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12 / 04 / 2012 | 7 vues
Denis Garnier / Membre
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La santé dans tous ses états

La santé peut-elle devenir un bien de consommation comme les autres ? L’état de nature n’est-il pas suffisant pour fonder l’inégalité ? Faut-il en ajouter ? La solidarité nationale pour tous peut-elle triompher de l’égoïsme de quelques-uns ? Telles sont les questions que je souhaite aborder dans ce texte en trois parties.

De l’état de nature...

En parcourant les petites routes de l’Entre-Deux-Mers qui mènent à ma conférence sur la santé, mon œil est flatté par la flamboyance des forsythias, des cognassiers du Japon ou encore par ces quelques tulipes qui transpercent les corbeilles d’or qui bordent les massifs de maisons bien entretenues. À l’abri de leur véranda, sous une glycine larmoyante, j’aperçois quelques ombres qui semblent rire autour d’un bon verre, peut-être en se délectant de ce blanc si subtil de l’Entre-Deux-Mers. Plus loin c’est un vieux paysan, coiffé d’un béret, qui rentre chez lui solidement arrimé sur le siège de son tracteur qui pétarade et laisse échapper derrière lui de longues traînées noires s’évaporant dans les bois de chênes qui bordent la route sinueuse.

De prés en forêts, de vignes en villages, il existe ici un parfait équilibre entre l’homme et la nature. Un état qui libère le bien-être et favorise donc la bonne santé. Chacun peut y libérer le plaisir des sens.

  • … à la santé naturelle,

La santé est définie plus scientifiquement par l’Organisation Mondiale de la Santé, comme « un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. Elle implique que tous les besoins fondamentaux de la personne soient satisfaits, qu'ils soient affectifs, sanitaires, nutritionnels, sociaux ou culturels et du stade de l'embryon, voire des gamètes à celui de la personne âgée ».

Le simple fait de naître impose la dignité. La nature est suffisante pour imposer ses inégalités et il n’est du rôle d’aucun homme d’en ajouter. Il appartient donc aux hommes faisant société d’organiser ce bien-être, affectif, sanitaire, nutritionnel, social ou culturel. S’occuper de cet intérêt collectif sans n’en oublier aucun, offrir aux générations naissantes un cadre meilleur que celui qui nous a accueillis, est l’essence même de toute société. C’est une mission essentielle pour l’État. C’est une ambition volontaire pour tous ceux qui aspirent au mieux-être.

  • … la santé devient une dépense

Ainsi, la solidarité nationale doit organiser cette réponse. Elle a un coût, c’est évident.  Mais il devient insupportable de transformer progressivement la bonne santé de la population en une source de profits pour les uns et en un abandon pour les autres. Je pensais naïvement qu’un ministre de la Santé d’une République comme la France partageait cela. Or, de gouvernement en gouvernement, l’éthique de la santé, si bien définie par l’OMS, se délite progressivement dans une logique mercantile et se transforme ainsi en une proie livrée aux prédateurs aux envies de profits tout à fait insatiables.

La santé, comme une réponse aux besoins affectifs, sanitaires, nutritionnels, sociaux ou culturels, n’est pas une dépense mais une production de richesses indispensables au maintien de cet équilibre entre l’homme et la nature.

Or, les règles de la finance tentaculaire ont progressivement enserré l’éthique de la santé dans un cadre maléfique dans lequel, comme l’écrivent des gens très bien, il n’est pas nécessaire d’être le diable pour le devenir. C’est ainsi que Claude Evin, ancien éducateur spécialisé, Ministre de la Santé socialiste, a été nommé directeur général de l’Agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France pour appliquer la plus vile des politiques menée par un gouvernement en matière de santé. En faisant cela, il s’oppose à l’éthique gravée dans le préambule de notre constitution de 1946. Le marché a eu raison de lui, mais pas seulement de lui.

Quand la doctrine consacre l’inégalité

Insidieusement, la volonté de contenir les dépenses de santé dans un cadre acceptable pour tous s’est transformée en une doctrine ravageuse de bien-être. Ce qui était un outil (la maîtrise des dépenses de santé) est devenu un objectif politique au service de prédateurs sans foi, ni loi, ni frontière. La santé est devenue un bien de consommation inaccessible pour un nombre croissant de personnes. Le service public hospitalier est lapidé sur la place de la rentabilité.

  • L’hôpital disloqué entre l’éthique et la finance

La tarification à l’activité (T2A), la nouvelle gouvernance des hôpitaux et la dernière loi Hôpital Patients Santé Territoire (HPST) forment la trilogie de cet hôpital disloqué entre l’éthique et la finance. Ce devient une entreprise de production de soins.

