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24 / 07 / 2017 | 3 vues
Pierre-Yves Montéléon / Membre
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Compte personnel de prévention : la prévention recule

Le 20 juillet, la Ministre du Travail a présenté au COCT le projet de compte personnel de prévention qui va remplacer le compte prévention pénibilité.

Quoi de neuf dans l’annonce de la Ministre ?

1) Pas de changement concernant 6 facteurs de pénibilité pour lesquels il est relativement aisé de faire en sorte que les salariés concernés n’atteignent pas les seuils fixés :

Soit en réduisant le temps passé aux postes exposant à ces facteurs :
  • travail de nuit : au moins de 120 nuits par an ;
  • travail répétitif : selon le temps de cycle de plus ou moins 30 secondes, au moins 15 ou 30 actions par minute ;
  • travail en horaires alternants : au moins une heure entre minuit et 5 heures du matin, ceci un minimum de 50 nuits par an ;
  • travail en milieu « hyperbare » : au moins 60 interventions dans l’année ;
  • températures extrêmes : 900 heures par an de travail dans une ambiance à moins de 5° ou à plus de 30°, à l’exclusion des températures extérieures.
Soit en imposant aux salariés le port d’équipements de protection individuels ou mettant en place des équipements de prévention collectifs :
  • bruit : équivalent à au moins 81 décibels (A) pendant 8 heures par jour et au moins pendant 600 heures par an ou au moins 120 fois par an à un bruit « de crête » d’au mois 135 décibels (C).
2) La suppression des 4 facteurs de pénibilité prétendument plus « complexes » à évaluer et concernant un plus grand nombre de salariés (cf enquête Sumer de la DATES) :
  • manutentions manuelles de charge : au moins 7,5 tonnes par jour pendant au moins 120 jours ou porter ou lever au moins 600 heures par an des charges de 15 kg ou pousser ou tirer des charges de 250 kg ou lever du sol à au-dessus des épaules des charges de 10 kg ;
  • postures pénibles: au moins 900 heures par an, maintien des bras en l’air à une hauteur située au-dessus des épaules et/ou positions accroupies et/ou positions à genoux et/ou positions du torse en torsion à 30 degrés et plus et/ou positions du torse fléchi à 45 degrés et plus ;
  • vibrations mécaniques : au moins 450 heures par an au-delà des seuils d’intensité de 2,5 m/s pour les vibrations transmises aux mains et aux bras et/ou de 0,5 m/s pour les vibrations transmises à l’ensemble du corps ;
  • agents chimiques dangereux : une exposition d’au moins 150 heures par an et si l’employeur ne peut démonter qu’il a pris les mesures de prévention adaptées ou que le risque est inférieur à 30 % de la valeur limite d’exposition professionnelle.
Pour ces 4 facteurs, retour à la loi du 9 novembre 2010 en fixant le seuil à 10 % (au lieu de 20 %) et sans critère de durée.

Note : Une nouvelle loi est inutile pour cela. Il suffit d’en modifier les décrets d’application.
En revanche, suppression de la commission pluridisciplinaire (pour ces 4 facteurs) qui est remplacée par une « visite médicale » dont on se demande bien quels médecins en seront chargés sachant que les médecins du travail et les médecins-conseils de la sécurité sociale sont déjà surchargés et sont de moins en moins nombreux.

3) Suppression du financement spécifique prévu par la loi de 2014 et extension du champ du financement mutualisé prévu par la loi de 2010 aux 6 facteurs de pénibilité « subsistants »
. En « raflant » au passage les fonds excédentaires de la branche accidents de travail-maladie professionnelle (AT/MP), seule branche de la sécurité sociale à ne pas être en déficit actuellement.

La prévention primaire priorité n° 1 du plan santé travail 3 est secondaire à la réparation.

