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09 / 08 / 2019 | 218 vues
Jean Louis Cabrespines / Membre
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Les devoirs de vacances de l'ESS

Il y a des moments dans l’histoire de l’ESS où l’on ne sait plus où donner de la tête. Pas parce que l’on serait inattentif mais parce que les choses se précipitent, partent dans tous les sens et que ce qui était vérité hier pour certains est aujourd’hui contredit par les mêmes.

Évolution de l’histoire ? Opportunisme ? Abandon de convictions ? Découverte de nouvelles réalités ? Air du temps ? Sans doute un peu de tout cela mais aussi d’autres raisons. Il faut dire que cette période pré-estivale a été marquée par de nombreux événements, tant médiatiques que législatifs ou organisationnels.
 

Ici...

Ainsi et sans que cela soit exhaustif, le « pact for impact », l’étude du Conseil économique et social européen « Vers un cadre juridique européen adapté pour les entreprises de l’économie sociale », le report du vote de la loi sur l’aide au développement, le projet de réforme du mécénat, la mise en place de l’expérimentation du service national universel, le vote de la fusion d’ESS France et du Conseil national des chambres régionales de l’ESS (CNCRESS), les démarches pour le rapprochement entre Initiative France et France Active etc.

Sans parler de la circulaire du 12 juin relative à la mise en œuvre de la réforme de l’organisation territoriale de l’État qui aura, sans aucun doute, des conséquences sur la prise en compte de l’ESS dans les régions et sur le partenariat pouvoirs publics/ESS.

Pour clôturer le tout, la démission du Ministre d'État, Ministre de la Transition écologique et solidaire et la nomination de la Ministre des Transports à sa place (en plus de son propre ministère).

Ainsi, le Ministère de la Transition écologique et solidaire serait soluble dans un autre ministère et n’aurait pas une grande importance, notamment dans sa dimension de l'ESS, la médiatisation de ce départ mettant en avant les questions de l’écologie et de l’environnement mais aucunement l’ESS. Cela interroge sur le portage politique de l’ESS par ce gouvernement : il n’y en a pas !
 

... et ailleurs

Seul le Haut-Commissaire annonce des actions et des propositions mais ne donne pas d’impulsion véritable d’une ESS de changement, ni de transition économique.

Reconnaissons qu’il se démène : après son tour du monde des pays dans lesquels l’ESS est en développement, l’organisation de « pact for impact » a été une manifestation assez réussie, selon plusieurs participants.

Il s’agissait de partir « à la recherche de l’ESS perdue dans le musée des cultures disparues », comme a pu le dire l’un de ces auditeurs.

Disons-le, l’approche générale a été celle de deux visions de l’ESS :

  • une vision classique (Espagne et pays de l’Amérique latine),
  • une autre économie solidaire et réparatrice (Afrique).
     

Malgré la présence de tous « les grands chefs à plume de l’ESS », le Haut-Commissaire n’a rien changé à sa conception de l’ESS : celle d’une mise en valeur de l’entrepreneuriat au détriment du projet politique de l’ESS. Il reste ancré dans cette certitude que l’entrepreneuriat social est l’ESS et que les « historiques » (comme disent les entrepreneurs sociaux) sont ailleurs.
 

Heureusement que le président d’ESS France, Jérôme Saddier, a rappelé l’importance du collectif dans l’ESS.
 

La dynamique créée par cette rencontre devrait permettre de développer l’ESS sur le continent africain, ainsi que l’a déclaré Jamila Elmoussali, Secrétaire d'État marocaine chargée de l'économie solidaire : « Nous avons l'immense plaisir et privilège d'annoncer l'organisation au Maroc en 2020 du premier forum africain de l'économie sociale et solidaire qui sera marqué par le lancement officiel du réseau des ministres africains de l'économie sociale et solidaire » (La Tribune Afrique, 14 juillet 2019).
 

Mais s’il semble que, dans son concept de changement de paradigme économique, l’ESS prenne une dimension importante dans de nombreux pays, nous constatons combien ce mode d’économie n’est pas partagé par tous les ministères en France. La circulaire du 12 juin 2019 relative à la mise en œuvre de la réforme de l’organisation territoriale de l’État montre d’ailleurs un désengagement de l’État dans les politiques de développement économique et une absence de politique publique en faveur de l’ESS.
 

Une volonté commune ?
 

