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08 / 03 / 2016 | 7 vues
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Réaction de l'ANDRH au rapport Terrasse sur l'économie collaborative

Les membres de la commission nationale juridique de l’ANDRH ont produit l’analyse critique du rapport préparé par Pascal Terrasse sur l’économie collaborative.

À la demande du Premier Ministre, ce rapport visait « à établir, en étroite collaboration avec l’ensemble des acteurs concernés, une analyse des enjeux liés à l’émergence de ces plates-formes collaboratives, les mesures d’ordre réglementaire ou législatif qui permettraient leur épanouissement dans un cadre sécurisé et celles pouvant faciliter la transition des secteurs les plus touchés par l’émergence de ces nouvelles activités ».

L’économie collaborative est un concept devenu réalité au fort potentiel de développement.


Au cœur du débat, l’ANDRH considère que la question de l’application de normes de droit social aux activités relevant de l’économie collaborative doit se poser dans le cadre des services à la demande, reposant  sur un mécanisme de service spécifique ou spécifique (et pas « préexistant » comme c’est le cas dans le secteur de l’économie du partage) contre une rémunération.

L’ANDRH considère que l’économie collaborative repose les questions posées depuis toujours par le statut des travailleurs indépendants, notamment celles des conditions de la fléxi-sécurité.

L’ANDRH est convaincue que cette question implique d’attacher les droits à la personne et plus à un statut (indépendant, salarié, CDI/CDD/intérimaire).

L’ANDRH approuve les propositions 5, 6, 7,9 ,10 du rapport Terrasse :
  • proposition n° 5 : poursuivre la trajectoire de convergence entre la protection sociale des indépendants et celle des salariés ;
  • proposition n° 6 : mobiliser le compte personnel d’activité (CPA) pour instaurer une véritable portabilité des droits ;
  • proposition n° 7 : prendre en compte les périodes d’activité sur les plates-formes dans le cadre de la procédure de validation des acquis de l’expérience (VAE) ;
  • proposition n° 9 : développer des sécurités annexes pour favoriser l’accès au logement, sécuriser l’accès au crédit et améliorer la couverture sociale des utilisateurs ;
  • proposition n° 10 : organiser des actions de formation pour les prestataires.

Les enjeux de l’économie collaborative sont au cœur des débats actuels (emploi, économie, droit du travail, de la consommation, fiscal, protection sociale…). Le rapport Terrasse s’inscrit dans une série de rapports produits en 2015 [1] et dans la perspective des ceux qui sont attendus en 2016.

Le rapport est construit selon :

2 grands ensembles d’observations et données (points 1. et 2. du rapport) :

1. la place de l’économie collaborative est aujourd’hui limitée mais elle recèle un véritable potentiel de développement ;

2. la transparence sur les plates-formes doit être un gage de confiance pour le consommateur et d’équité vis-à-vis de l’économie traditionnelle.

3 grands ensembles de pistes de réflexions et propositions (points 3. à 5. du rapport) :

3. améliorer les conditions d’emploi des travailleurs des plates-formes ;

4. garantir une juste contribution des plates-formes aux charges publiques et clarifier les obligations fiscales et sociales des particuliers et celles des professionnels ;

5. créer les conditions d’un développement durable de l’économique collaborative.

S'appuyant sur les travaux d’économistes, le rapport rappelle que les activités que recouvre l’économie collaborative sont inspirées par « la mouvance du libre, du don et de l’économie de la fonctionnalité ». Il s’agit plus précisément des activités suivantes :

La consommation collaborative, c’est-à-dire :

  • l’organisation des échanges et de la consommation (achats groupés, conciergeries, consignes, location de particulier à particulier, revente et don d’objets, troc, systèmes d’échanges locaux, monnaies complémentaires etc., par exemple, vide-dressing (revente de vêtements) ;
  • le logement (habitat partagé, colocation, auto-construction, échanges de logements, par exemple Guest To Guest, échange d’appartements) ;
  • l’énergie (coopération dans la production d'énergie, achat groupé etc., par exemple Selectra, achat groupé d’énergie) ;
  • la mobilité (auto-partage, covoiturage, par exemple Blablacar) ;
  • l’alimentation et l’agriculture (autoproduction alimentaire, circuits courts, coopératives de consommateurs etc., par exemple, La ruche qui dit oui).
La réparation et la fabrication d’objets (hackerspaces, fab labs, techshop, repair café etc., par exemple fab lab de l’université de Cergy-Pontoise) ;

Le financement de projets (crowdfunding, investissements citoyens, finance solidaire etc., par exemple KissKiss BankBank ) ;

L’éducation et le savoir (partage de contenus numériques, massive open online course ou MOOC, encyclopédies contributives, par exemple Wikipedia).


Citant Rachel Botsman, le rapport définit l’économie collaborative comme « des réseaux d’individus et de communautés connectées, par opposition à des institutions centralisées, et qui transforment la manière dont nous produisons, consommons, finançons et apprenons ».

Il souligne par ailleurs :
  • d’une part, que ces modes alternatifs de consommation et de production, qui sont l’essence de l’économie collaborative :
    • ne passent (pour l’instant ?) par les plates-formes collaboratives, c'est-à-dire par le réseau du web, que pour une faible partie ;
    • ne représentent au sein de l’économie française qu’« une part très limitée de l’activité » ;
  • mais d’autre part que l’économie collaborative « recèle un potentiel de développement important car elle repose sur des changements de fond du comportement des consommateurs ».