Avec la T2A, l’hôpital ne dépense plus un budget, il doit générer des recettes. Pour cela il est astreint à des objectifs quantifiés de soins qu’il doit atteindre sans les dépasser. Tout objectif non atteint génère un déficit. Tout objectif dépassé entraîne une sanction.

Pour honorer ce contrat unilatéral fixé sur ordre du gouvernement par le seul directeur de l’Agence régionale de Santé, les élus et les représentants des usagers ont été écartés de toutes délibérations. Seul le directeur d’hôpital est responsable de ces objectifs qu’il tente de décliner au niveau de pôles d’activité menés par des médecins, devenus comptables d’actes médicaux. Seuls, ils doivent rendre des comptes. S’ils n’y arrivent pas, ils sont remerciés !

Enfin la loi HPST abandonne le service public hospitalier aux lois du marché, c'est-à-dire aux commerçants de la santé. Les cliniques commerciales peuvent dépouiller l’hôpital public de ses missions de service public les plus rentables. Pour préparer cette immersion dans la rentabilité, l’efficience, la performance, l’hôpital public se fond désormais dans une dénomination générique « d’établissement de santé », comme les cliniques commerciales.

Les premières conséquences de cette trilogie se font déjà sentir. Les malades sont triés entre les rentables et les coûteux. Chaque strate de cette nouvelle gouvernance reporte les contraintes imposées sur le niveau inférieur sans donner aucun moyen d’y répondre. La qualité des soins est abandonnée au profit d’une procédure dégradée qui n’assure guère plus que la sécurité et encore pas dans tous les secteurs d’activité. Le personnel, qui a vu les effectifs amputés de 20 000 emplois en deux ans (2009-2010), est épuisé, dégoûté, démotivé. L’absentéisme prend des proportions inquiétantes, les maladies professionnelles et les accidents de travail sont en forte hausse, mais rien n’y fait. La doctrine s’impose et lamine tous les éléments du bien-être qui caractérisent la bonne santé.

  • Des médecins méprisables abandonnent Hippocrate

La simple lecture de cet extrait du serment d’Hippocrate (serment médical que tout nouveau médecin prête, à la faculté de médecine, à l’issue de sa soutenance de thèse) permet de comprendre combien il faut mépriser les médecins qui pratiquent les dépassement d’honoraires : « Je donnerai mes soins à l'indigent et à quiconque me les demandera. Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire.[…] que je sois déshonoré(e) et méprisé(e) si j'y manque ».

Ou dans la version de l’université de Paris V : « Je donnerai mes soins gratuits à l'indigent et n'exigerai jamais un salaire au-dessus de mon travail. […]  Que je sois couvert d'opprobre et méprisé de mes confrères si j'y manque ».

C’est ainsi qu’il faut mépriser et couvrir d’opprobre 7 % de médecins généralistes, 41 % des médecins spécialistes libéraux et les 4,5 % des médecins hospitaliers qui prélèvent chaque année plus de 20 milliards d’euros dans les poches des plus faibles.

Mais ces médecins partisans du libéralisme débridé n’ont plus ni foi ni loi. La honte et le déshonneur ne peuvent les atteindre. Ils sont le fruit d’un système qui transforme les hommes en individus solitaires n’ayant pour seul horizon que leur propre personne. Les autres, les malades, les radiographiés, les analysés, les psychiatrisés, les édentés, les malvoyants et les malentendants sont des matières premières desquels il faut tirer le plus grand bénéfice. La politique actuelle organise cela en créant des déserts médicaux où certaines spécialités ne peuvent plus être assurées par le service public. C’est un peu le même principe qui a conduit la Grèce à la faillite. On organise la pénurie et on livre le bébé au marché.

Le bien-être abandonné

Ainsi selon l’OMS, la santé est le résultat d’un bien être affectif, sanitaire, nutritionnel, social et culturel. Le diagnostic est édifiant. La France est malade de ses choix passés.

  • Le bien-être affectif
Il ne faut pas être un grand expert pour observer que l’organisation de l’économie pilotant toutes les décisions politiques actuelles manque sérieusement d’affection. Le domaine des exclusions n’a jamais produit autant de victimes. La société des vainqueurs, des riches et biens portants fonctionne comme une centrifugeuse d’où sont éjectés tous les faibles, les handicapés, les accidentés de la vie. Les mieux portants sont devenus des ressources humaines conditionnées dans un espace étriqué dont l’intelligence est proscrite au profit de l’obéissance. L’affection, dans ce monde, est une impertinence coupable de faiblesse. On n’éprouve aucune affection pour une ressource, fut-elle humaine : on la gère.
  • Le bien-être sanitaire
En France, plus de 3,5 millions de personnes sont mal logées. Près de 6 millions de logements sont humides, 2 millions sans aucun moyen de chauffage et plus de 600 000 sont sans eau courante avec des toilettes et sanitaires à l’extérieurs etc.

