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07 / 03 / 2013 | 2 vues
Marc-Antoine Marcantoni / Membre
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Vers une approche allemande du fonctionnement du CE ?

Parmi les nouveaux outils induits par l’ANI du 11 janvier 2013 figure la base unique de données.

Article L 2323-7-2  du projet de loi

L’employeur met à disposition du comité d’entreprise des informations portant sur les thèmes suivants :

  • investissements : investissement social (emploi, formation professionnelle, conditions de travail), investissement matériel et immatériel ;
  • fonds propres et endettement ;
  • rétributions des salariés et dirigeants ;
  • activités sociales et culturelles ;
  • rémunération des financeurs ;
  • flux financiers à destination de l’entreprise (notamment aides publiques et crédits d’impôts) ;
  • sous-traitance ;
  • le cas échéant, transferts commerciaux et financiers entre les entités du groupe.

Approche syndicale

À travers cette amélioration et cette meilleure organisation des moyens à disposition de la représentation du personnel et des organisations syndicales, l’objectif poursuivi est de :

  • peser sur la stratégie de l’entreprise pour sécuriser les salariés.

Mais qui dit peser sur la stratégie de l’entreprise dit s’impliquer dans celle-ci. Là, le clivage traditionnel entre syndicats réformateurs et syndicats contestataires apparaît clairement. Seuls les premiers (CFDT, CFE-CGC et CFTC) sont signataires de l’accord tandis que les seconds (CGT et FO) non seulement ne sont pas signataires mais s’y opposent clairement.

Approche juridique

Le gouvernement aurait pu choisir la simple voie de l’élargissement de l’ANI rendant ainsi sa mise en œuvre obligatoire dans toutes les entreprises. Il a préféré, comme il l’avait déjà fait à plusieurs reprises, traduire dans la loi les dispositions essentielles de l’ANI.

  • Possibilité de négociation collective sur la base de données

Le gouvernement propose au législateur de définir les thèmes devant figurer dans la base de données mais laisse aux partenaires sociaux la possibilité de les adapter soit au niveau de la branche, soit au niveau de l’entreprise, soit le cas échéant au niveau du groupe.

  • Maintien du double canal RP et OS

L’accès à la base est ouvert en permanence aux membres du comité d’entreprise et aux délégués syndicaux. Cet accès à minima prévu par la loi, sera susceptible d’aménagement éventuels par les partenaires sociaux à travers la voie conventionnelle, pour y inclure par exemple les élus du CHS-CT ou bien les représentants syndicaux au CE. Nous sommes bien là dans la tradition française du double canal représentation du personnel et syndicats.

  • L’existence du CE impose la mise en place de la base

La mise en place de la base de données est obligatoire dans toutes les entreprises dans lesquelles un CE existe, seul le délai accordé varie. Nous assistons là à un renforcement de l’importance du CE. Il devient l’espace central de la concertation au sein de l’entreprise. Après être devenu le périmètre de mesure de la représentativité des organisations syndicales, puis celui dans lequel elle désigne le délégué syndical, le principe juridique de concordance s’applique de nouveau lors de la mise en place de la base de données.

  • Renforcement de la théorie institutionnelle de l’entreprise

Le partage des données à travers une base unique conduit vers un renforcement de l’idée que l’entreprise constitue une communauté d’hommes et de moyens solidaires en vue de la réalisation d’un objectif commun. La poursuite de cet objectif expliquerait l’organisation de l’entreprise et l’existence des pouvoirs de l’employeur. Mais en même temps elle en pose les limites : l’employeur ne peut les exercer que dans l’intérêt du bien commun, c’est-à-dire l’intérêt de l’entreprise et de ses salariés. Il ne peut aller au-delà, sauf à commettre un détournement de pouvoir.

  • Évolution du rôle de l’expert

Le comité d’entreprise peut se faire assister de l’expert-comptable de son choix. Cette assistance sera possible tant au niveau de la mise en place de la base que de son suivi. Sauf dérogation, le CE assumera 20 % du coût de l’expertise sur son budget de fonctionnement. La présence d’un volet prospective dans la base de données va induire une nécessaire évolution du rôle de l’expert avec désormais un volet conseil.

Approche du représentant du personnel

Il nous faut partir d’un constat, celui du décalage dans le fonctionnement DG et IRP. En effet, le CODIR entreprise se réunit toutes les semaines et décide tandis que le CE ne se réunit qu’au mieux tous les mois, s’informe et, parfois, est consulté.

Ceci induit deux types de décalage, dans le temps et dans les responsabilités.

  • Une hantise : éviter une situation « à la Good Year »

Trop souvent, cela conduit à devoir traiter des événements ans le mode « pompier » alors qu’une meilleure anticipation aurait peut-être permis d’éviter (ou au moins de minimiser) les incendies.

