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10 / 07 / 2009 | 305 vues
Jean-Claude Delgenes / Membre
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Fusion-acquisition : « Vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir ! »

On reconnaîtra en cette phrase de Dante qui a inspiré Rodin pour la réalisation de sa célèbre « Porte des enfers » jamais achevée,  l’annonciation d’une douleur implacable pour ceux « maudits » qui sont conduits à franchir cette porte des ténèbres.

L’enfer « social » c’est ce que vivent les salariés dans certaines entreprises modernes. Pas dans toutes fort heureusement.

  • Une des catastrophes économiques et sociales qui frappe sournoisement l’économie française et que chacun occulte, est la destruction de valeur opérée par les grands groupes qui rachètent des PME florissantes ou  les conduisent par une pression exagérée sur les prix à des dépôts de bilan. Ce faisant ils génèrent bon nombre de souffrance pour les salariés de ces sociétés.


Le travail il faut bien l’admettre revêt une ambivalence qui peut conduire au grand écart les salaries. D’une part il procure une rémunération moyennant une contribution à l’employeur. D’où la profonde angoisse de ceux qui perdent leur emploi car en absence d’un pécule, cette perte de rentrées financières peut amener à l’isolement et à la marginalité. Le travail de plus permet de se construire une identité professionnelle. Il intègre l’individu lui donne un rôle social. Le souci aujourd’hui est qu’il intègre tellement qu’il peut broyer. En cela il convient de revenir à des pratiques plus respectueuses de la santé des êtres humains.  

Néanmoins toutes les entreprises ne sont pas identiques sur ce plan. Ainsi la grande majorité des petites entreprises ne génèrent pas autant de souffrance ou de désespoir chez leurs salariés. Pour s’en convaincre il suffit de se rapporter à l’étude de l’Anact de 2007 qui montrait à l’époque qu’à plus de 85 % les salaries des PME se montraient satisfaits de leurs conditions de travail. C’était  il y a deux ans ! Une éternité à l’aune de la crise sociale et économique bien présente et qui va encore s’aggraver à la fin de l’année avec l’arrivée à terme des dispositifs de chômage partiel.  Depuis cette étude, la crise a bouché l’horizon et grossit le cortége des laisses pour compte. Depuis lors les dirigeants des grands groupes ont  montré combien ils étaient désemparés en poursuivant avec les vieilles recettes d’hier
(Réduction des effectifs essentiellement) l’adaptation de leurs structures. Comme si cette solution  était efficace, comme si c’était la seule, voie possible.

« Small était beautifull »


Si hier « Small était beautifull » c’est encore le cas aujourd’hui. En dépit de la crise le dernier sondage réalisé par le CSA à la demande de l’ Anact et du Groupe Mederic rendu public jeudi 11 juin  a montré que dans les petites structures, c’est à dire les sociétés qui ont encore la taille humaine ils faisaient « encore » bon travailler.

Alors que trouvent les salariés dans les petites structures qui les rendent plus positifs et sans doute plus impliqués ? Tout d’abords la proximité avec la direction qui permet de se parler ! De traiter les problèmes ! D’avoir en quelque sorte prise sur les décisions qui affectent le travail ! Cela alors que dans les grands groupes la distance est devenue abyssale entre les salariés et leurs dirigeants !

La semaine passée je discutais avec un cadre responsable de la certification dans une multinationale. Il me disait « quand je suis entré dans la société il y a 30 ans je voyais mon boss toutes les semaines ! On échangeait ! On s’enrichissait mutuellement ! Maintenant tout se fait par mail ! Par reporting distancié ! Je n’avais pas vu mon directeur depuis deux ans avant la dernière fois ! Et la dernière fois la discussion a duré dix minutes et je me suis fait incendier ! ! »

  • A n’en pas douter dans les petites structures la proximité avec les dirigeants, la capacité à  influer sur le procès de décision , l’appartenance à un collectif ou chacun se connaît  sont des facteurs de régulation, de traitement des problèmes par la parole, de prévention des risques psycho sociaux.

