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19 / 01 / 2017 | 8 vues
Olivier Grenot / Membre
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Le dialogue social en question : évolution des Institutions représentatives du personnel

Avec la promulgation des lois dites « Rebsamen » et « El Khomri » (sur le travail), un certain nombre de dispositions ont profondément modifié le fonctionnement des institutions représentatives du personnel (IRP). Si l’on doit reconnaître des avancées dans certains domaines, Force Ouvrière n’a pas manqué de dénoncer une tentative de déconstruction du dialogue social dans notre pays et une remise en cause du travail des syndicats.

Le passage en force de la loi El Khomri a donné lieu à de multiples manifestations unitaires au printemps 2016, rassemblant des dizaines de milliers de citoyens.

Dans FGTA-FO Magazine et les pages spéciales de notre site internet, nous avons longuement détaillé les points litigieux de cette loi, notamment « l’inversion de la hiérarchie des normes », qui donne la priorité aux négociations d’entreprise sur les négociations de branches, favorisant ainsi le risque de dumping social.

La loi Rebsamen, votée en 2015, est censée moderniser le dialogue social et le rendre plus efficace. Est-elle en mesure de le faire ou s’agit-il encore une fois d’un désaveu du rôle et de l’action des partenaires sociaux ?

Nous avons voulu faire le point sur la situation actuelle du dialogue social en France, sur les changements apportés par les deux lois dans les domaines qui concernent directement les délégués du personnel, les militants et les adhérents de la FGTA-FO.

Non représentatifs ?

La question revient fréquemment dans les médias, elle s’invite dans les débats politiques à l’occasion de l’élection présidentielle et elle est plus que jamais à l’ordre du jour depuis la promulgation des lois Rebsamen et El Khomri : pourquoi le dialogue social est-il si problématique en France ? Cette question en sous-tend une autre : pourquoi les syndicats sont-ils si peu implantés dans les entreprises de notre pays [1] ?

Avant d’aller plus loin, il est indispensable de rappeler qu’en France, à la différence des pays nordiques, il n’y a aucune incitation légale à adhérer à un syndicat puisque syndiqués et non-syndiqués bénéficient des mêmes droits. Dans les pays du nord, comme en Belgique, il est indispensable d’être syndiqué pour bénéficier de certains droits et avantages sociaux : les allocations de chômage et d’autres prestations sociales sont généralement versées par le syndicat (sauf en Norvège) et la syndicalisation fait quasiment partie de l’emploi. En France, les salariés non syndiqués bénéficient des droits et garanties prévus par les accords collectifs, que ceux-ci aient été négociés au niveau de l’État, de la branche professionnelle ou de l’entreprise.

Il faut cependant se garder d’assimiler le nombre d’adhérents d’un syndicat à sa représentativité. Les salariés des entreprises participent massivement aux élections professionnelles (à 70 % en moyenne dans le secteur privé). Près d’un million de représentants du personnel en France bénéficient d’une représentativité obtenue lors des élections. C’est l’addition de leurs résultats qui permet de mesurer la véritable représentativité des syndicats au niveau des branches et au niveau national (à condition qu’ils aient obtenu au moins 8 % du cumul des voix des entreprises au premier tour [2]).

Gagnants-gagnants ?

Comment revaloriser le dialogue social ? En renforçant la représentativité des syndicats (en premier lieu de Force Ouvrière) et surtout en développant l’implantation et le nombre d’adhérents, partout où cela est possible. Certes mais cela ne peut se faire du jour au lendemain. Les syndicats doivent communiquer auprès des salariés et du grand public les aspects positifs, réfléchis et justifiables de leur action. Ils doivent montrer qu’ils ne sont pas (comme certains politiques voudraient l’insinuer) une force de blocage mais une force de progrès et d’avancée sociale. Que la défense des droits des salariés peut se faire de manière constructive au travers d’un dialogue social apaisé. Car ce type de dialogue existe : dans une large majorité d’entreprises et de branches professionnelles, les négociations se concluent par des accords gagnant-gagnant où, même si chacun défend ses positions pied à pied, il existe une véritable écoute, un véritable échange et une véritable volonté d’aller de l’avant, pour le bien des entreprises et de leur personnel. L’image du syndicat mettant une entreprise en danger de dépôt de bilan par ses positions rigides, véhiculée par certains politiques et des médias inféodés ne correspond pas à la vérité.