Bien entendu, il n’y a pas qu’en ce domaine que l’État se désengage, laissant aux collectivités territoriales le soin de faire à sa place mais si l’on considère que les entreprises de l’ESS sont des partenaires des pouvoirs publics pour la mise en place de politiques sociales, de lien et de développement territorial, nous ne pouvons pas avoir des partenariats uniquement inscrits dans la commande sans investissement sur les analyses de ce qui se passe et sur les actions à réaliser. L’accompagnement des politiques publiques ne peut se faire que dans la concertation.

Plus que jamais, les acteurs doivent s’emparer du développement de l’ESS.

La fusion entre CNCRES et ESS France* est à réfléchir pour cette inflexion. Nous devons voir les bénéfices pour chacun sans que cette fusion ne fasse disparaître l’approche de l’un ou de l’autre : les CRESS (regroupées au sein du CNCRESS) sont dans une logique ascendante, par leur relation aux acteurs dans les régions tandis que les membres d’ESS France sont dans une logique descendante, en direction de leurs organisations territoriales.

Privilégier l’un ou l’autre signifierait ignorer ce qu’est l’ESS et sa construction. L’avenir nous dira si cette décision est une bonne ou une mauvaise chose. Nous ne sommes pas persuadés que la restructuration d’appareils soit une réponse suffisante si elle n’est pas respectueuse des acteurs et si elle n’est pas étayée par une vraie vision politique du développement de l’ESS.

Ainsi, chacun des présidents se félicite de cette fusion :

  • Jérôme Saddier, président d'ESS France, « se réjouit d'avoir franchi cette étape, qui est l'illustration d'une volonté de renforcer le portage politique de l'économie sociale et solidaire. Cette fusion va permettre de reposer les enjeux territoriaux au cœur du développement de l'ESS en laissant une place plus importante aux CRESS et à leurs missions dans notre nouvelle organisation » ;
  • Marie-Martine Lips, présidente du CNCRESS, « se félicite de cette fusion qui se traduira par l'implication directe de l’ensemble des chambres régionales de l'ESS au sein d'ESS France. Cette nouvelle composition devra être à la hauteur de l'ambition que l'on se fixe collectivement, faire de l'ESS la norme de l'économie de demain » (La lettre mensuelle et les brèves du CIRIEC-France, juillet-août 2019, page 8).
     

Cette volonté affichée ne supprime pas les appréciations différentes sur ce qu’est l’ESS. La loi de 2014 n’a pas réellement permis les rapprochements attendus. Les critiques portant sur cette loi persistent et le climat de remise en cause des fondements de l’ESS ne fait qu’accroître les incompréhensions et les appréciations négatives entre les « historiques » et les « nouveaux ».
 

Cinq ans après...
 

Ainsi, Jonathan Jeremiasz, président du Mouvement des entrepreneurs sociaux (MOUVES), déclarait dans son interview aux Échos du 6 novembre 2018 : « ... L'un des grands défauts de la loi Hamon est qu'elle prévoit des exigences différentes en fonction des statuts juridiques des entreprises. Par exemple, pour l'obtention de l'agrément ESUS, l'encadrement des rémunérations est imposé aux entreprises à capitaux, mais pas aux « statutaires ».

De fait, la loi Hamon intègre dans l'ESS des structures qui n'ont plus rien ni de social ni de solidaire, et dont la rémunération des dirigeants dépasse les niveaux raisonnables et décents et se rapprochent de celles des grandes entreprises capitalistes classiques.

Cela pose un problème éthique et empêche l'ESS de parler plus fort et d'une seule voix. Notre secteur social et solidaire doit prévoir des limites raisonnables au partage de la richesse créée et à l'enrichissement personnel, sinon on trompe le grand public ».

Bien entendu, il ne souligne pas qu’une entreprise sociale n’est pas forcément inscrite dans un projet collectif et que le capital peut appartenir à une ou plusieurs personnes qui pourront le valoriser lorsqu’ils le souhaiteront, ce qui n’est pas le cas pour les entreprises à statut de l’ESS, que l’agrément ESUS n’a pas force de contrainte dans le temps comme peuvent l’avoir les statuts et qu’il est possible de sortir de cet agrément à loisir dès lors que l’on veut donner une autre orientation à l’entreprise.