« Ici sur le  site le cadre dirigeant n’a aucun pouvoir ! C’est un simple - hôtelier - ! Le pouvoir est ailleurs, la bas près des directions techniques et financières ! » Qui plus est dans les grandes structures la distance entre la haute direction et les salariés  qui constitue un lourd handicap est un phénomène renforcé par l’organisation matricielle. Les responsables de site, ceux qui sont en réelle interface avec le terrain n’ont plus de pouvoir pour répondre aux attentes des salariés ! Bon nombre de représentants des salariés le disent  « Ici sur le  site le cadre dirigeant n’a aucun pouvoir ! C’est un simple - hôtelier - ! Le pouvoir est ailleurs, la bas près des directions techniques et financières ! »  

On voit bien que le mode de régulation par la parole, par l’écoute et l’empathie est plus aisé à manier dans les petites structures que dans les multinationales ; Autre avantages des PME c’est la reconnaissance. Le chef de la PME connaît ses troupes et peut gratifier quand c’est un bon manager les uns et les autres des mérites qu’ils leur revient. La reconnaissance est double. Il y a la reconnaissance par le jugement de beauté. Le responsable apprécie la belle qualité du travail réalisé, de l’ouvrage rendu et il y a ce que l’on nomme le jugement d’utilité, le manager authentifie que les objectifs ont été bien atteints.

La reconnaissance en berne

Dire simplement « merci c’est du bon boulot ! » rentre dans l’injonction contradictoire pour les managers Aujourd’hui dans les grandes sociétés, la reconnaissance des salariés n’opère plus comme il devrait. Les réunions annuelles d’évaluation des compétences sont devenues très stressantes pour les salariés dans un contexte ou la peur du licenciement ou du déclassement conduit les évalués à sur investir dans ces processus mal adaptés. De plus les managers reconnaissent de moins en moins l’implication des salariés qui payent pourtant parfois un coût psychique lourd pour maintenir celle-ci à un haut niveau.

Reconnaître c’est laissé entrevoir une possibilité d’augmentation. Dire simplement « merci c’est du bon boulot ! » rentre dans l’injonction contradictoire pour les managers  qui ne veulent pas encourager les demandes d’augmentation de salaires ou se sentir obligés. Cette reconnaissance insuffisante paralyse la construction des identités fortes au travail

Dans les PME le collectif est très important. Le soutien de chacun au groupe est essentiel à la survie de l’entreprise. Chacun dans son travail est donc aspiré, conduit à se transcender  dans une dynamique collective. Chacun comprend que son absence peut conduire à accroître le travail des autres. Chacun peut être plus facilement valorisé car une PME sans collectif fort est conduite à disparaître.

Les grandes  entreprises ont sur ce versant des risques psychosociaux beaucoup de difficultés à s’organiser sous forme « alvéolaire » afin de maintenir par une taille adaptée des processus de décision et de distribution de la charge de travail respectueux de  la santé des salariés. Une de ces difficultés consiste à mettre en place des responsables RH ou DG de proximité avec un vrai pouvoir de décision. Une autre difficulté est d’affronter la concurrence sur le marché mondial.  

Absentéisme qui grimpe

Cette situation a beaucoup d’inconvénients. Tout d’abord la montée de l’absentéisme dans les très grosse PME et les grandes entreprises. Dernièrement un cadre manager d’une multinationale me disait que dans certains services l’absentéisme frôlait les 50 %.Cette progression rampante est bien entendu inégale. Toute chose égale par ailleurs elle semble plus forte dans le Sud Est que dans la Région Parisienne. On estime que 1 point d’absentéisme équivaut à 1 point de coût de masse salariale. Les dirigeants des organismes assurantiels chargés d’amortir le coût de l’absentéisme pour les firmes s’arrachent les cheveux. En effet pendant des années ils ont encaissé ces coûts croissants par l’augmentation de leurs tarifs. Aujourd’hui leurs clients qui ont une marge de manœuvre plus réduite ne veulent plus subir des augmentations. Celles-ci ne peuvent plus être la solution. Voila pourquoi les mutuelles, les sociétés d’assurance, et les Institut de Prévoyance se lancent dans des programmes de prévention des risques professionnels car cette dynamique négative est porteuse de lourdes pertes à terme.

