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19 / 11 / 2012 | 3 vues
Didier Cozin / Membre
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Sécurisation de l’emploi : DIF et CIF peuvent-ils être réunis dans un même bateau ?

Depuis un mois des négociations difficiles se tiennent entre les partenaires sociaux. Ces négociations ont pour but de sécuriser les emplois alors que la crise économique fait rage depuis 2008 (et que nous perdons actuellement près de 40 000 emplois par mois).

La formation tout au long de la vie peut-elle participer de la sécurisation des emplois (et donc des travailleurs) ?

Une première remarque préliminaire : on peut se demander pourquoi les pouvoirs publics ont imposé l’intitulé « négociation sur la sécurisation de l’emploi ». Est-ce bien l’emploi qu’il faut protéger en France ou plutôt les travailleurs que l’on doit sécuriser ? Les termes du débat sont-ils bien posés ?

Au Danemark (régulièrement cité en Europe comme un modèle de sécurisation professionnelle), la flexibilité de l’emploi est maximale : un employeur peut mettre fin à un contrat de travail d’une manière extrêmement rapide (24 heures souvent) mais le travailleur sans emploi n’est évidemment pas laissé à l’abandon face à une administration (Pôle Emploi) tout juste capable de le contrôler ou de valider ses droits.

La flexi-sécurité promet donc d’être un long voyage mais elle mérite que l’on tente d’acclimater ce concept au pays des 38 contrats de travail différents (et des 360 fromages).

Mais comment fonctionne la formation en France ?

La formation tout au long de la vie s’appuie grossièrement sur 3 dispositifs :

  • le plan de formation, institué par la loi en 1971 et qui appartient à l’entreprise (ou à l’organisation) et qui lui permet d’adapter les salariés aux besoins du travail ;
  • le CIF, jeune trentenaire qui permet à quelques milliers de salariés de partir en formation longue durant 6 mois ou un an, tout en étant payés sur des fonds mutualisés ;
  • le DIF, bébé de 8 ans qui a du mal à grandir mais qui devait permettre de refonder la formation professionnelle (considérée encore comme complexe, coûteuse et cloisonnée, les 3 C).

Penchons-nous sur ces deux derniers compagnons de route que les pouvoirs publics souhaiteraient rassembler dans un même compte formation.

Qui sont-ils réellement et peuvent-ils être réunis dans une même trousse fourre-tout qui prendrait peut-être le nom de « compte personnel de formation » (CPF).

Commençons par le CIF, cette idée généreuse des partenaires sociaux en 1982 a été reprise par l’accord interprofessionnel de 1991. Le CIF est un mécanisme qui permet à un salarié d’entreprendre une reconversion professionnelle longue tout en étant assuré de retrouver son poste de travail s’il le souhaite et ceci sans que son employeur puisse interférer sur le choix de la formation.

L’idée est belle mais le dispositif très coûteux (de 3 à 9 mois de formation avec la rémunération versée par les Fongecifs) et le nombre de CIF en France reste de ce fait très limité : environ 35 000 CIF sont réalisés tous les ans pour le double de demandes et un coût très élevé : 25 000 euros en moyenne. Ce coût et une certaine lourdeur de l’instruction des dossiers empêchent son développement. Il est réalisé bon an mal an par environ 0,2 % des salariés (comme la VAE d’ailleurs).

Le DIF est quant à lui très différent (même si nombre de salariés les confondent du fait de la seule première lettre de différence dans son nom).

Le droit individuel à la formation (DIF) est plus ambitieux, universel (il peut être réalisé chaque année par 17 millions de salariés du secteur privé) mais plus périlleux à mettre en œuvre (il s’agit aussi du dialogue social dans chaque entreprise). Il est également plus court (3 jours par an qui peuvent être portés à 18 jours environ, soit 120 heures au bout de 6 ans) et surtout il n’est doté d’aucun système de financement certain et fiable (il peut être au choix financé par l’employeur sur son budget formation, par son OPCA sur les fonds mutualisés de la professionnalisation ou encore par les Fongecifs en cas de désaccords répétés durant 2 années civiles entre le salarié et son employeur).

