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Quels sont les indicateurs économiques et sociaux portés par les directions ?
La part des entreprises concernées par les exigences en matière de reporting extra-financier progresse en France. Une contrainte pour certaines directions mais l’occasion pour d’autres de faire bouger des lignes en affirmant le caractère compétitif d’une prise en compte du reporting social au même titre que le strict reporting financier. Un enjeu de compétitivité étroitement lié à la capacité de prévenir les situations à risques en pilotant au mieux et donc sur un mode partagé des indicateurs sociaux pertinents, avec la dimension publique du « rendre compte ».
Jusqu’où aller dans la diffusion des données sociales ? Lesquelles ? Par qui ? Pour en faire quoi ? Retour sur le colloque du 15 décembre 2015, organisé en partenariat avec Malakoff Médéric, Tandem Expertise et Technologia au cours duquel 18 experts ont illustré les interactions croissantes entre les différents producteurs de données sociales. Si la tendance est à l’ouverture, le traitement de ces données reste encore très compartimenté.Piloter le capital immatériel
À partir de 2016, l’intégration du reporting extra-financier dans les rapports de gestion s’impose donc à toutes les entreprises de plus de 500 salariés et plus de 100 millions de chiffre d’affaires avec obligation de vérification de ces données par un organisme tiers indépendant accrédité par le COFRAC. L’occasion de mettre à jour bon nombre d’incohérences, comme c’est déjà le cas quand l’expert comptable du CE regarde le bilan social produit par la direction. Les écarts sont scrutés de près. S’ils sont trop nombreux, le tiers de confiance ne certifiera pas le volet extra-financier du rapport de gestion. Aucune sanction n’est en revanche prévue pour la direction qui déciderait de tout bonnement faire l’impasse sur la certification du reporting extra-financier. Le manquement devra juste être mentionné par le commissaire aux comptes mais cela ne l’empêchera nullement de certifier les comptes.
« Les branches peuvent faciliter les démarches des entreprises en matière de RSE, en se donnant des indicateurs commun et en partageant les données. Il faut normer pour comparer », affirme Arnaud Moyon, associé du groupe Y, un organisme tiers indépendant (OTI). Même écho pour Martin Richer, fondateur du cabinet Management & RSE : « La comparaison n’a de sens qu’au niveau des branches. Il faut faciliter les conditions de cette mise en transparence, quitte à ce que l’État assure son rôle de régulateur en n’hésitant pas à mettre à l’index par le « name & shame » les entreprises dont les pratiques sociales sont les plus mauvaises ».
« Les performances en matière de responsabilité sociale d’entreprise restent difficiles à chiffrer. Toutefois, les crises que connaissent les entreprises (comme avec le cas Volkwagen, par exemple) montrent que les risques importants portent aujourd’hui sur des problèmes de réputation et de relation commerciale », explique Elisabeth Albertini, maître de conférence au master finance de l’IAE de Paris. On est encore loin d’une capacité des entreprises à suivre l’évolution de leur capital immatériel.
Pour la spécialiste de la finance, « nous sommes très contraints par le champ comptable. La formation ne peut ainsi pas être considérée comme un investissement. Cela reviendrait à dire que les salariés qui portent les compétences seraient amortissables. La structure comptable n’évoluera pas mais rien n’interdit de piloter en parallèle un capital immatériel qui n’est pas normé et qu’il est donc difficile de suivre » et Arnaud Moyon de croire que « le droit comptable doit tout simplement évoluer car il ne suffit plus pour mesurer les risques », tout en reconnaissant que « les modes de valorisation du capital immatériel sont encore souvent exotiques ».
Les indicateurs RSE actuels ne suffisent pas, pense Sophie Thiéry, ex-directrice de Vigeo Entreprise (désormais en poste chez BPI) : « Depuis 2008, la quantité d’informations de reporting social baisse. S’il s’agit juste pour l’entreprise de respecter la loi avec les représentants du personnel, cela ne va souvent pas très loin. La solution passera par une co-construction des indicateurs afin d’établir la confiance ». Pour sa part, Martin Richer déplore un certain relâchement du côté de l’Union européenne sur le terrain de la santé au travail : « elle a pourtant été structurante. Mais rappelons qu’en France, le document unique d’évaluation des risques professionnels date de 2001 et il n’y a que 35 % de salariés couverts par cette obligation. L’État doit conserver un rôle de régulateur sur quoi ? ».
Les données de la qualité de vie au travail
Les conditions de travail et désormais plus globalement la qualité de vie au travail sont un thème important du reporting extra-financier. Le taux d’absentéisme en est une illustration, même s’il fait partie des 6 (sur 19) critères sociaux optionnels pour les sociétés non côtées. Voilà un indicateur très délicat à « faire parler » tant il intègre de paramètres. Les maladies et les accidents y pèsent lourd. Les coûts directs (assureurs) et indirects (productivité) sont importants pour les entreprises qui affichent des taux important. « Les causes sont évidemment multifactorielles. C’est pour cela que nous invitons nos clients à croiser
nos analyses avec des données internes comme les enquêtes de climat social, les restruc-
turations ou encore l’activité de l’entreprise. Mais le big data offre de nouvelles perspectives
de croisement avec des données externes comme les épidémies, les conditions de trans-
port... En prenant le nombre de salariés arrêtés au moins une fois dans l'année, nous avons observé que ce nombre croît, comme le nombre de jours d’arrêt. Les actions de prévention que mènent les entreprises ont une incidence directe sur le coût du contrat d'assurance santé et prévoyance. Des réductions pouvant atteindre jusqu'à 10 % peuvent être consenties en contrepartie d’un engagement à prévenir », souligne Anne-Sophie Godon, directrice de l’innovation, des études et de la veille chez Malakoff Médéric et qui accompagne les entreprises dans la mise en oeuvre des actions de prévention sur la base de son analyse des données sociales de ses clients. Par la masse de données sociales transmise par nos clients avec leur déclaration annuelle sociale (DADS), notre groupe dispose de la deuxième base de données juste derrière celle de l’assurance maladie », explique Anne-Sophie Godon.
Salariés, entreprises, institutions publiques : 3 porteurs de données sociales
- Fait nouveau, les salariés portent de plus en plus eux-mêmes leurs données sociales en les partageant sur des réseaux sociaux plus ou moins professionnels. Ce sont eux qui illustrent leur parcours professionnel en mentionnant activités, employeurs, salaire, formation, conditions de travail, santé…
- L’entreprise est la seconde productrice de données sociales sur ses salariés. C’est une production à deux voix puisque les données sont à la fois portées par les représentants des salariés et par les directions.
- Les institutions publiques devraient être les grands agrégateurs des données sociales. Agencées/organisées en silos, elles atteignent leurs limites pour expliquer la complexité des enjeux socio-économiques. Le besoin de diagnostic territorial sur l’emploi, les conditions de travail ou encore la santé est bien réel.
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