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31 / 10 / 2011 | 2 vues
Laurent JEANNEAU / Membre
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Vers la fin des licenciements boursiers ?

Force est de constater que les licenciements d’économie, ou dits boursiers, ne diminuent pas. Les juges auraient-ils trouvé la parade à cette logique spéculative-financière-capitaliste qui vise à faire des suppressions de postes pour motifs boursiers (pardon, des licenciements pour motif économique) une simple affaire d’argent, une charge, un coût à provisionner dans les comptes, sans que la décision de licencier en elle-même puisse être remise en cause par les juges ?

  • En effet, dans un jugement récent (TGI de Nanterre du 21 octobre 2011, n° 11/7214, n°11/7607), l’avocat Me Philippe Brun, bien connu dans ce type de litiges, a obtenu des juges qu’ils prononcent la nullité de la procédure de licenciement économique du fait de l’absence de motif économique. Cette position avait déjà été retenue dans deux autres décisions du TGI de Troyes (avec l’intervention du même Philippe Brun) et dans un arrêt de la Cour d’Appel de Paris (CA Paris, 12 mai 2011, n° 11/01/547) ayant fait l’objet d’une analyse très intéressante dans le dernier numéro de la Semaine Sociale Lamy n° 1 511, du 31 octobre 2011.

 

Faits

Les demandeurs (CE, CCE et syndicat) demandent l’annulation de la procédure de licenciement pour motif économique, pour défaut de motif économique. Les demandeurs s’appuient sur un rapport d’expert comptable qui met effectivement en avant l’absence de difficultés économiques et l’absence de menace sur la compétitivité de l’entreprise. La société Ethicon reconnaît l’absence de motif économique mais considère que le défaut de celui-ci ne peut pas conduire à la nullité de la procédure car il n’y a pas de nullité sans texte.

  • Pour plus d’explications sur la genèse du litige, le site du CE.

 

Explications

Bien que choquant, l’argument de la direction semblait juridiquement exact. En effet, en droit, il existe un adage selon lequel il n’y a pas de nullité sans texte. Or, le Code du Travail ne prévoit la nullité de la procédure que pour défaut de PSE ou de plan de reclassement inscrit dans le PSE (article L.1235-10 CT). Les juges, dans l’hypothèse d’un motif économique « abusif » (c’est-à-dire non « réel » et/ou non « sérieux »), ne peuvent qu’attribuer des dommages et intérêts et non annuler la procédure.

Décision

Le TGI de Nanterre ne remet pas en cause l’argument de la direction, qui est juridiquement exact, mais ils vont tirer du défaut de cause économique une conséquence plus lourde (et plus « juste » au vu du caractère choquant de la pratique des licenciements boursiers des sociétés super-profitables).

Après avoir constaté le défaut de motif économique (avec l’appui du rapport de l’expert comptable), le TGI va tenir le raisonnement suivant : le motif économique conditionne la possibilité de mettre en place un plan de licenciements et constitue même son fondement légal. Sans motif économique, les juges n’ont pas à examiner la validité d’un plan de licenciements qui ne devrait pas exister, du fait de l’absence de motif économique.

Le TGI prononce alors la nullité de la procédure et des actes subséquents du fait de l’inexistence de  motif économique.

Commentaires

Comme indiqué au début de cet article, ce jugement vient confirmer l’arrêt Viveo de la Cour d’Appel de Paris du 12 mai 2011. Face à l’adage de la nullité sans texte, le fondement de cette jurisprudence, si elle venait à être confirmée, devrait pouvoir trouver son origine dans une théorie ancienne du droit commun des obligations, la théorie de l’inexistence, comme l’analyse fort bien Pascal Lokiec, professeur à l’Université Paris Ouest –Nanterre-La Défense, dans la revue SSL précitée. Comme ce dernier nous l’explique, selon cette théorie, « de manière générale, on peut considérer qu’un acte juridique, quelle que soit sa nature (contrat, acte unilatéral…) n'est pas nul mais inexistant lorsqu’il est « dépourvu d’un élément sans lequel on ne peut concevoir qu’il y ait un acte juridique », lorsqu’il manque un élément essentiel à sa formation (et non à sa validité) ». 

Or, comme l’ont souligné les juges du fond, le motif économique conditionne l’existence même de la procédure du licenciement pour ce même motif. Sans motif économique, une telle procédure ne peut exister. La procédure est inexistante et les actes subséquents aussi.
 

Intérêt

Si cette position se confirme, en l’absence de motif économique « véritable », les élus du CE confrontés à une procédure livre I avec PSE (soit un projet de licenciement collectif pour motif économique de plus de 10 salariés sur moins de 30 jours) pourront avoir intérêt à recourir à un expert comptable rémunéré par l’employeur et choisi par le CE.

En effet, grâce aux moyens d’investigation que celui-ci détient (accès à tout document utile à sa mission), les élus pourront mettre toutes les chances de leur côté afin de contester la réalité même des raisons économiques qui sous-tendent les licenciements. Une telle expertise pourra être un atout indéniable pour contrecarrer les dizaines, voire centaines de pages de l’argumentaire économique de l’employeur (souvent incompréhensible pour un néophyte) et faire constater, par les juges, l’inexistence de la procédure s’ils veulent empêcher l’employeur de prononcer la notification des licenciements ou les faire annuler si la notification a eu lieu. L’employeur se retrouvera face à l’impossibilité de licencier et ou de délocaliser pour motif économique sans motif économique. C’est somme toute logique...

Ainsi, aux deux options traditionnelles de contestation (au fond) d’un licenciement pour motif économique :

  • faire constater l’absence ou l’insuffisance d’un PSE en raison de l’absence d’un plan de reclassement en vue d’obtenir sa nullité devant le TGI ou le Conseil de Prud’hommes (action du CE ou d’un syndicat devant le TGI ou d’un salarié devant le CP) ;
  • ne pas contester la réalité mais le sérieux du motif économique au titre de la justification du licenciement envisagé pour ce motif devant le Conseil de Prud’hommes (action d’un salarié devant le Conseil de Prud’hommes) et obtenir la reconnaissance d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (et non la nullité ou l’inexistence).

S’en rajouterait une troisième (à confirmer) :

  • contester la réalité au sens de l’existence même d’un motif économique et, en cas de succès obtenir l’inexistence (= nullité au niveau des conséquences) de la procédure et de tous les actes subséquents (le PSE, les licenciements). Cette action collective pourra être menée, devant le TGI, par le CE ou un syndicat voire peut-être à titre individuel devant le conseil des prud’hommes par un salarié victime d’un tel licenciement (si les licenciements ont été notifiés et qu’aucune action en justice des IRP n’est intervenue).

 
Reste à savoir ce que les juges du droit diront de cette théorie juridique de l’inexistence, appliquée au motif économique des licenciements qui n’ont d’économique que le nom…

Entre liberté d’entreprendre et limites à apporter à la liberté de licencier, une alternative à feue l’autorisation administrative ou judiciaire de licencier serait-elle ouverte pour que la liberté de l’emploi retrouve des couleurs et qu’un réel équilibre constitutionnel soit trouvé alors que vient d’être déposée devant le Sénat la proposition de loi suivante qui ne répond que partiellement au problème posé ?

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