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29 / 08 / 2013 | 45 vues
Laurent Degousée / Membre
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Retour sur la liquidation de Virgin

Juin 2013 : les 26 magasins Virgin sont fermés, l’entreprise est liquidée et près de 1 000 salariés ont été licenciés dans les jours suivants. Résumée comme cela, la résistance acharnée du personnel de Virgin Mégastore, depuis décembre 2012, ressemble à un échec. Pourtant…

Le contexte

Comment en est-on arrivé là ? Les commentateurs ont pointé du doigt les transformations de nos marchés et l’absence d’adaptation nécessaire, la flambée des loyers mais aussi la mauvaise gestion de nos dirigeants et actionnaires successifs alors que, dès 2009, les magasins de Londres et de New York, eux, fermaient leurs portes.

À SUD, nous ne sommes malheureusement pas surpris de ce triste dénouement. Ainsi, en 2010, nous écrivions, à l’occasion de la fermeture du magasin de Mérignac : « Pour nous, il est clair que ce nouveau plan social a une valeur de test : test de la crédibilité de notre CE à défendre le personnel, test de la volonté des syndicats de l'enseigne à vouloir en découdre, test de la combativité du personnel face à la menace de licenciement ». En avril 2012, lors de l’audience en annulation du plan « social » de Metz/Toulouse et après la fuite relative au projet de fermeture du magasin des Champs-Élysées, nous déclarions : « Face au chantage de la mise en liquidation de l’enseigne émanant de notre actionnaire et à l’annonce de fermetures imminentes, nous appelons les collègues de Metz et de Toulouse à monter ce jour à Paris, en sollicitant l’aide du CE et des municipalités concernées pour ce faire : c’est de votre avenir qu’il s’agit ! Nous appelons également ceux des Champs, toujours menacés de fermeture, ainsi que les autres magasins franciliens à y participer : le sort réservé aux milliers de travailleurs du Sernam, lâchés par Butler, nous n’en voulons pas ! »

Un appel à notre initiative, suivi de la venue des seuls délégués au tribunal qui a cependant repoussé les fermetures en question.

La ligne des syndicats majoritaires n’est pas exempte de responsabilité dans cette situation : la CGT, qui pèse plus de 30 % des voix, et dirige le comité d’entreprise, donne sans succès des leçons de « bonne gestion » aux différents dirigeants, conjointement avec FO, représentatif de l’encadrement intermédiaire ; la CFTC, elle, est cantonnée au magasin de Marseille et la CFE-CGC, première organisation chez les cadres, a une représentation restreinte.

  • Il aura fallu attendre 2012 pour que le CE use pleinement de ses prérogatives, dont celle d’aller en justice et ce, sous notre encouragement.

Enfin, la dernière mobilisation notable du personnel remonte à 2008, à l’occasion de la négociation salariale, et de nombreux magasins en régions étaient dépourvus non seulement d’implantation syndicale mais y compris de délégués du personnel, conséquence d’une ambiance le plus souvent paternaliste.

Le redressement judiciaire

Le 19 décembre 2012, la direction annonce au CE vouloir céder le bail du magasin emblématique des Champs-Élysées, ouvert en 1988, qui compte 184 salariés et pèse environ 20 % du chiffre d’affaires de l’enseigne, sans aucune considération quant aux conséquences sociales d’un tel projet.

Non seulement le CE le rejette catégoriquement mais, dès le 29 décembre, un premier débrayage rassemble 80 % de l’effectif, rejoint par des délégués d’autres établissements franciliens.

Le 4 janvier 2013, l’annonce de la cessation de paiement de Virgin s'est répandue comme une traînée de poudre en interne et dans les médias.

Le 9 janvier, près de 400 « virginiens » d’Île-de-France, rejoints par des militants syndicaux et politiques, ont envahi le magasin des Champs, soit la plus grosse mobilisation de salariés du commerce depuis une dizaine d’années. En province, quasiment tous les sites ont été touchés par des débrayages suscitant aussi l’intérêt de la presse locale.

