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02 / 04 / 2009 | 4 vues
Matthieu Poirot / Membre
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Combattre la mise en place de comportements "toxiques"

Définition éclair des comportements "toxiques" : autoriser, par l’absence de sanction, des comportements visant à nuire à l’intégrité physique ou morale d’un salarié.

Depuis les années 90, une sensibilité particulière s'est développée sur les mauvais traitements au travail[1]. Cette réceptivité sociale s'est appuyée sur l'émergence de plusieurs concepts: harcèlement psychologique, harcèlement moral, mobbing ou bullying[2].  Cette profusion est un signe de l'importance qu’a pris l’exigence de bien-être chez l'individu au travail. Ainsi la notion de harcèlement a connu un succès médiatique sans précédent[3] qui a conduit à la mise en place d'une loi[4].

Pourtant, si le terme a le mérite de faire sens pour le grand public, il reste flou pour la communauté des chercheurs[5]. Le point central des différents concepts concerne l'existence de comportements considérés comme "toxiques" par la cible, c'est-à-dire pouvant engendrer des dommages psychiques et/ou physiques. Le diagnostic de ce facteur de risque doit s'appuyer sur sa récurrence et ses effets négatifs pour un individu. Combien de salariés souffrent au travail du fait de critiques blessantes, de sabotages ou de jugement personnels ? Qui n'a jamais eu à faire à un patron désobligeant, un collègue râleur ou un client irrespectueux ? L'un des facteurs de risque les plus fréquents concerne les comportements provoquant intentionnellement une émotion négative. Le travaille d'une personne émotionnellement "toxique" consiste à augmenter les émotions négatives de sa cible[6] notamment en ce qui concerne l'estime de soi. 

Doit-on parler de victime ou de cible ? Plusieurs auteurs ayant abordé les comportements "toxiques" dans l'entreprise parlent de victimes. Ce mot inclus que l'individu ciblé par des comportements "toxiques" serait passif. Nous préférons parler de cible car face à de tels comportements une personne peut réagir et s'adapter pour en diminuer l'impact. Cela n'enlève en rien le caractère inadmissible de ces pratiques mais replace l'individu en position d'acteur. 

Les moyens de contre-attaque

Face à une agression, un individu peut avoir deux types de difficultés pour se défendre:

  • il peut bénéficier de moins de ressources que l'agresseur;
  • ne pas mobiliser les ressources suffisantes pour se défendre.

Les deux hypothèses sont à prendre en compte. Par exemple, il peut être utile psychologiquement, dans l'optique de ressentir du contrôle, de faire la liste des moyens de contre-attaque dont l'on dispose.

  • Par exemple, une salariée cible de comportements "toxiques" nous explique comment elle s'est imaginée écrire une lettre à la femme du manager agresseur pour lui indiquer de manière anonyme qu'elle est sa maîtresse depuis 2 ans. Bien sur ce n'était pas vrai mais elle a évoqué ce moyen personnel de supporter l'événement et de relativiser sa position d'agressée. Ce travail de prise de recul l'a aidée à faire les démarches nécessaires pour se défendre.    


 Environ un travailleur de l’UE sur vingt s’est déclaré en 2005 avoir été victime de harcèlement. Les différences sont toutefois importantes d’un pays à un autre : cela va de 2% en Italie à 17% en Finlande. L'enquête européenne 2005 sur les conditions de travail montre que les salariés français interrogés sont 7,7% à se ressentir la cible de harcèlement et 6,9% cible de menaces ou violences physiques[7]. Bien souvent ce comportement part du haut vers le bas. Il est également répandu entre collègues.

C'est sans doute quand le comportement a pour effet de toucher l'estime de soi de la personne qu’il devient durablement toxique.

Les expertises que nous avons pu conduire nous montrent que, suivant les entreprises entre 7% et 10% des salariés sont concernés dans l'année par des comportements "toxiques" fréquents avec leur manager et entre 5% et 7% avec leurs collègues[8]. Entre 1 et 1,5% des managers peuvent également être concernés par des comportements "toxiques" de la part de leurs collaborateurs.

