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17 / 02 / 2009 | 86 vues
Eric Yahia / Membre
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SAP : à qui profite le plan de réduction des effectifs ?

SAP, multinationale allemande, est l'un des fleurons de l'industrie logicielle mondiale. Malgré des bénéfices exprimés en milliards d'euros pour l'exercice 2008, le groupe SAP a décidé de réduire ses effectifs de 3000 personnes en 2009 ! Ce choix brutal n'est-il justifié que par les prétextes en vogue chez le patronat : incertitude liée à la crise, réduction des coûts, sauvegarde de la compétitivité...? Ou est-il également motivé par des raisons plus obscures, moins avouables? En taillant ainsi dans son capital humain sans convaincre du bien fondé, notre entreprise prend un double risque : manquer la cible en termes de stratégie industrielle, et instaurer un profond malaise parmi les salariés, qui produisent la valeur ajoutée. Quoi qu'il en soit, le paradoxe évident entre la bonne santé de l'entreprise et le plan de réduction des effectifs est vécu par beaucoup comme une véritable injustice.

Crise virtuelle pour SAP

 

La presse allemande n'est pas dupe; elle critique, notamment par les voix de co-fondateurs de SAP, des mesures excessives qui pourraient dissimuler d’autres intentions.

Fin janvier 2009, le groupe SAP a publié d’excellents résultats financiers pour l’exercice 2008, salués par la presse économique : augmentation de 14 % du chiffre d’affaires, 1,88 milliard d’euros de bénéfice net, 1,84 milliard d'euros de marge brute d'autofinancement (free cash flows), et un taux de marge opérationnelle de 24,6%. Là où d’autres sableraient le champagne, SAP parle de crise et verse dans le catastrophisme. Dès la fin 2008, SAP préparait les esprits par des mesures drastiques de réduction des coûts qui ont affecté les conditions de travail de nombreux salariés. En évoquant le recours éventuel à des mesures encore plus contraignantes (« si nécessaire »), SAP fait diversion et refuse à ses salariés une justification transparente de ses motivations réelles. De qui se moque-t-on? La presse allemande n'est pas dupe; elle critique, notamment par les voix de co-fondateurs de SAP, des mesures excessives qui pourraient dissimuler d’autres intentions.

Management virtualisé


Chez SAP, comment sont prises les décisions, comment sont fixés les objectifs ? Sur quels éléments se fondent-ils ? Quelle est la logique économique, quelle est la stratégie industrielle à moyen term e? En France, SAP ne présente pas d’interlocuteurs décisionnaires aux représentants du personnel et leur fournit des informations insuffisantes pour analyser la situation réelle de l'entreprise et comprendre les enjeux économiques et financiers. Derrière les discours convenus et les déclarations de bonnes intentions, que faut-il décrypter ?« Believe it – Achieve It », « Take it Higher ». « Winning in the new reality »: tels sont les slogans utilisés par le management pour faire illusion auprès des collaborateurs. En effet, la direction du groupe semble de plus en plus centralisée et autoritaire. Le Directoire décide et annonce, le management redescend et décline l'information, les contributeurs s'alignent et exécutent le travail.

Economies virtuelles ?


Les mesures de réduction des coûts au dernier trimestre 2008 se composaient initialement d’un gel des embauches et des investissements informatiques, de la suppression de formations externes, de l'’interdiction des déplacements non reliés directement au besoin d'un client. Le plan aurait dégagé 220 millions d’euros d’économies en un trimestre selon le Directoire du groupe SAP. Or, au cours de  la même période, quels ont été les reports de coûts, les surcoûts et le manque à gagner (pertes de revenus) générés par ces mesures ? La direction n'en fait pas la publicité, et nul ne saurait le dire! Ces 220 millions d’euros d'économies réalisées en un trimestre paraissent en tous cas plus séduisants que les 300 à 350 millions d’euros annuels espérés en ... 2010 si 3000 postes sont bien supprimés en 2009. Cela équivaudrait à 116 667 euros d'économies annuelles par poste supprimé. Or le plan de réduction des effectifs aurait un coût de 200 à 300 millions d’euros dès 2009! Si la conjoncture est de nouveau favorable en 2010 ou 2011, combien coûtera le recrutement (voire le réembauchage) de salariés offrant les compétences et l'expérience requises? Dans un tel contexte, il est plus aisé de faire gober aux salariés l'absence d'augmentations en 2009. Qui irait manifester pour son pouvoir d'achat alors que le collègue de bureau est sous la menace d'un licenciement? Pourtant la contradiction n'effraie pas la direction du groupe; après avoir octroyé 600 millions d'euros de dividendes aux actionnaires en 2008, SAP a promis de leur verser 30% du bénéfice net en 2009, c'est à dire plus de 550 millions d'euros! Vous avez dit « économies »?!

