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05 / 06 / 2018 | 1 vue
Didier Cozin / Membre
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La loi et l'État peuvent-ils encadrer et promouvoir la formation ?

Dans son dernier livre, Jouer sa peau, l’analyste Nassim Nicholas Taleb démontre que la société et l'économie peuvent fonctionner grâce à la folie des entrepreneurs. Nicholas Taleb explique également qu'il est désormais recommandé d'éviter le risque systémique au niveau des États (la loi) pour lui préférer le risque individuel et local du simple contrat.

Le développement de la formation : un exercice social systématiquement raté dans notre pays

Les réformes successives de 2004, 2009, 2014 et désormais 2018 sont conçues, rédigées et planifiées par des gens qui n'en subissent pas les conséquences. Un député, un syndicaliste, un avocat ou un haut fonctionnaire n'a pas besoin du compte personnel de formation pour développer ses compétences ; les moins qualifiés, eux, n'obéissent évidemment pas aux injonctions des lois censées les orienter.

Prétendant une nouvelle fois sécuriser les salariés, reconvertir les chômeurs et éduquer les jeunes, la réforme de 2018, avec ses macro-injonctions et dispositions en forme d'usines à gaz, néglige et oublie des pans entier du monde du travail tout en ne donnant pas à tous les travailleurs les outils et les financements pour apprendre. 

La réforme de 2018 face aux outsiders du travail

Quelles pourraient être les conséquences du texte de loi en préparation pour de nombreux travailleurs pas ou peu insérés : salariés dans les TPE, employés non qualifiés dans des branches déclinantes, travailleurs saisonniers ou multi-employeurs (service à la personne) et enfin pour la cohorte des travailleurs indépendants (isolés et très souvent gagnant moins que le SMIC) ?

A) La formation dans les TPE : une éternelle insatisfaite

Dans l'immense majorité des trois millions de TPE françaises (représentant 80 % de l'emploi salarié), la formation est marginale, une ligne de (faibles) cotisations sociales payées par l'employeur mais quasiment aucun développement sur le terrain.

La raison principale (mais pas la cause unique) de l'absence de formation dans les TPE est le manque de temps et d'investissements aussi bien de la part du patron que de ses employés pour une formation, prise sur le temps de travail (donc désorganisant l'activité) ou hors temps de travail (et donc pour laquelle ni le patron ni ses salariés ne se sentent concernés).

Dans ces petites entreprises, il n'y a quasiment pas d'obligation (ni de pénalités) de formation et la réforme de 2014 (pas plus que celle de 2018) n'apporte de réponse utile et accessible rapidement.

Solution : faire des RTT un temps pour apprendre. Revenir partiellement sur les RTT en transformant de temps disponible en heures pour apprendre n'est pas incongru ; ce serait même la solution rapide et accessible pour responsabiliser le corps social, notamment les salariés les moins qualifiés (les travailleurs très qualifiés, eux, se forment régulièrement et sur leur temps libre).

B) La formation en usine (un abattoir du type GAD, par exemple) avec ses travailleurs âgés et souvent non qualifiés (voire illettrés, comme le sait notre Président)

La réforme (comme toutes celles qui l'ont précédée) part du principe que les travailleurs « riches » (sous-entendu « des grosses structures ») consomment la totalité de la ressource en formation et qu'en démantelant les organismes collecteurs de branches (OPCA) et en individualisant la formation (via le compte de formation), le problème de la ressource éducative ne se posera plus pour tous les travailleurs.

C'est une vue de l'esprit : les travailleurs non qualifiés (qu'ils œuvrent dans des TPE ou dans de « grandes » structures) ont une appétence limitée pour la formation et de nouveaux apprentissages (sinon ils seraient bien plus qualifiés).

Le moteur principal qui peut leur donner envie d'apprendre et les accompagner en formation ne sera ni leur CPF (un compteur de formation), ni une application magique pour smartphone ni même ce fantasmatique conseil en évolution professionnelle (CÉP) mais leur employeur s'il a l'obligation (avec sanctions ou système d'incitations fiscales à la clef) de faire évoluer chacun de ses salariés.

La formation n'est pas l'école

Le taux d'abandon (voire d'oubli) de se former est d'autant plus important pour les salariés que la formation continue se transforme en une école bis : à l'école, on additionne les années d'enseignement (bac + X) ; en formation, on va bientôt additionner les euros de formation (après avoir additionné les heures).

C) Travailleurs saisonniers, intermittents ou multi-employeurs

Les embauches en France se réalisent désormais sur des contrats courts, en CDD (80 % des nouveaux contrats signés) ou à temps partiel (la loi a décidé d'aider les temps partiels en considérant le CPF pour un temps plein). Le travail est donc de plus en plus intermittent. Prenons le cas d'une femme de ménage « indépendante », travaillant pour 5 ou 6 employeurs chaque semaine, au gré des besoins, des demandes et des chantiers qu'elle peut trouver. Souvent très peu qualifiée ou d'origine étrangère, elle est censée bénéficier du compte personnel de formation mais se posent les questions suivantes.

  • Qui va comptabiliser ses heures et pourquoi n'est-il pas prévu qu'elle dispose d'un compteur CPF entier (800 euros) dès son premier contrat d'embauche ?
  • Quand, comment et pourquoi irait-il se former puisque sa vie tout au long de la semaine (et parfois aussi le weekend) est organisée autour de ses mini-contrats de travail ?
  • Qui va l'accompagner puis lui proposer des évolutions professionnelles (à quoi bon se former si l'on reste éternellement mal payée et précaire ?) ?

D) Le travailleur indépendant

Notre pays considère les travailleurs indépendants comme des patrons en puissance. Comme pour un patron, les droits sociaux dépendent en grande partie de l'initiative et du financement de l'intéressé.

Ils n'ont pas droit à une mutuelle, ni au crédit bancaire, ni d'être locataire sans une caution importante. Ils ne peuvent pas avoir d'indemnisations du chômage (ou avec des droits très dégradés alors que les salariés classiques ne cotisent même plus), ni de droit à la formation (sauf cotisation volontaire auprès d'organismes fantômes).

Pour ces 3 à 4 millions d'actifs (plus actifs tout de même que les chômeurs), rien n'est organisé ni réalisable via la future loi pour la formation.

Seuls les salariés classiques, les chômeurs et les jeunes sans qualification (via le PIC) sont concernés par la future réforme de la formation. La formation et l'éducation sont pourtant devenues des opportunités majeures pour la société française et la compétitivité de notre économie.

Si chacun au niveau de sa vie professionnelle et sociale peut largement s'inspirer des jeux vidéo avec des essai-erreurs (qui n'entraînent que lui) au niveau d'un pays en crise (professionnelle, financière et sociale), ce jeu des essais-erreurs réglementaires tous les 5 ans risque de tourner à la catastrophe sociale. L'État n'a plus la responsabilité de piloter la formation en France mais doit mettre le corps social devant ses responsabilités : qui pourra conserver un avenir professionnel s'il n'apprend pas tout au long de sa vie ?

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