Bien sûr, il existe des situations de blocage et de conflit lorsque les délégués du personnel se trouvent face à des directions intraitables, voire malveillantes. On en constate tous les jours et notre magazine s’en fait bien sûr l’écho pour soutenir les revendications des salariés. Mais ces conflits représentent une infime minorité face à la somme des accords conclus par ailleurs et dont on parle beaucoup moins. Or ces accords devraient être la meilleure publicité des syndicats. Ils prouvent l’efficacité de leurs actions et doivent inciter les salariés à les rejoindre en plus grand nombre.

Car, on ne le répétera jamais assez, être syndiqué, c’est avoir accès à des conseils, des informations et formations liées à l’emploi, à l’entreprise et à l’économie. C’est donner son point de vue, participer aux négociations et bien sûr pouvoir être défendu et protégé en cas de litige ; c'est aussi participer à la vie sociale de l’entreprise, être solidaire avec les autres et renforcer l’action de son organisation parce que l’on croit en ses valeurs.

Une loi fourre-tout

La loi Rebsamen, qui modifie les règles de fonctionnement et l’organisation des entreprises, a pour objectif de « faciliter, simplifier et moderniser le dialogue social et œuvrer en faveur de l’emploi et de l’activité ». Belles intentions mais qui contrecarrent le plus souvent tout le travail que déploient les syndicats au jour le jour dans les entreprises pour défendre les droits des salariés.

Notre organisation syndicale a montré les limites de la loi au moment de la discussion parlementaire et lors de son adoption en juillet 2015 et, en l'espèce, elle a dénoncé « une remise en cause des instances représentatives du personnel et des syndicats ». Tout en reconnaissant un certain nombre d’avancées réelles (comme la création des commissions régionales chargées de représenter les salariés des TPE), la création du compte personnel d’activité ou l’amorce d’une reconnaissance de l'épuisement professionnel, nous voyons dans cette loi un texte fourre-tout qui déconstruit le dialogue social et fragilise les droits des salariés.

Cependant, la loi a été promulguée et doit être appliquée. Un éclairage s'impose pour que chacun soit bien au fait de ses conséquences...

Jeux de DUP

L'une des principales dispositions de la loi Rebsamen concerne les entreprises de moins de 300 salariés.

Pour mémoire, rappelons qu’il existe actuellement en France environ 3 900 000 entreprises, dont un peu plus de 2 700 000 entreprises individuelles (0 salarié) 1 000 000 de TPE (1 à 11 salariés), environ 170 000 PME (de 12 à 50 salariés), 32 000 « grosses PME » (de 50 à 500 salariés) et moins de 3 000 entreprises de plus de 500 salariés [3].

Il n’existe pas de statistique concernant les entreprises de 50 à 300 salariés [4] mais si vous êtes employé dans l’une d’elles, vous êtes directement concerné car, chez vous, le CE, le CHSCT et les délégués du personnel sont réunis dans une instance commune : la délégation unique du personnel (DUP). Au-delà de 300 salariés, un regroupement partiel ou total est possible par accord majoritaire.

La DUP existait déjà depuis 1993, sous une forme « allégée » (elle ne comprenait pas le CHSCT), dans les entreprises employant entre 50 et 200 salariés. La nouveauté, c’est le passage de 200 à 300 salariés et la possibilité d’y ajouter le CHSCT. L’employeur prend cette décision après avoir consulté les délégués du personnel et, s’ils existent, le CE et le CHSCT. Chaque instance conserve ses prérogatives et ses règles de fonctionnement propres mais les réunions doivent être regroupées et concentrées autour d’un seul ordre du jour : la DUP en tient six par an, dont au moins quatre portant sur les thématiques relevant du CHSCT.

Notre organisation syndicale dénonce ce qui s’apparente à une « dilution » du CHSCT, qui était jusqu’à présent exclu de la DUP, et déplore un affaiblissement de la représentation des salariés, les mêmes élus devant dorénavant mener de front l’ensemble des missions.