Au total, on constate un recul de la prévention puisque le financement est mutualisé et que les entreprises exposant leurs salariés ne sont donc plus pénalisées par une citation spécifique, disposition qui visait à les inciter à faire de la prévention ; un recul de la prévention puisque l’accent est porté sur la réparation : départ à la retraite « deux ans plus tôt » en cas de maladies professionnelles ou d’accidents du travail ayant justifié (c’est beaucoup et pas facile à obtenir) d’au moins 10 % d’incapacité au moins deux ans avant l’âge légal de départ à la retraite (alors que l’on sait que, par exemple, qu’une maladie liée à l’exposition à des produits chimiques cancérigènes peut survenir des décennies après et souvent lorsque l’on est déjà à la retraite).

Mais aussi un recul de la prévention puisqu’il faut démonter l’existence de « traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé » (en bref, d’être atteint d’une maladie professionnelle) pour bénéficier d’un départ anticipé.

Un recul de la prévention puisque pour les 4 facteurs supprimés, il n’est plus question d’envisager le cumul de points pour se former et changer de métier avant d’en être malade.

Un recul de la prévention puisque (sous le fallacieux prétexte de simplification) qu'il ne sera plus nécessaire d'évaluer le risque pénibilité pour 4 facteurs.

Un recul de la prévention puisque qu'aucune traçabilité des expositions (fréquence, intensité et durée) n'existe réellement (suppression de la fiche d'exposition en 2014) et suppression prévue des seuils pour 4 facteurs.

Un recul de la prévention puisque les fonds excédentaires de la branche AT/MP ne seront, une fois de plus, pas consacrés à la prévention (en étant par exemple versés au fonds national de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, FNPAT, moins de 400 millions d’euros) mais ils seront, au contraire, consacrés à la réparation s’ajoutant à plus de 9 milliards d’euros déjà versés chaque année en réparation des AT/MP et en augmenter la part mutualisée (actuellement déjà plus de 60 % des dépenses).

Un recul de la prévention puisque le signal est donné : la prévention primaire priorité n° 1 du plan santé travail 3, dont un premier « bilan » était présenté lors de la même réunion du COCT, est secondaire à la réparation.

Cherchez l'erreur : simplification pour les employeurs et procédure complexe pour les salariés qui auront désormais la charge de la preuve du lien entre leur pathologie et le travail !

En conclusion, les défenseurs du projet de loi nous présentent comme une « avancée » le fait de permettre le départ anticipé avec une incapacité de travail d’au moins 10 %, c’est faux, cette possibilité existe depuis 2010 ! Ils nous parlent de simplification pour l'employeur puisqu'il n'aura plus à évaluer.

Quatre facteurs de pénibilité (et la notion même de pénibilité) sont supprimés : point final. Retour au droit de rendre malade les salariés en échange d’une pseudo-réparation dont la plupart ne bénéficieront pas faute d’avoir été malades « dans les temps » légaux !

Pour les salariés : une prévention réduite à sa plus simple expression et ensuite le « parcours du combattant » pour faire reconnaître l'origine professionnelle d'une incapacité de 10 % ou plus.

Cherchez l'erreur : simplification pour les employeurs et procédure complexe pour les salariés qui auront désormais la charge de la preuve du lien entre leur pathologie et le travail !

Toujours rien sur la prévention de l’épuisement professionnel (« burn-out », « bore-out »…) et les risques psychosociaux, ni sur la réparation des maladies qu’ils occasionnent : stress, dépression, suicides…

Il ne reste qu'à supprimer les CHSCT et ses missions assurées par des représentants des salariés formés à l'évaluation des conditions de travail et capables d'alerter l'employeur sur les dangers graves qui pèsent sur certains travailleurs qui « bénéficeront » juste avant (ou après) leur retraite d'une incapacité physique de 10 % ou plus (en clair, des traces irréversibles et gênantes d'une maladie professionnelle) à cause de leur travail et qui partiront en mauvaise santé deux ans plus tôt à la retraite dont ils espéraient pleinement bénéficier.

