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23 / 03 / 2015 | 19 vues
Andree Thomas / Membre
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La CJUE préserve son « pré carré libéral » contre les droits fondamentaux garantis par la convention des Droits de l'Homme

Si les droits et libertés économiques sont largement garantis par le droit de l’Union européenne, il reste une marge de progression importante pour renforcer la protection des droits sociaux et des libertés fondamentales dans la législation communautaire.

En obligeant l’UE à adhérer à la convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme
et des libertés fondamentales (communément CESDH), le Traité de Lisbonne de 2009 faisait un pas en avant vers une meilleure protection des droits sociaux en Europe. Pour ce faire, un protocole d’accord d’adhésion doit être conclu et ratifié.

Tout irait pour le mieux si la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), connue pour sa jurisprudence particulièrement conservatrice en matière sociale, ne s’en était pas mêlée. Dans un avis rendu fin décembre 2014 (avis 2/13), la CJUE freine des quatre fers contre un renforcement des droits fondamentaux et des droits de l’homme dans l’UE : elle estime que le projet d’accord portant adhésion de l’UE à la convention EDH n’est pas compatible avec les traités européens, ce qui renforce l’isolement juridique du droit communautaire par rapport aux autres sources du droit international, et par rapport aux objectifs de justice sociale que nous défendons.

La question se posait de l’enchevêtrement des systèmes de protection des droits fondamentaux dans l’UE, dans chaque État membre et au sein de la CESDH. Plutôt que d’œuvrer en faveur d’un maillage juridique solide, d’un dialogue des juges constructif et favorable aux droits sociaux, la CJUE estime que le projet d’adhésion de l’UE à la CESDH ne respecte pas les caractéristiques essentielles et spécifiques de l’UE, en particulier son autonomie. La « forteresse libérale » que constitue le droit de l’UE serait donc protégée contre une invasion jugée nuisible, à la fois de la convention et de la Cour européenne des Droits de l’Homme.

Entre autres, la CJUE estime qu’il n’y a pas de coordination entre l’article 53 de la charte des droits fondamentaux (que protège la CJUE) et l’article 53 de la CESDH (que protège la Cour européenne des Droits de l’Homme). Ainsi, selon la première, les États membres ne peuvent pas compromettre le niveau de protection qu’elle prévoit ; ils ne peuvent pas porter atteinte à la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’UE.

  • En clair, le niveau de protection des droits fondamentaux garanti par un État membre ne doit pas être supérieur à celui que garantit le droit de l’UE : c’est le principe de la « confiance mutuelle entre les États membres » : il ne s’agirait pas de mieux protéger chez soi que chez les autres, au risque de froisser la confiance qu’ils nous portent.


Au contraire, la CESDH dispose que son contenu n’est qu’un niveau minimal de protection ; ses membres peuvent appliquer des standards nationaux plus élevés.

C’est là que le bât blesse : la CJUE refuse que les États membres puissent, en cas de conflit d’interprétation, se référer à la CESDH pour revendiquer l’application de dispositions offrant un plus haut niveau de protection. Ce faisant, la CJUE s’oppose à une meilleure protection des droits fondamentaux dans son champ juridictionnel.

Toujours selon le principe de confiance mutuelle, qui structure l’UE, lorsque les relations entre États membres sont régies par le droit de l’UE, les États doivent accepter le niveau de protection des droits fondamentaux dans les autres États membres, sans le vérifier.

Ce n’est pas du tout la logique que promeut la CESDH qui, en assimilant chaque État membre à un État simplement adhérent à la convention, estime que les États doivent obtenir des garanties de protection des Droits de l’Homme chez les autres États adhérents.

Par exemple, un État adhérent pourrait en attaquer un autre pour manquement à l’article 11 de la CESDH qui protège la liberté d’association.

Dans plusieurs autres points de son avis, la CJUE s’oppose à une série de mécanismes par lesquelles la Cour EDH risquerait de grignoter sur son champ de juridiction.

Par exemple, la CJUE s’oppose à ce qu’un juge national puisse indirectement remettre en cause le droit communautaire à l’aune des droits garantis par la CESDH.

Dans cet avis très important, la CJUE protège donc son « pré carré » au nom de l’exclusivité des compétences juridictionnelles de l’UE. Du même coup, elle écarte un peu plus loin d’elle le tissu de protections juridiques que promet la CESDH au détriment des droits et libertés fondamentales. La Cour EDH l’a d’ailleurs regretté : l’ensemble des États membres et des institutions de l’UE se sont déjà exprimées en faveur de la compatibilité de l’accord d’adhésion avec les traités fondateurs de l’UE. En conséquence, le processus d’adhésion de l’UE à la CESDH est retardé, voire stoppé net. Il faudra renégocier et re-rédiger un projet d’accord d’adhésion.

Pour qu’un nouveau projet d’accord soit adopté, il faudra qu’il soit de nouveau soumis à la CJUE avant d’être proposé à la ratification, par les 28 États membres de l’UE et par les 47 États parties à la CESDH…

Pour notre confédération et les travailleurs européens, c’est une très mauvaise nouvelle. Car comme le dit la Cour européenne des Droits de l’Homme : « les premières victimes de l’avis 2/13, ce sont les citoyens qui se voient privés du droit de soumettre les actes de l’UE au même contrôle du respect des Droits de l’Homme, que celui qui s’applique à tous les États membres ».

Une Union européenne encore insuffisamment contrôlée socialement...

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