Le 29 janvier, près de 600 salariés de toute la France ont défilé des Champs (où la jonction s’opérait avec d’autres entreprises en lutte comme PSA) jusqu’au siège de Butler principal actionnaire de Virgin). Ce dernier a été obligé de recevoir en personne une délégation, face à l’hallali médiatique suscité par le risque de disparition d’une enseigne demeurant populaire et la force de la mobilisation.

Le 30 avril, 200 personnes ont encore défilé des Champs au siège de Lagardère, l’actionnaire historique (une délégation a également été reçue).

À la recherche d’un repreneur

Le 5 avril, les premières offres de reprise ont été déposées auprès du tribunal de commerce : aucun projet global n’a émergé, excepté celui porté par Rougier & Plé, enseigne spécialisée dans les loisirs créatifs, qui sauvegarde au mieux un tiers des magasins et des emplois. Hélas, Rougier a jeté l’éponge le 17 mai, faute d’accord de plusieurs bailleurs des établissements concernés.

Cette déconvenue, ajoutée aux soldes décidés par l’administrateur judiciaire, ont eu pour seule vertu de remobiliser tous ceux qui pensaient Virgin sauvé : à partir du 13 mai, les magasins ont rapidement été pillés, en particulier les rayons numérique, en quelques jours par des hordes de clients au comportement le plus souvent infâme, rappelant que, pour nos patrons affairés à leur avenir (cf révélations de Médiapart en juin 2013), il s’agissait d’utiliser au mieux notre force de travail jusqu’au bout.

Notons également l’engagement d'Aurélie Filipetti, Ministre de la Culture, qui déclarait en janvier 2013 : « Le gouvernement sera entièrement mobilisé pour aider à retrouver un éventuel repreneur et pour suivre au cas par cas la situation de chaque magasin et de chaque salarié ». On connait la suite… Le soutien, plus ou moins appuyé, d’une dizaine de maires des villes concernées a contrebalancé cette absence de volonté politique de sauver l’entreprise mais il est clair que nous ne pouvons désormais plus compter que sur nous-mêmes.

Pour un PSE digne

La lutte s'est radicalisée d’abord avec l’envahissement du siège de Butler le 23 mai, contraint de mettre la main au portefeuille pour réparer les pots cassés, puis de Lagardère le 10 juin qui n'a rien concédé de plus que quelques dizaines d’offres de reclassement au sein de son groupe, se réfugiant derrière son statut d’actionnaire minoritaire.

Lentement mais sûrement, le financement de l’inévitable PSE se construit, passant de 1,5 millions d’euros budgétés en janvier à 8 millions début juin et quelques semaines de sursis ont été gagnées auprès du tribunal de commerce le temps, pour ce dernier, d’examiner les nouvelles offres de reprise émanant de Cultura, enseigne concurrente, pour seulement deux magasins (Avignon et Marseille) et de Vivarte, spécialisé dans l’habillement, offres finalement retoquées.

L’occupation de 8 magasins (Avignon, Barbès, Champs, Dunkerque, Grands Boulevards, Plan de Campagne, Rouen et Strasbourg), à partir du 11 juin, a constitué le tournant de la lutte, faisant oublier la liquidation prononcée sans surprise le 17 juin 2013.

Dès le 20 juin, un accord de fin de conflit satisfaisant intégralement aux revendications de l’intersyndicale est signé avec la liquidatrice, désormais seule maîtresse à bord, et Butler qui a finalement contribué à hauteur de 2,5 millions d’euros au PSE. Le lendemain, les collègues ont évacué les magasins occupés sous les bravos.

Le PSE pèse 15 millions d’euros et contient les mesures notables suivantes :

  • suivi par un cabinet de reclassement pendant un an,
  • portabilité totale de la mutuelle sur 9 mois,
  • budget formation mutualisé avec au minimum 4 000 € par personne,
  • doublement de l’indemnité conventionnelle de licenciement qui ne peut être inférieure à 2 000 €, un montant majoré de 3 000 €.