N'oublions pas que, pour les bénéficiaires d'une incapacité de 10 %, l'espérence de vie « en bonne santé » est réduite à 0 année !

Rappel
La loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites avait prévu dans son chapitre II (article 79 et suivants) un système de « compensation de la pénibilité » :

« Art.L. 351-1-4.-I. ― La condition d’âge [de 62 pour le départ à la retraite] est abaissée, dans des conditions fixées par décret, pour les assurés qui justifient d’une incapacité permanente […] au moins égale à un taux déterminé par décret, lorsque cette incapacité est reconnue au titre d’une maladie professionnelle […] ou au titre d’un accident de travail mentionné […] et ayant entraîné des lésions identiques à celles indemnisées au titre d’une maladie professionnelle.
II. ― La pension de retraite liquidée en application du présent article est calculée au taux plein même si l’assuré ne justifie pas de la durée requise d’assurance ou de périodes équivalentes dans le régime général et un ou plusieurs autres régimes obligatoires.
III. ― Les I et II sont également applicables à l’assuré justifiant d’une incapacité permanente d’un taux inférieur à celui mentionné au I, sous réserve :
1° que le taux d’incapacité permanente de l’assuré soit au moins égal à un taux déterminé par décret ;
2° que l’assuré ait été exposé, pendant un nombre d’années déterminé par décret, à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels mentionnés à l’article L. 4121-3-1 du Code du travail ;
3° qu’il puisse être établi que l’incapacité permanente dont est atteint l’assuré est directement liée à l’exposition à ces facteurs de risques professionnels.
Une commission pluridisciplinaire dont l’avis s’impose à l’organisme débiteur de la pension de retraite est chargée de valider les modes de preuve apportés par l’assuré et d’apprécier l’effectivité du lien entre l’incapacité permanente et l’exposition aux facteurs de risques professionnels. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de cette commission ainsi que les éléments du dossier au vu desquels elle rend son avis sont fixés par décret
 ».

Son financement est assuré « par une contribution de la branche « accidents du travail et maladies professionnelles couvrant les dépenses supplémentaires engendrées par les départs en retraite à l’âge fixé en application » de cette mesure.

Les décrets d’application ont fixé le taux d’incapacité à minimum à 20 % (application automatique du départ « anticipé » à 60 ans) et à 10 % après validation, cas par cas, de la « commission pluridisciplinaire ».

La loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites a institué le compte personnel de prévention de la pénibilité.

Quatre facteurs ont été pris en compte à partir du 1er janvier 2015 : le travail de nuit, le travail en équipes successives alternantes, le travail répétitif et les activités exercées en milieu « hyperbare ».

Six autres facteurs seront pris en compte à partir du 1er juillet 2016 : les manutentions manuelles de charge, les postures pénibles, les vibrations mécaniques, les agents chimiques dangereux, les températures extrêmes et le bruit.

Le financement de cette mesure est assuré par la création de deux cotisations « patronales » spécifiques : la cotisation pénibilité dite « de base » et la cotisation pénibilité dite « additionnelle ». Ces cotisations ont pour objet d’abonder le fonds chargé du financement des droits liés au compte personnel de prévention de la pénibilité.

La loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi avait déjà simplifié les conditions de mise en œuvre du compte personnel de prévention de la pénibilité. Elle a notamment allégé la charge déclarative de l’employeur. Elle supprime ainsi la fiche d’exposition et prévoit la déclaration des facteurs d’exposition dans les supports déclaratifs existants (DADS) et, à terme, dans la déclaration sociale nominative (DSN).

Des référentiels de branches devaient aider les employeurs à identifier les situations concernées. À ce jour, seulement 13 branches sur près de 700 ont produit un référentiel « validé ». Ces référentiels étaient exclusivement réalisés par les employeurs de la branche concernée sans aucune obligation de dialogue social avec les salariés de la branche ou leurs représentants. Aucun des 13 référentiels homologués n’a été conçu paritairement.

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