Mettons aujourd’hui notre espoir d’une approche plurielle et concordante dans l’évolution de la représentation nationale de l’ESS. Le chantier est grand pour le président d’ESS France. Il déclare dans L’Humanité du mardi 2 juillet : « l’ESS est la norme souhaitable de l’économie de demain » mais faisons auparavant tout pour que l’ESS soit vraiment unie.

Il est intéressant de voir que l’ESS devient un véritable sujet de doctorat. Ce mois-ci, nous avons rencontré deux doctorants qui travaillaient, sans s’être concertés, sur des sujets proches portant sur la loi de juillet 2014 sur l’ESS et sur son devenir. Ces rencontres ont permis de faire le point entre ce que tous les acteurs espéraient de cette loi et ce que cela a produit, cinq ans après. Pour beaucoup, la déception est grande.

Nous devrions tous nous y pencher tant les enjeux alors évoqués sont aujourd’hui, pour certains, caducs ou dévoyés. Nous devrions tous nous interroger sur l’intérêt d’une loi qui, petit à petit, est détricotée par celui qui devrait la faire appliquer (le Haut-Commissaire) et par ceux qui ont réclamé avec force démonstration la nécessité de tel ou tel article aujourd’hui en déshérence ou problématique car réinterprété dans un contexte différent.
 

Et l’avenir ?
 

Dans son article paru dans Mondes Sociaux, (« Les nouveaux périmètres de l’économie sociale et solidaire », 30 août 2019), Pascal Glemain souligne : « c’est à une « autre » échelle que s’envisage l’économie sociale et solidaire contemporaine, à la fois comme une altérité économique et un nouveau projet de société ».

Quel sens cela peut-il avoir dans une société qui continue de promouvoir un modèle d’une économie où ce qui prime est l’accroissement du capital pour quelques-uns et où les entreprises de l’économie sociale et solidaire sont apparentées à ces entreprises ?

C’est ce que rappelle le rapporteur d’un avis du Conseil économique et social européen, Alain Coheur (avis d’initiative adopté le 19 juin 2019 : « Vers un cadre juridique européen adapté pour les entreprises de l’économie sociale ») : « Qu’elles soient des coopératives, des mutuelles, des entreprises sociales ou des associations, toutes les entreprises qui exercent une activité économiquement viable et permettent, le cas échéant, de dégager des excédents, sont assimilées aux entreprises de type capitaliste à but lucratif. Or, les entreprises d’économie sociale (ESS) ne poursuivent pas d’objectif de maximisation ou de rentabilité du capital mais un objectif social ».

Cet avis rappelle d’ailleurs, fort à propos, ce que sont les entreprises de l’économie sociale : « Les entreprises et organisations de l’économie sociale sont gérées selon des caractéristiques, des valeurs et des principes communs tels que la primauté de la personne et de l’objet social sur le capital, l'adhésion volontaire et ouverte et la gouvernance démocratique. Elles ne cherchent pas à maximiser les bénéfices à court terme mais à assurer leur viabilité à long terme. Les bénéfices sont réinvestis dans la création ou le maintien d’emplois ou dans le développement d’activités répondant à l’objet social ou sont encore répartis collectivement en fonction de la contribution personnelle des membres ».

L’avenir est bien dans notre capacité à nous regrouper pour mener, ensemble, un projet d’une autre conception de la relation au monde économique et social.

Plusieurs opportunités nous seront offertes, dès la rentrée de septembre, pour échanger et construire, ensemble, une vraie politique de l’ESS :

Durant l'été, nos devoirs de vacances nous permettent de mieux approfondir les nombreux sujets qui nous préoccupent ou pour lesquels nous constatons des changements. Ainsi, une lecture attentive des tweets montre que plusieurs questions restent en suspens quant à l’avenir de l’ESS et de ses organisations. Nous n’en citerons que trois :

Enfin, des lieux de concertation sont à rapprocher.

Au Parlement européen, au Conseil économique et social européen et au Conseil économique, social et environnemental français, il existe des « intergroupes de l’ESS » permettant aux différents représentants d’échanger  entre eux dans leurs institutions propres. Sans doute devons-nous tout faire pour qu’ils se regroupent afin de donner une inflexion forte sur les politiques européennes et françaises en faveur de l’ESS et pour construire ensemble une politique concertée émanant des acteurs prenant ainsi leur destin en main.

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* Sur cette fusion, lire ci-après l’interview de Jérôme Saddier, donnée il y a quelques semaines sur ce site.

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