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06 / 05 / 2009 | 459 vues
Elsa Fayner / Membre
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Inscrit(e) le 22 / 09 / 2008

"Mon patron m'a testée les premiers mois, pour me "dépuceler'', disait-il"

Caroline (1), 22 ans, travaille dans une PME qui équipe des entreprises en matériel de climatisation.

Mon patron m'a repérée alors que je terminais un CDD chez l'un de ses clients.

Flatter

Rapidement, il m'a proposé une embauche parce qu'il me trouvait autonome, et ''vierge du milieu'', disait-il : personne ne me connaissait, je ne traînais aucune casserole. Une embauche... ça m'a fait rêver.

Humilier

Mais, effectivement, je connaissais tellement peu le secteur de la climatisation, tellement rien au marketing, que je n'ai pas compris grand chose aux dossiers de presse qu'il m'a d'abord demandé de rédiger. D'autant moins qu'il ne faisait aucun effort pour m'aider, répondant à mes questions dans le jargon du métier, ou me disant qu'il m'avait déjà expliqué. Et puis, toutes les heures, il venait regarder par-dessus mon épaule, pour savoir où j'en étais.

La politique de l'étranglement

J'avais signé un CDD de trois mois. Au bout d'un mois, le big boss s'est demandé si ça valait le coup de me garder. Mes collègues m'ont défendue, et je suis finalement restée. Mais, à la fin du contrat, c'est moi qui ai décidé de partir. Je venais de passer les pires mois de ma vie, une longue descente aux enfers. Je pleurais tous les soirs, je partais le matin avec le ventre noué, je n'en pouvais plus.
Le patron m'a répondu qu'il se doutait que j'allais craquer, avec toute la pression qu'il me mettait. Mais il m'a fait comprendre qu'il m'avait testée, pour me ''dépuceler de cet environnement''. Il m'a juré qu'il trouvait au contraire que je travaillais bien, et qu'il voulait me garder. Bref, il m'a retourné le cerveau, me démontrant que c'était formidable pour moi de travailler ici, que j'avais des responsabilités que je n'aurais jamais ailleurs, que c'était une école de la vie...
Je suis restée.
Depuis, j'ai compris sa politique, qu'il applique systématiquement. C'est celle de l'étranglement : il accueille le nouvel arrivant à bras ouverts, puis il le serre, le presse à fond, jusqu'à ce que la personne n'en puisse plus. Il observe jusqu'où elle encaisse, et décide ensuite de la garder ou non. ''C'est la sélection naturelle'', soutient-il. Et, si la personne ne vient pas râler, demander à être mieux traitée, ou augmentée par exemple, elle n'obtient rien. Ici, il faut se battre pour tout.

Relâcher la pression

Du jour au lendemain, le big boss s'est donc mis à m'appeler ''Caro''. Il m'a fait subitement beaucoup moins de remarques désagréables sur mon travail.
Bien sûr, il ne supporte pas qu'un employé prenne des vacances, même un jour ou deux. Il nous engueule si nous ne répondons pas au téléphone pendant notre pause déjeuner. ''Sachez que vous devez être toujours joignable, même quand vous faites l'amour avec votre copain'', m'a-t-il expliqué récemment.
Il m'a fait rire, tellement il est ridicule. Comme quand il nous tend des pièges : il dit qu'il ne passera pas dans la matinée, et il vient quand même, par surprise. Il ne nous fait pas confiance. Pourtant, beaucoup ici sont payés à la commission. Ils n'ont aucun intérêt à glander.

Une politique efficace ?

Parce que ça fait de bons salaires en fin de compte. Pour tous. D'ailleurs, peu d'entre nous partent finalement. C'est par là que le big boss nous tient. Et par de petits avantages matériels. Parfois, il nous invite tous dans un bon restaurant, ou nous offre un cadeau.
Ce sont ses deux facettes : quand il se montre aimable, je me dis que je vais rester, et quand il devient insupportable, je pense à partir. Puis il redevient aimable. Du coup, je ne prends jamais ma décision.

(1) Le prénom a été modifié, à la demande de l’intéressée.

 

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La seule réelle efficacité contre ce type de manager "oppresseur", c'est la solidarité entre les salariés. D'ailleurs, Caroline l'a expérimenté une première fois puisqu'elle écrit que ses collègues l'ont soutenue pour qu'elle reste.

Dans l'hypothèse où le manager se voit fermement opposer, de façon collective, une certaine réserve par l'ensemble de l'équipe, il se trouve poussé à modifier son comportement. D'une part, parce que lui aussi a besoin de l'approbation des autres (s'il fait des cadeaux ou propose des déjeuners, ce n'est pas neutre), d'autre part, parce que moins les gens réagissent, plus les personnes qui ont ce type de personnalité essayent de pousser les limites de plus en plus loin. 

Je ne pense pas que ce ne soit qu'une question de syndicat présent ou pas dans l'entreprise; c'est d'abord et avant tout une disposition d'esprit du salarié et de son entourage. Quand on en est au point de pleurer tous les soirs, il faut réellement se poser la question de l'acceptable et de l'inacceptable, pour soi, pour sa santé.

Prendre du recul ne suffit pas toujours : il faut agir et jouer la solidarité: c'est difficile à mettre en route mais ça en vaut la peine.