  • L’heure du choix pour les représentants du personnel

Mais l’ANI et le projet de loi associé proposent également un choix de fond pour les représentants du personnel : s’impliquer ou non dans la gestion de l’entreprise. La mise en place de la base de données n’a de sens que si les partenaires l’utilisent. Ce choix n’est pas évident, certains pensant que leur rôle se limite à défendre les seuls intérêts des salariés et qu’il n’entre pas dans de leurs missions de s’impliquer dans la gestion de l’entreprise, d’autres, au contraire.

  • Une professionnalisation des élus CE


L'une des conséquences de la mise en place de la base unique de données concerne l’obligation de formation des représentants du personnel. Nous sommes là sur une tendance lourde de la charge d’élus. La complexification des mécanismes liés aux IRP impose aux élus d’être formés pour suivre et participer efficacement. Il sera nécessaire de revisiter les mécanismes de formation des élus, budget CE mais aussi budget de formation professionnelle de l’entreprise.

  • Une obligation : un dialogue social de qualité

La mise en perspective à travers une base unique de données de l’ensemble des informations critiques de l’entreprise rend nécessaire la protection de ces informations. Certains représentants du personnel vont y voir une limite au devoir d’information envers les salariés, l’employeur pouvant quant à lui y voir un risque supplémentaire de diffusion d’informations  confidentielles. Mis à part des principes généraux qu’il est indispensable d’inclure dans la loi, ce n’est que sur la base d’une confiance mutuelle que ce dialogue pourra se développer. En particulier, l’un des risques à couvrir concernera l’arbitrage entre le délit d’entrave et le délit d’initié.

  • Vers une meilleure maîtrise des budgets des ASC

Enfin, dernier point de l’ANI intéressant le représentant du personnel : une plus grande transparence du fonctionnement des ASC. La base de données tout ce qui est relatif au fonctionnement des activités sociales et culturelles du CE (à rapprocher du rapport Perruchot).

Vers une nouvelle approche de la gouvernance de l’entreprise ?


L’ANI du 11 janvier 2013 et la future loi associée ouvrent des perspectives qui devraient  permettre :

  • la mise en place d’un socle minimal défini par la loi et la réglementation, associé à la possibilité de l’adapter et de l’enrichir par la voie de la négociation collective ;
  • le passage de la vision statique de l’entreprise (cf le bilan social) à une vision dynamique ;
  • un raccourcissement des procédures d’information et de consultation des IRP ;
  • un renforcement de la négociation collective d’entreprise contre la négociation de branche, du rôle des commissions économiques et formations du CE dans leurs attribution de préparation des consultations du CE.

Par son côté quantitatif, la base de données matérialisera ces choix, comme le seuil d’audience de 10 % a matérialisé la loi de 2008.

  • Par ailleurs, cette évolution dans la gouvernance de l’entreprise introduite par l’ANI est à croiser avec l’initiative du Parlement européen demandant à la Commission de mettre en place « un acte législatif sur l’information et la consultation des travailleurs en matière d’anticipation et de gestion des restructurations ».


La base de données économiques et sociales voulue par les signataires de l’ANI et reprise par le législateur pourrait constituer l’outil principal d’anticipation et de gestion mis à disposition des partenaires sociaux.

Un exemple : Thales

Un tableau de bord remis mensuellement aux CE :

  • situation économique, PC et CA contre budget, carnet, principales affaires ;
  • situation RH, effectifs H/F, CSP, inscrits et actifs, postes ouverts, postes pourvus, intérim.

Les exercices obligatoires :

  • rapport sur l’activité et les perspectives économiques de l’entreprise,
  • rapport sur l’évolution de l’emploi et des qualifications,
  • rapport sur l’égalité hommes-femmes,
  • bilan du travail à temps partiel,
  • comptes annuels et documents de gestion,
  • bilan social,
  • modalités d’exercice du droit d’expression des salariés,
  • politique de recherche et de développement technologique de l’entreprise,
  • congés payés,
  • aménagement d’horaire des sportifs,
  • rapport et programme présenté au CHS-CT
  • formation à la sécurité,
  • plan de formation,
  • apprentissage,
  • déclaration handicapés,
  • participation à l’effort de construction,
  • rapport de l’organisme assureur des salariés contre certains risques,
  • rapport sur les résultats d’ensemble de la participation,
  • suivi d’un accord d’intéressement,
  • utilisation du contingent conventionnel d’heures supplémentaires,
  • exécution des contrats régionaux de plan,
  • nombre de salariés faisant l’objet d’un complément annuel de rémunération,
  • service de santé au travail.

Les bonnes pratiques de l’entreprise :

  • présentation du budget pluriannuel > fin janvier(DG) ;
  • analyse détaillées des comptes en commission économique > avril (DF) ;
  • revue du plan de charge > mars et octobre (DI) ;
  • revue détaillée des effectifs> janvier et octobre(DRH).

Alors, nous ne sommes pas loin de la base de données économiques et sociales et pourtant, nous sommes encore loin d’une approche co-gestionnaire…

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