  • Résumons donc les choses : nous avons d’une part un dispositif de formation ancien, utilisé annuellement par 0,2 % des salariés, dont le financement mutualisé est fiable et en face un dispositif aussi universel que les congés payés ou la Sécurité sociale mais qui nécessite l’accord (de l’employeur) et un financement (plus flou et parfois introuvable) pour être réalisé.
  • Est-il possible et souhaitable de rassembler ces faux frères (pas ennemis pour autant) qui, bien que partageant 2 lettres (IF), n’en sont pas moins très différents dans leur nature et leur fonction (se former exceptionnement sur un projet long ou se former très régulièrement pour maintenir son employabilité) ?

La réponse nous semble négative. Au niveau pratique, il est très difficile de rassembler le CIF et le DIF sans  dénaturer ces deux dispositifs, brouiller encore plus les cartes formation et faire perdre de précieuses années au monde du travail.

  • Les Fongecifs seraient sans doute durablement déstabilisés s’ils devaient gérer les comptes individuels de formation de 17 millions de salariés (comment instruire potentiellement 17 millions de demandes quand on travaille habituellement sur 70 000 dossiers de CIF ?).
  • Le CIF et ses financements seraient en danger car comment financer des formations longues si par ailleurs des millions de personnes réclament leur modeste DIF de 20 à 120 heures ?
  • Le DIF implique une responsabilisation de l’employeur comme de son salarié sur l’avenir au travail, ce droit à la formation courrait le risque d’être dénaturé avec un dessaisissement de l’employeur qui, comme en matière de CIF, botterait en touche et ne se sentirait pas concerné par le maintien de l’employabilité de son salarié.

Ce n’est assurément pas en mêlant les torchons et les serviettes qu’on fait les meilleures lessives et si les pouvoirs publics souhaitent développer la qualification et les compétences des travailleurs, ils peuvent rapidement (sans passer par une nouvelle loi, qui prendrait une année pour être votée et 3 à 4 ans pour être mise en œuvre) prendre quelques mesures à effet immédiat pour 2013.

  • Réserver exclusivement le CIF à ceux qui sont d’un niveau de qualification ou d’éducation inférieur au bac (niveau 4 ou 5).
  • Introduire pour tous les autres travailleurs une formation hors temps de travail et sans rémunération (quand on a bénéficié d’études payées par la collectivité on doit pouvoir financer personnellement sa post-formation).
  • Rendre l’exercice du DIF sûr et accessible en contraignant les employeurs à verser annuellement une somme (provisionnable au niveau comptable) couvrant la réalisation d’une année de DIF (20 heures, soit par exemple 300 euros par an et par personne).
  • Abolir les cotisations obligatoires en matière de formation du plan. Un employeur ne devrait pas être contraint de dépenser pour la formation dans son entreprise, il doit en revanche être obligé de payer pour maintenir l’employabilité de chacun de ses salariés (cela participe de la sécurisation des travailleurs).
  • Mettre en œuvre une formation facilitée des travailleurs précaires (CDD, intérimaire, intermittents, saisonniers, auto-entrepreneurs, travailleurs indépendants...) en doublant systématiquement leurs droits et en instituant le DIF pour tous les actifs, via une cotisation égale et payée par tous (une base de 15 euros par heure de formation serait sans doute équitable).

Les pouvoirs publics et les partenaires sociaux doivent être capables de prendre la mesure des bouleversements économiques et sociaux qui attendent notre pays et il faut de toute urgence qu’ils rendent la formation simple, accessible et universelle (cette formation qui participe évidemment de notre compétitivité).

Sécuriser les travailleurs de France (et non l’emploi) est possible et il faut avoir le courage politique de « faire le ménage » dans la maison formation. Le prix à payer sera peut-être élevé mais l’écroulement de son système économique et social serait autrement plus dommageable pour notre pays.

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