Par ailleurs, les dix-sept consultations annuelles du CE sont regroupées en trois grands rendez-vous centrés sur trois grandes thématiques : temps de travail et rémunération, égalité professionnelle et qualité de vie au travail et gestion des emplois.

Égalité professionnelle : une « dilution » inquiétante

À partir du 1er janvier 2017, lors des élections DP et CE, les listes établies par les organisations syndicales pour chaque collège électoral devront être alternativement composées d’un candidat de chaque sexe jusqu’à épuisement des candidats de l’un des sexes. Si cette règle n’est pas respectée, l’élection du nombre d’élus du sexe surreprésenté pourra être annulée. Si l’on ne peut que se féliciter de cette disposition, on sera beaucoup plus dubitatif sur la teneur de la négociation dite « qualité de vie au travail ». Car l’égalité professionnelle dépend désormais de deux blocs de négociation.

L’égalité professionnelle hommes-femmes fait partie de la négociation concernant la qualité de vie au travail, qui regroupe les sujets suivants : protection sociale complémentaire, égalité hommes-femmes, handicap, qualité de vie, pénibilité et droit d’expression. Pour nous, intégrer la négociation sur l’égalité hommes-femmes dans la négociation qualité de vie signifie sa dilution à terme.

En revanche, tout ce qui concerne les écarts de rémunération, l’accès à l’emploi, la formation professionnelle, le déroulement de carrière, les conditions de travail et d’emploi, la mise en œuvre des mesures visant à supprimer les écarts de salaires entre hommes et femmes etc. fait partie de la négociation sur les temps de travail et rémunérations.

La législation oblige les entreprises d’au moins 50 salariés à engager un accord ou un plan d’action relatif à l’égalité professionnelle, faute de quoi, elles sont soumises à des pénalités à charge pour l’employeur. Par ailleurs, le rapport de situation comparée (RSC) est supprimé et remplacé par une simple « rubrique » dans la base de données économiques et sociales (BDES)[5]. Pour FO, cela revient à affaiblir les outils permettant de lutter contre les inégalités car, sans RSC, il sera difficile de mettre en évidence les écarts de situation entre hommes et femmes.

Crédits d’heures de délégation : ce que la loi El Khomri a changé

Les IRP (délégués syndicaux, représentants syndicaux au comité d’entreprise ou délégués du personnel, élus du comité d’entreprise, de la délégation unique du personnel ou du CHSCT) bénéficient d’un crédit d’heures mensuelles pour exercer leurs fonctions. Ces « heures de délégation », dont le nombre varie en fonction du mandat du salarié et de la taille de l’entreprise, sont rémunérées comme du temps de travail.

L’adoption de la loi El Khomri, publiée au Journal Officiel le 8 août 2016, a eu pour effet immédiat la hausse de 20 % du nombre d’heures de délégation accordées aux délégués syndicaux. Dans les entreprises de 50 à 150 salariés, les heures de délégation passent à 12 heures par mois (au lieu de 10 heures auparavant). Pour les entreprises de 151 à 499 salariés, le délégué syndical bénéficie de 18 heures par mois (au lieu de 15 heures). Tandis que dans les entreprises de plus de 500 salariés, le nombre d’heures de délégation sera de 24 heures par mois (contre 20 heures). Les représentants du personnel, quel que soit leur mandat ou mission, sont libres d’utiliser leurs crédits d’heures mensuelles à condition d’en informer leur hiérarchie dans un « délai raisonnable ». L’information préalable à l’employeur permet le décompte ultérieur des heures de délégation mais ne constitue en aucun cas une demande d’autorisation d’absence. Pour ce faire, le représentant du personnel utilise des bons de délégation, remplis à chaque fois qu’il souhaite utiliser son crédit d’heure et remis à l’entreprise.

L’utilisation du crédit d’heures des salariés élus doit correspondre aux missions qui leur sont confiées. Par exemple, un délégué du personnel ne pourra pas utiliser ses heures de délégation à distribuer des tracts (sauf s’ils ont un lien avec ses activités et qu’ils sont distribués en dehors des heures de travail), activité purement syndicale dévolue au délégué syndical.