La lutte a indiscutablement payé (les salariés du PSE de 2012, qui avaient obtenu des mesures analogues à une date où Virgin était encore in bonis, ont vu leur indemnisation complémentaire bloquée par l’administrateur) mais la situation reste fragile : selon le cabinet Syndex, 58 % des employés risquent de se retrouver sous le seuil de pauvreté d’ici un an, à l’issue du CSP.

Notre action

En pointant les premiers la nécessité de « nationaliser » la lutte et en préparant activement manifestations et actions, nous avons indiscutablement contribué à son succès, malgré le petit nombre de nos militants.

Nous avons encouragé l’auto-organisation du personnel dès le début du mouvement mais il aura fallu attendre l’occupation pour que celle-ci s’impose (organisation de manifestations locales, mise en place de caisses de grève etc.) car jusque-là, à Paris, se tenait chaque jeudi ou presque, une assemblée générale dont la participation s’est vite limitée à l’intersyndicale et aux représentants de leurs fédérations, les salariés étant tenus régulièrement informé par tract et une page Facebook créée pour l’occasion.

Lors de l’occupation elle-même, nous avons pris soin des corps (prêt de duvets par le DAL) et des esprits (spectacles de la compagnie Jolie Môme puis d’Audrey Vernon et venue de personnalités politiques et syndicales aux Champs).

Enfin, plusieurs Solidaires locaux concernés, à commencer par Paris, ont aidé sur le plan logistique, le secrétariat national a contribué au rayonnement de la lutte et SUD commerce a, entre autres, géré les transports en régions : qu’ils en soient tous remerciés. De son côté, la CGT s’est appuyée sur son réseau d’unions locales.

Les perspectives

GMS : plus de 150 employés de cette société sous-traitante de Virgin Mobile ont perdu leur emploi par la même occasion, se faisant duper par leur direction et leurs représentants.

Nous avons mis en avant ces oubliés du PSE en organisant une action à leurs côtés, le 4 juillet dernier, avec la participation de la CGT Virgin et de non-syndiqués ; plusieurs actions prud’homales sont également prévues.

Le comité de suivi du PSE : nous avons 4 représentants dans cette instance, dont le représentant des salariés, chargé de suivre les différents reclassements et formations.

L’association : le 12 septembre se tiendra l’assemblée constitutive des « gilets rouges ».

L’association a pour objet d’entretenir les liens forgés entre les ex-salariés du groupe Virgin, à l’exception de ses dirigeants, tant pendant ses 25 années d'activité que lors de la lutte contre la liquidation de l’enseigne, de développer un réseau de retour à l’emploi et d’avoir un rôle d’accompagnement social envers ses membres.

  • À ce sujet, nous déplorons que le CE ait préféré, après une décision tronquée, offrir de nouveau des chèques cadeaux plutôt que de contribuer, comme la loi le lui permet, au lancement d’une telle association.

Notre branche d’activité : le 17 septembre, une rencontre avec les autres syndicats Solidaires concernés (Fnac, Amazon etc.) est prévue pour réfléchir à quoi faire pour éviter que notre funeste expérience ne se reproduise.

Les magasins : un projet de reprise en SCOP du magasin de Marseille est à l’étude et la municipalité, propriétaire du bail, espère ressusciter celui de Barbès, après les municipales. Il faut aussi surveiller ce qu’il advient des autres magasins pour y susciter des embauches d’« ex-virginiens ».

Notre syndicat : crée en 2006 pour renouveler l’offre syndicale chez Virgin, nous avons, à travers nos combat contre les licenciements (dont ceux des Grands Boulevards) et contre les ouvertures à rallonge, souvent suscité l’incompréhension, voire l’hostilité d’une partie du personnel et des autres syndicats. Nous attendons confiants le jugement du TGI, saisi par nos soins, sur notre convention interne, en particulier sur la question des heures complémentaires qui pourrait déboucher sur la requalification de temps partiel en temps plein de nombreux contrats de travail, ouvrant ainsi la voie au recalcul des indemnités de départ…

Pour caractériser ces derniers mois, qui ont à la fois été terribles et passionnants, nous retiendrons la citation de Mark Twain, reprise par nos collègues d’Avignon et le cri de ralliement de ceux de Rouen : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait » et « Banzai ! ».

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