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15 / 10 / 2013 | 45 vues
Ghislaine Peneaut / Membre
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« Made in France » trop cher ? Le moins cher n'est pas moins coûteux...

Choisir le « made in France » entraînerait un surcoût important pour chaque ménage français, selon une étude du CEPII dont la presse s’est fait l’écho cet été. L’affirmation fait réagir trois experts de Syndex.

Consommer « made in France » coûterait de 100 à 300 € plus cher chaque mois pour chaque ménage français, d'après l’étude du CEPII. Pas si simple analysent les experts de Syndex.


Une étude pour dire quoi ?

Pascal Pons : Si cette étude a le mérite de réaliser un travail de chiffrage plus ou moins précis, elle ne nous apprend rien qu’on ne sache déjà : un jouet moins coûteux à fabriquer en Chine qu’en France sera payé moins cher par le consommateur français. Partant de là, les auteurs ont tendance à essayer de dire plus que ce que leurs stricts résultats permettent de démontrer. Les commentateurs ont voulu lui en faire dire plus encore, sans se soucier des questions de méthodologie. Les auteurs ont, en particulier, passé sous silence nombre de facteurs indirects liés à la localisation des productions industrielles. Il faut donc repositionner le débat.

Le moins cher est-il moins coûteux ?
Dominique Caboret : L’approche des auteurs de l’étude reste centrée sur la consommation. Même si elle évoque la pression des consommateurs, des ONG et de certains distributeurs pour améliorer les conditions de travail sans annuler les écarts de prix, l’étude laisse de côté les modalités de production qui affectent la consommation et les modes de consommation et donc l’objet même de l’étude.

Stéphane Portet : Parmi les catégories de produits importés qui figurent en tête du budget des ménages selon l’étude, on trouve la maroquinerie (24 %), l’équipement électronique (10 %) et l’habillement et la bonneterie (14 %). Ces produits sont consommés en quantité car leurs prix sont faibles mais leur qualité est basse. Or, le consommateur ne se comporte pas de la même façon vis-à-vis de produits de qualités différentes. La question de l’élasticité, prix de la demande (variation de la demande conséquente à une variation du prix) n’est pas assez fouillée par l’étude. À consommer français, le consommateur achèterait moins en volume mais des produits de meilleure qualité, plus innovants, plus durables, et ne dépenserait pas forcément plus sur une longue période. Certes, cela suppose qu’il ait les moyens d’acheter plus cher au moment de l’achat. Mais surtout cela renvoie à tout notre modèle de consommation, et à son nécessaire renouvellement.

Estimations biaisées des prix et des valeurs


Stéphane Portet : Les auteurs soulignent la difficulté qu’ils ont eu à estimer les prix. Ils ont retenu, pour mesurer le prix des produits importés, leur valeur unitaire à l’importation, et pour mesurer les prix de la production en France, la valeur unitaire des produits à l’exportation. Ce biais méthodologique est très important et les auteurs le reconnaissent.

Ainsi, l’étude compare le prix d’un sac en cuir (probablement de luxe) « made in France » exporté avec un sac en cuir à quelques euros, produit en Chine, pour baser son estimation. La différence de valeur fondamentale sur ce type de produits explique le poids de la maroquinerie dans l’écart de prix du panier et les effets négatifs du « produire français ».

De même, l’écart de prix est biaisé par le mode de calcul de la valeur. Les entreprises françaises exportent souvent directement et la chaîne est courte jusqu’au consommateur étranger. La valeur à l’export peut être proche du prix sur le marché domestique. En outre, une stratégie haut de gamme tire les prix vers le haut. Les prix des produits importés, estimés à la frontière, n’intègrent pas la marge des importateurs et autres intermédiaires qui viennent ensuite. Arrivé au consommateur final, le produit aura laissé beaucoup de marge sur le territoire et la différence de prix avec le produit français pourra s’en trouver réduite, ce que l’étude ne peut pas mesurer.

Il aurait donc été plus pertinent de prendre les prix directement payés par le consommateur. Un travail toutefois presque impossible à grande échelle. Dans ces circonstances, l’annonce d’économies chiffrées pour le consommateur semble hasardeuse.

Optimisation fiscale grâce à la valeur affectée


Dominique Caboret : La fourchette d’évaluation du gain potentiel (de 100 à 300 € par mois et par ménage) ne tient pas compte de l’origine des composants entrant dans le produit fini. Pourtant, l’étude se réfère d’entrée aux travaux de l’OMC et de l’OCDE sur la chaîne de valeur dans le commerce mondial. Travaux qui posent la question de la localisation de la valeur ajoutée au cours des processus de production, les composants de produits finis pouvant franchir plusieurs frontières.

Stéphane Portet : On parle alors de valeur « affectée » au moyen des prix de transfert dans le cadre des échanges intra-groupes. Les groupes qui disposent de filiales ou d’intermédiaires dans plusieurs pays peuvent capter de la valeur ajoutée en facturant au prix fort les exportations vers leurs filiales et en achetant à celles-ci leurs produits finis au prix les plus bas, selon les pays choisis. Elles localisent ainsi le plus de marge commerciale possible dans des dispositifs d’optimisation fiscale « légaux » aux Pays-Bas, en Belgique, en Irlande et au Luxembourg, par exemple. Les impôts échappent malheureusement à la France et donc au consommateur-contribuable français. L'effet fiscal de la localisation de la production est aussi à prendre en compte.

Agir sur la politique industrielle et les choix de consommation


Dominique Caboret : Dans leur approche, les auteurs n’intègrent pas la question de la politique industrielle, ni la montée en qualité des produits français sur chaque niveau de gamme. En définitive, leur argumentaire est simplement que l’importation en provenance des pays à bas coûts est un élément de compétitivité ayant pour objectif de baisser les coûts de production et le prix pour le consommateur.

Pascal Pons : La mutation possible des modes de consommation vers plus de qualité et moins de gaspillage n’est quasiment pas évoquée. On sait que la consommation de produits de qualité stimule l’activité des services tels que la réparation aujourd’hui presque disparue, alors qu’elle apporte de la valeur ajoutée et qu’elle est plus compatible avec un modèle de consommation durable.

Si l’autarcie est illusoire, une relocalisation d’une partie de la production industrielle (et pas seulement pour les produits à haute valeur ajoutée) est possible. Elle créerait peu d’emplois directs. La richesse captée, en revanche, pourrait générer de l’activité, des initiatives publiques ou privées, donc de l’emploi indirect et des recettes fiscales.
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