Négociation d’un accord d’entreprise avec les RP : le contournement du syndicat

Jusqu’à présent, en l’absence de délégués syndicaux dans l’entreprise ou l’établissement, (ou de DP désigné DS dans les entreprises de moins de 50 salariés), les représentants élus du personnel (comité d’entreprise, DUP etc.) pouvaient, sauf exception, négocier et conclure des accords collectifs de travail sur des mesures dont la mise en œuvre est subordonnée par la loi à un accord collectif. Une commission paritaire de branche devant ensuite valider l’accord.

Cette possibilité, jusqu’alors réservée aux entreprises de moins de 200 salariés, est dorénavant ouverte à toutes les entreprises. En outre, elle n’est plus forcément limitée aux accords dont la mise en œuvre est subordonnée par la loi à un accord collectif. Pour pouvoir négocier, les représentants du personnel doivent avoir été expressément mandatés par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives. Il faut que l’accord signé soit approuvé par la majorité des salariés, que les élus signataires représentent la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections et que l’accord soit approuvé par une commission paritaire de branche.

Notre organisation dénonce un contournement des syndicats. La validation obligatoire de ces accords par une commission paritaire de branche ne s’appliquera qu’aux accords signés par un salarié mandaté. « Un seul élu mandaté pourra signer un accord sans contrôle, alors qu’un syndicat doit faire la preuve qu’il a 30 % de représentativité » a dénoncé Marie-Alice Medeuf-Andrieu, secrétaire confédérale chargée de la négociation collective.

TPE : des commissions loin du terrain

La loi Rebsamen crée des commissions paritaires régionales interprofessionnelles propres aux TPE afin de représenter les salariés et employeurs d’entreprises de moins de 11 salariés relevant de certaines branches non couvertes par une commission paritaire. Elles ont pour rôle :
  • de donner aux salariés et employeurs des informations et conseils utiles sur les dispositions légales et conventionnelles qui leur sont applicables ;
  • de débattre sur toutes les questions spécifiques aux entreprises de moins de 11 salariés (sur l’emploi, la formation, les conditions de travail etc.) ;
  • de faciliter la résolution des conflits ;
  • de faire des propositions en matière d’activités sociales et culturelles.
Si nous  reconnaissons la nécessité de mieux représenter les salariés des TPE (engagée de toutes ses forces dans les élections de novembre 2016), il convient de faire remarquer que cette représentation passera par seulement 13 commissions paritaires régionales interprofessionnelles cantonnées dans un rôle de conseil et d’information, sans pouvoir formel.

Qui plus est, le périmètre régional sera celui des nouvelles grandes régions, très vastes et souvent éloignées du terrain local des TPE. Au total, les 4,6 millions de salariés des TPE ne disposeront que de 130 représentants syndicaux (1 pour 35 000 !), bénéficiant chacun de 5 heures de délégation par mois. Quelle sera l’efficacité de leur action ? Difficile à dire aujourd’hui.

Pour en savoir plus, rendez-vous sur http://www.fgtafo.fr/informations-juridiques/ pour télécharger la « synthèse » sur la loi sur le travail ou les numéros de Repères concernant les lois citées.

[1] 11 % seulement de salariés syndiqués en France (19,8 % dans la fonction publique et 7,7 % dans les entreprises privées) alors qu’ils sont 69 % en Finlande, 68 % en Suède, 55 % en Belgique, 37 % en Italie et 25 % au Royaume-Uni.
[2] 10 % dans l’entreprise elle-même (loi de 2008).
[3] Source INSEE, année 2014.
[4] On peut estimer leur nombre entre 25 000 et 30 000 environ.
[5] La rubrique porte sur :
  • le diagnostic et analyse de la situation respective des hommes et des femmes pour chacune des catégories professionnelles de l'entreprise en matière d'embauche, de formation, de promotion professionnelle, de qualification, de classification, de conditions de travail, de sécurité et de santé au travail, de rémunération effective et d'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle ;
  • l’analyse des écarts de salaires et de déroulement de carrière en fonction de l'âge, de la qualification et de l'ancienneté ;
  • l’évolution des taux de promotion respectifs des hommes et des femmes par métiers dans l'entreprise.
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