  • Voila pourquoi Mederic recrute une directrice de la prévention des risques professionnels et a fait de cet axe stratégique sa priorité pour les prochaines années, imité en cela par les autres organismes.  


L’absentéisme en résultat de problèmes non réglés sur ce versant des risques professionnels  atteste d’un désinvestissement des salariés qui peut prendre d’autres formes. Travail en perruque. Sabotage et surtout présentéisme Un DRH d’une société Télécom me disait récemment que chez lui  son problème étaient que les salariés « travaillaient à 70 % et qu’ils laissaient une grande partie de leur énergie et de leur richesse inemployée ». Cet état de fait était le résultat d’un rachat à marche forcée de plusieurs autres sociétés pour pouvoir s’implanter sur le marché français. Que chaque rachat conduisait à des réorganisations et à des changements largement subis par les salariés. Les salariés étaient d’autant plus perturbés que souvent des licenciements survenaient pour clore cette boulimie. Ces phénomènes de désinvestissement de la part des salariés ont  ralenti considérablement la croissance interne de ces sociétés.

Les multinationales ne tiennent souvent aujourd’hui qu’en raison de leur rachat de PME

Ainsi le constat s’impose. Les grandes firmes, les multinationales ne tiennent souvent aujourd’hui qu’en raison de leur rachat de petites ou  moyennes structures à  forte croissance.

Elles tirent à court terme et moyen terme, une bonne partie de leur richesse et de leur équilibre du rachat et de l’intégration plus ou moins réussies de ces structures de taille plus réduite. Ce faisant ces rachats, cette croissance externe conduisent à des destructions massives de valeurs. Car bien vite ce qui faisait le succès des PME est dévoyé dans les grands groupes. Qui se souvient de nos jours de « coup de cœur » une marque textile à forte croissance rachetée par un grand groupe textile lui-même désormais en difficulté ? On estime que les fusions- absorptions sont des échecs  trois fois sur quatre. Les exemples sont légions.

  • Si on reprend le cas de la société Télécom cité plus haut les rachats massifs ont conduit à des investissements par la dette très importants qui sont loin d’être en rapport avec les gains de part de marché aujourd’hui réalisés par la multinationale. Seul gain réel une relative pénétration du marché français. Payée très cher. Le marché étant ce qu’il en temps de crise, cette croissance externe par endettement conduit à la mise en place d’un plan social. Autre gain sans doute le plus important à leurs yeux, les dirigeants par cette stratégie ont acheté du temps. Au moins 3 ou 4 ans ou il a été très délicat de situer ce qu’il ressortait de la croissance interne et externe. 3 ou 4 ans ou le rapprochement des périmètres et le recours aux techniques comptables ont instauré un clair obscur qui a caché la vanité dérisoire de cette stratégie. 3 ou 4 ans de pouvoir et de fortes rémunérations.


Tout se passe alors pour les salariés de ces sociétés rachetées  comme s’ils quittaient un relatif paradis, où ils étaient connus et reconnus,  pour entrer dans un purgatoire ou encore parfois  l’enfer. Car cette destruction de valeur s’accompagne d’une mutation dans les pratiques RH.

Auparavant les salariés et leurs représentants étaient plus enclins à  accepter ces rapprochements qui pouvaient signifier plus de sécurité dans l’emploi. Désormais ce n’est plus le cas car les grandes entreprises sont celles qui détruisent le plus d’emploi.

Aujourd’hui et de plus en plus les salariés des sociétés rachetées font preuve de la nostalgie du passé. Aussi plus que jamais il parait indispensable de réaliser dans les entreprises d’authentiques démarches de prévention des risques professionnels en mettant « la santé physique et mentale »  au cœur des entreprises.

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