour de Cassation a officialisé son revirement par cet arrêt publié du 29 septembre 2009, en instaurant à nouveau un contrôle, certes dit « léger », sur l’appréciation des juges du fond , mais un contrôle réel tout de même. Il était temps !

Un rappel des prérogatives du CHSCT en matière de transfert de personnel

Par cet arrêt du 29 septembre 2009, la Cour de Cassation permet ensuite, sur le fond, de rappeler quelles sont les prérogatives du CHSCT, quel est son champ carré. L’affaire soumise à l’appréciation de la Haute Cour portait en effet notamment sur une réorganisation de l’entreprise emportant notamment le transfert d’une minorité de salariés, dont la majorité des représentants syndicaux de l'entreprise, vers une entreprise tierce.

Pour contester l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de Paris, qui avait validé l’expertise CHSCT pour projet important mise en œuvre à cette occasion, la direction invoquait notamment devant la Cour de Cassation l’argument selon lequel elle n’était en aucun cas responsable des conditions de travail existant chez le nouvel employeur et que le CHSCT n’avait en conséquence aucune compétence.

  • De fait, cet argument est souvent invoqué en cas de transfert de salariés vers un autre employeur, où un autre établissement relevant de la compétence d’un autre CHSCT, pour refuser toute compétence au CHSCT « donneur » pour le motif que seul le CHSCT « receveur » serait compétent.

Beaucoup de CHSCT, qui ne disposent pas d’un quelconque budget pour faire vérifier de telles assertions à l’aune d’un conseiller juridique, se sont déjà fait berner par de telles allégations.

Car une telle argumentation ne repose sur aucun fondement juridique, bien au contraire. Le CHSCT, il faut le rappeler, est le représentant des salariés relevant de sa compétence géographique. Il est élu, certes au suffrage indirect par la communauté des délégués du personnel et des élus au CE, mais élu tout de même par les salariés qu’il représente.

  • Les CHSCT « receveurs » n’ont aucune légitimité pour représenter ces salariés entrant, et c’est aussi simple que cela ! Leur légitimité concerne la communauté des salariés « recevante » mais elle ne va pas au-delà. Nul besoin de rappeler les multiples démarches entreprises par nombre d’employeurs en matière de réorganisation dans le but unique de phagocyter telle ou telle organisation syndicale réfractaire, et il ne s’agit là nullement d’une hypothèse d’école !


Il y a en réalité une double compétence dans une telle situation : celle du CHSCT receveur et celle du CHSCT donneur.  C’est ce que vient ici rappeler fermement la Cour de Cassation dans cet arrêt du 29 septembre 2009 en validant la compétence du CHSCT « donneur », peu importe que « d’autres entreprises [soient] concernées par ces modifications ».

Pour la petite histoire, il est aussi à noter que cet arrêt est intervenu à la suite des seules argumentations présentées par l’employeur, le CHSCT ayant depuis lors changé de majorité syndicale et s’étant abstenu de toute observation dans le cadre du recours en cassation…

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Je ne peux qu'abonder en votre sens, et rappeler également le rôle fondamental que peuvent être amené à jouer les syndicats si la direction persiste à mettre en oeuvre un projet qui entrainerait une aggravation de la souffrance morale au travail sans prendre en compte les préconisations de l'expert : voir arrêt SNECMA du 5 mars 2008 (http://www.miroirsocial.com/actualite/le-juge-peut-suspendre-une-reorganisation-pour-des-motifs-de-sante-et-de-securite)