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21 / 04 / 2009
Elsa Fayner / Membre
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"Intérimaire, je connaissais les produits dangereux, sans pouvoir m’en protéger"

Le 21 septembre 2001, l’explosion qui a mené à la catastrophe AZF s’est produite dans une zone laissée aux entreprises sous-traitantes, celle de la gestion des déchets. Le salarié qui aurait réuni deux produits chimiques incompatibles, dont un puissant explosif, était-il au courant du risque qu’il prenait ? C’est l’une des questions clés du procès, qui se déroule à Toulouse jusqu’au mois de juin (Lire Total dans le box des prévenus).

La formation et l’information des salariés extérieurs intervenant sur des sites à risques posent en effet problème en France, comme en atteste plusieurs études (lire l’article).
  • Illustration avec le témoignage de Paul (1), mécanicien industriel, employé en intérim par des sous-traitants, dans le même genre d’usine qu’AZF à l’époque de la catastrophe, alors qu’il avait 50 ans.

La plupart du temps, j’étais embauché dans la même entreprise sous-traitante. Elle avait besoin d’intérimaires pour intervenir en maintenance dans les grandes usines chimiques de la région -toujours les mêmes finalement-, pour de petites révisions durant l’année, et, l’été, pour la grande révision annuelle, ou décennale. Dans ces cas-là, durant deux mois, l’usine s’arrête de tourner à 90%, et de nombreuses entreprises sous-traitantes interviennent en même temps.

Un travail dans l’urgence

Ca fait du monde, dans des salles sales et poussiéreuses où il fait très chaud. Surtout, il faut faire vite. Car, pour remporter l’appel d’offres, l’entreprise sous-traitante a dû s’engager sur des délais courts, et il faut les tenir, sinon le donneur d’ordres peut nous virer du chantier. Alors on travaille dix ou douze heures par jour. Et on prend des risques.

Ca peut être de l’acide, des produits gazeux, ou de la vapeur bouillante. Quand on intervient en maintenance sur de la tuyauterie, par exemple, il faut d’abord la purger, et la nettoyer. Mais puisque c’est vite fait, parfois il reste du produit à l’intérieur. Ca peut être de l’acide, des produits gazeux, ou de la vapeur bouillante. Ca peut vous péter à la figure, ou, pour la vapeur, vous brûler le visage. J’ai vu des collègues à qui c’est arrivé. Ils sont partis à l’hôpital, et on ne les a jamais revus.

Le problème, c’est que ça ne s’arrange pas : durant mes trois ans d’intérim, j’ai vu les délais se raccourcir. Chaque année, nous disposions d’une semaine de moins pour effectuer le même travail. Résultat : nous prenions moins de temps pour préparer le chantier, repérer les endroits qui pouvaient être dangereux.

Une formation pour la bonne conscience

Le donneur d’ordre était en règle : il nous avait informés des risques encourus sur son site.

Et il ne fallait pas compter sur la formation de quelques heures, dispensée à notre arrivée sur le site, pour nous aider. On nous projetait des films et des photos de travailleurs abîmés par les produits dangereux en circulation dans l’usine. Je me souviens du visage d’un homme dont la rétine s’était réduite à la taille d’une tête d’épingle. Ses yeux étaient blancs. Il avait pris un produit chimique dans l’œil.

Le donneur d’ordre était en règle : il nous avait informés des risques encourus sur son site. Mais, ensuite, c’était à nous de nous débrouiller pour les éviter. Ce n’est pas facile, parce qu’il ne suffit pas de faire attention. Un collègue peut aussi nous blesser par mégarde. Les électriciens, qui travaillent en hauteur, par exemple, au-dessus de nous, peuvent laissent tomber un outil. Si on le prend sur la tête, ça va, on a un casque, mais sur l’épaule, ça peut la casser.

Des accidents camouflés

Or, quand on est intérimaire, il ne faut pas avoir d’accident de travail dans les entreprises donneuses d’ordres. Car celles-ci doivent comptabiliser les accidents et les jours d’arrêt, et mieux vaut qu’elles en aient peu. Du coup, quand un intérimaire se blesse, le sous-traitant le tire par les bras et les pieds pour le mettre à l’écart -comme dans les films-, l’embarque dans une camionnette, et déclare l’accident dans ses propres locaux. Et, si, à l’hôpital, vous commencez à dire la vérité, ce n’est pas la peine de venir chercher du travail chez ce sous-traitant par la suite. Vous êtes grillés.

Or, quand on est mécanicien, en maintenance, c’est la seule possibilité de travailler dans les grands groupes de la région. Car ils se recentrent sur leur cœur de métier, et sous-traitent tout le reste : ils n’embauchent directement que des ”opérateurs”, qui surveillent, supervisent, mais ne mettent pas les mains dans le cambouis.

Du cambouis aux déchets. Ou de la chimie à la nature.

J’aurais d’ailleurs pu devenir chef d’équipe, ou chef monteur, si j’étais resté dans la mécanique, mais c’est le risque qui m’a poussé à quitter le secteur. Le risque. La lassitude aussi. Et puis, l’âge venant, j’ai pensé que les agences d’intérim voudraient moins de moi dans la mécanique lourde. J’ai repéré dans le journal local une petite annonce pour une formation de gestion des déchets avec le GRETA. L’idée de travailler dans l’environnement m’a plu. Je fais beaucoup de montagne, j’aime la nature, je voulais d’ailleurs devenir agriculteur plus jeune. L’agence d’intérim a payé la formation. Je suis reparti à l’école à 50 ans… Il y avait une place d’employé communal. Je la voulais, c’était ma dernière chance. J’ai insisté auprès de la mairie. Aujourd’hui, je réceptionne les déchets, je les trie, je les transporte. C’est peinard. Parfois, je me dis même que j’ai trop de vacances. Il y aurait tellement de choses à améliorer dans la gestion des déchets…

(1) Le prénom a été modifié, à la demande de l’intéressé.

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