La relation hiérarchique semble plus propice à la mise en place de comportements toxiques car son auteur dispose de plus de ressources que sa cible. Par ailleurs, il est évident que tout manager provoque un jour ou l'autre des émotions négatives chez ses collaborateurs tout comme il peut également provoquer des émotions positives. C'est sans doute quand le comportement a pour effet de toucher l'estime de soi de la personne qu’il devient durablement toxique.  Les salariés sommés de s'engager émotionnellement dans le travail (dissonance émotionnelle, intrapreneurship, motivation interne) seront d'autant plus sensibles au regard porté sur eux. Toute personne mal intentionnée peut utiliser cette hypersensibilité à des fins négatives. Bien sur, des maladresses relationnelles peuvent suffire à blesser. 

 

Liste non exhaustive de comportements "toxiques" au travail

Voici quelques comportements qu'un manager maltraitant peut utiliser pour déstabiliser sa cible :

  • Dévaloriser ouvertement le travail
  • Humilier publiquement
  • Insulter
  • Bloquer l'information
  • Faire des critiques sarcastiques
  • Faire du chantage et de l'intimidation
  • Avoir des comportements violents, physiquement et/ou verbalement
  • Faire de la discrimination
  • Mettre au placard
  • Isoler la personne du reste de l'équipe
  • Avoir des gestes déplacés, à connotation sexuelle
  • Évoquer la vie privée de la cible pour la déstabiliser…

Concernant les maladresses, voici les plus fréquentes:

  • Ne faire que des retours négatifs sans célébrer le positif
  • Faire des jugements de valeur sur le travail (par ex, transformer le fait de ne pas aller suffisamment vite en "tu n'aimes pas travailler")
  • S'approprier les résultats de ses collaborateurs
  • Oublier systématiquement de demander son avis aux collaborateurs

Importante de la récurrence

La fréquence de survenue d’un comportement doit être prise en compte pour en comprendre les conséquences délétères.  L'intensité du comportement n'est pas forcément ce qu'il y a de plus toxique. La difficulté est de définir ce que l'on entend par fréquence. La définition la plus prudente serait d'indiquer une notion de répétition. C'est l'effet cumulatif de comportements toxiques qu'il convient de prendre en compte. Il convient également de détecter les situations où peuvent se développer des récurrences de comportements toxiques.

[1]              Voir sur ce sujet Faulx, D et Delvaux, S (2005), "Le harcèlement moral au travail: phénomène objectivable ou "concept horizon" ? Analyse critique des définitions des phénomènes de victimisation au travail.", Pistes, 7,3.
[2]              Zapf D. et Einarsen S. (2001), "Bullying in the workplace: Recent trends in research and practice – an introduction.",  European Journal of Work and Organisational Psychology, 10, 4, p. 369-373.
[3]              Hirigoyen M.-F. (1998), Le Harcèlement Moral, la violence au quotidien. Paris. Hirigoyen, M.-F. (2001), Malaise dans le travail : harcèlement moral – démêler le vrai du faux. Paris : Syros.
[4]              Conseil économique et social, (2001), Le harcèlement moral au travail. Paris les Éditions des Journaux Officiels, p. 59. Article L 122-49, paragraphe 1 du code du travail.
[5]              Lapeyrière, S. (2004), "Le harcèlement moral. Une affaire collective et culturelle.", Travail et Emploi n°97. Janvier p. 29-43.
[6]              Frost, P (2003), Toxic Emotions at Work: How Compassionate Managers Handle Pain and Conflict., Harvard Business School Press.

[7]              Voir les différents rapports de la fondation européenne pour l'amélioration des conditions de travail. http://www.eurofound.europa.eu/pubdocs/2006/85/fr/1/ef0685fr.pdf

[8]              Basé sur une dizaine d'études effectuées entre 2004 et 2008 dans les domaines de l'industrie automobile, énergétiques, les banques de détail et des PME.

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