Oui je le redis, le simple fait de naître exige la dignité. Or, être privé de logement, pour quelque cause que ce soit, est indigne d’une société qui connaît un tel niveau de richesse et dans laquelle certains peuvent gagner chaque année l’équivalent de 300 années de SMIC. À quoi peut bien servir une loi sans volonté politique ? Le droit opposable au logement est-il devenu une réalité ? Les tentes s’installent comme on agite un chiffon rouge. Comment parler de bonne santé lorsque aucun toit ne peut vous abriter ?

  • Le bien être nutritionnel :
La « mal bouffe » selon l’expression désormais consacrée, peut favoriser 
« l'obésité, le diabète, les maladies cardiovasculaires, certains cancers, des dépressions etc... Mais il est des femmes, des hommes et des enfants qui n’ont plus les moyens de se nourrir sans faire appel à la générosité, que l’État n’est plus en mesure d’assurer. Dans l’hiver 2010-2011, ce sont 860 000 personnes accueillies chaque jour et plus de 107 millions de repas distribués par près de 60 000 bénévoles, soit une augmentation annuelle de plus de 4 %.
Sur les trois dernières années, les Restos du Cœur ont été amenés à accueillir 160 000 bénéficiaires supplémentaires. Là encore, les inégalités frappent une France où cohabitent 8 millions de personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté et d’autres qui ne savent même plus combien ils gagnent.

Depuis 2002, selon l’observatoire des inégalités, le nombre de personnes qui vivent avec moins de 795 euros par mois a augmenté de 760 000 (+ 20 %) et représente aujourd’hui 4,5 millions de personnes. Si l’on porte ce revenu à 995 euros mensuels, ils sont 8,2 millions en dessous du seuil de pauvreté. Il n’est pas étonnant dans ces conditions d’observer que 29 % des Français ont renoncés à des soins en 2011.
  • Le bien être social :

C’est presque un oxymore : bien-être social. Avec plus de 5 millions de personnes qui sont privées d’emploi et 3 millions d’autres qui occupent un emploi précaire, comment peut-on flirter avec le bien-être ? Quant à ceux qui travaillent, près de 50 % d’entre eux sont confrontés à des risques chimiques, biologiques, physiques et psychosociaux, dont les principales causes trouvent leurs sources dans l’intensification du travail. Entre 2002 et 2010 par exemple, le nombre de maladies professionnelles a augmenté de 37,5 % pour les hommes et de 93,3 % pour les femmes (données de la CNAMTS), ces chiffres pouvant atteindre 200 % chez les femmes qui travaillent dans le secteur de la santé.

L’intensification du travail, son individualisation, l’érosion de toutes les protections collectives, statuts, conventions collectives, chômage, retraite, maladie, syndicat, des choix politiques volontairement abscons pour mieux livrer ces protections collectives aux lois du marché.

  • Le bien-être culturel

La liberté est une source indispensable au bien-être. Or, cette dernière ne peut trouver sa félicité que par le savoir, la connaissance, donc la culture. L’observatoire des inégalités, d’où sont tirées les principales observations de ce chapitre, observe que c’est en France que le poids du milieu social a le plus d’influence sur la réussite scolaire. Ils sont 4,4 % de fils d’ouvriers à obtenir un doctorat, ceux des cadres supérieur ou de professions libérales sont 38,3 %.

Mais le mal de cette dernière décennie est bien plus grave qu’il n’y paraît. La volonté d’opposer les uns aux autres est devenue un mode de gouvernance du Président sortant qui place les valeurs fondamentales de la République, Liberté, Égalité et Fraternité au rang des ringardises démodées. Seuls les forts, les conquérants, les normaux sont dignes d’intérêt. Les autres, les chômeurs, les handicapés, les malades, les arabes, les syndicalistes, les fonctionnaires, les enseignants, les sans abris etc. sont rendus responsables de tous les maux de notre société. Or, ce mode de gouvernance est indigne dans le cadre d’un État républicain.

En conclusion

Oui, le seul fait de naître impose la dignité et le respect. La bonne santé de tous est une richesse incommensurable auquel aucun homme ne peut porter atteinte sans s’exclure d’un monde qui fait société. Les grandes espérances ne peuvent reposer que sur la volonté de la recherche efficiente du bien-être de chacun pour assurer la plénitude d’un monde meilleur que celui qui nous a accueillis. Telle doit être notre ambition pour refonder une société juste, solidaire et donc attentive aux siens, seules conditions d’une bonne santé.

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