Malaise réel


Au vu des résultats affichés, des 7 milliards de fonds propres du groupe et de tous les atouts industriels que possède l’entreprise, un sentiment de malaise envahit de plus en plus de salariés. Nous ne manquons pas de travail en interne mais les licenciements boursiers vont amputer nos capacités futures. La désorganisation et la pression dues au manque de ressources causeront des surcharges de travail et compromettront souvent le respect des objectifs et des délais fixés. Après avoir perdu la confiance des clients par une augmentation brutale (dans la forme et le fond) des tarifs de maintenance, la direction du groupe est en train de saper la loyauté et la fierté des salariés envers l'entreprise et ses dirigeants. Il semble que SAP continue à gérer ses activités en privilégiant à tout prix l'augmentation du taux de rentabilité et du cours de l'action, même si cela doit se faire au détriment de l'emploi. Ce faisant, SAP contribue activement à la spirale dépressionniste mondiale. Est-ce digne d’une entreprise qui se  veut responsable et citoyenne?

La vérité est-elle ailleurs?

SAP a mis en place des mesures très incitatives permettant à des groupes de personnes très restreints (incluant des membres du directoire) de se partager jusqu'à 100 millions d'euros en cas d'augmentation très significative du cours de l'action.

 

Quand SAP annonce une réduction de 6% de ses effectifs, le cours de l'action progresse de 6% en 2 heures. Espérons que SAP n'envisage pas une augmentation subite de 100% de son action! En réalité, les 6% annoncés sont probablement inférieurs au taux annuel de turnover de SAP dans le monde. Alors pourquoi transformer ce qui aurait pu n'être qu'un simple gel d'embauches en un plan massif de réductions d'effectifs? Cela a permis à SAP de passer des provisions pour charges de restructuration dès 2008, réduisant ainsi le résultat net, et .. le montant des impôts! En outre cela laisse plus de latitude à l'entreprise pour sélectionner les profils dont elle veut se séparer, et pour inviter au départ les salariés les moins attachés à l'entreprise grâce à une parodie de volontariat (qui débarrasse aussi la direction de ses obligations de reclassement et coûte souvent moins cher). Compte tenu de la très bonne santé de l'entreprise, des salariés et des observateurs se demandent pourquoi SAP ne maintient pas le cap des investissements et ne profite pas de la conjoncture pour prendre de vitesse certains concurrents, gagner du terrain en termes d'innovation et de parts de marché. Mais les sociétés cotées en bourse préfèrent souvent se fourvoyer collectivement que de prendre le risque de se différencier pour avoir raison.

Par ailleurs il faut savoir que SAP a mis en place des mesures très incitatives permettant à des groupes de personnes très restreints (incluant des membres du directoire) de se partager jusqu'à 100 millions d'euros en cas d'augmentation très significative du cours de l'action. Par conséquent, il existe un conflit d'intérêts potentiel, les dirigeants de l'entreprise pouvant être tentés par des bonus à court terme pas forcément compatibles avec une stratégie industrielle cohérente à moyen ou long terme.

Enfin, quel intérêt pour l'entreprise de rechercher les économies à outrance avec autant de liquidités disponibles en caisse. Après avoir fait l'acquisition, chère mais fructueuse, de Business Objects, SAP pourrait continuer sur sa lancée pour compléter son offre avec une nouvelle croissance externe. A moins que SAP ne se pare de ses plus beaux atours pour, à son tour, se laisser tenter par le plus offrant? Auquel cas le club des prétendants dans la chaîne alimentaire logicielle est de plus en plus restreint.

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