Le rapport souligne notamment que :
  • le marché mondial de l'économie collaborative devrait atteindre près de 335 milliards de dollars d'ici 2025, contre 15 milliards de dollars en 2014 ;
  • des plates-formes collaboratives se créent dans un nombre croissant de secteurs (se déplacer, se loger, se financer, se nourrir etc.) ;
  • les synergies entre l’économie collaborative et l’économie classique vont progresser (il est donc probable que l’économie collaborative puisse être considérée comme un relais de croissance) ;
  • l’économie collaborative est un élément de réponse aux nouvelles exigences environnementales (ré-utilisation des objets ou leur mutualisation), si les comportements évoluent aussi.
Au regard de ce qui précède, on ne peut que constater que l’économie collaborative est un concept devenu réalité, avec un potentiel de développement certain et qui, tout en résultant d’une évolution des comportements et mentalités, va lui-même accélérer ou moduler cette évolution.

Ainsi, il est probable qu’elle ne restera pas marginale et les réponses aux questions qu’elle soulève déjà comportent une dimension fondatrice et décisive pour l’avenir.

Pour les auteurs du rapport Terrasse, trois catégories d’initiatives « alimentent » le secteur de l’économie collaborative :
  • les acteurs de l’économie du partage et échanges de particulier à particulier sans poursuite de but lucratif, adossés à un actif (comme la voiture personnelle) ou à un service préexistant (comme le trajet domicile-travail), qui aurait été en tout état de cause réalisé par l’offrant (BlaBlaCar, Guest To Guest) ;
  • les services à la demande, dans lesquels la plate-forme propose un nouveau service, qu’elle définit et dans lesquels elle apparaît elle-même utilisatrice professionnelle et consommatrice, Uber ;
  • les places de marché, qui peuvent mettre en relation des particuliers comme des professionnels (La ruche qui dit oui, Le Bon Coin).
Les membres de la commission juridique de l’ANDRH ont considéré que la question de l’application de normes de droit social aux activités relevant de l’économie collaborative, se posait dans le cadre des services à la demande, qui reposent sur un mécanisme de service spécifique ou spécifique (et pas « préexistant » comme c’est le cas dans le secteur de l’économie du partage) contre une rémunération.

Ils approuvent la préconisation du rapport, selon laquelle « sauf à démontrer que la plate-forme exerce sur leur activité un pourvoir de direction tel qu’elle puisse être assimilée à un employeur, les utilisateurs seront des travailleurs indépendants qui bénéficient de la protection sociale associée à ce statut ». Bien sûr, cela suppose que le rôle des plates-formes demeure celui qui est le leur aujourd’hui, c'est-à-dire un support de mise en relation d’« utilisateurs-prestataires » (ceux qui offrent une prestation) et d’« utilisateurs-bénéficiaires » (ceux qui vont acheter la prestation). Mais à cet égard, le rapport souligne que :

« Les plates-formes numériques ont en commun le fait que leurs utilisateurs sont à l’origine de la création de valeur : ce sont eux qui proposent d’acheter ou de vendre un produit ou une prestation, qui finalisent le contact entre acheteur et vendeur, réalisent la vente ou la prestation et, enfin, l’évaluent. La plate-forme n’offre que des services supports (affichage des offres et des demandes, service de communication par messagerie, sécurisation des paiements)… ».

Ainsi, d’une manière générale, sauf à discuter le principe même de la mise en place d’un statut pour les utilisateurs-prestataires des plates-formes collaboratives de services à la demande, les questions fondamentales sous-jacentes à la définition de ce statut sont connues : il s’agit des questions posées depuis toujours à l’égard des travailleurs indépendants. Comme c'est souligné dans le rapport :
  • « …les difficultés que rencontrent les travailleurs de l’économie collaborative en matière de protection sociale ne sont pas différentes de celles que rencontrent l’ensemble des travailleurs indépendants. Elles sont liées, d’une part, à l’absence de couverture obligatoire de certains risques sociaux (chômage, accidents du travail et maladies professionnelles) et, d’autre part, à des niveaux de prestations parfois inférieurs à ceux des travailleurs salariés en matière de retraite et de prévoyance, en rapport avec des niveaux de cotisations plus réduits » ;
  • « la question de l’inégalité de couverture sociale obligatoire en fonction des statuts est au cœur de l’histoire de la sécurité sociale. Les évolutions entamées depuis plusieurs décennies, qui traduisent le passage d’une solidarité professionnelle vers une solidarité nationale, ont conduit à rapprocher les conditions de prise en charge des risques sociaux, quel que soit le secteur d’activité et le statut ».

Le rapport énumère également les mesures récentes visant à permettre aux gens alternant activités salariées et indépendantes de cumuler les droits acquis dans le cadre de ces différents statuts.

Pour les membres de la commission juridique, ces observations confortent leur position selon laquelle la flexi-sécurité, dont la nécessité n’est aujourd’hui plus discutée, ne peut passer que par la mise en place de droits attachés à la personne, et plus à un statut (indépendant, salarié CDI/CDD/intérimaire), la question même du contrat de travail, unique ou non, ne méritant d’être débattue que dans un second temps.

Pour les membres de la commission juridique, l’implication fiscale et sociale des plates-formes collaboratives dans le prélèvement des cotisations et contributions semble être la voie la plus transparente et la plus simple (quoique ce point se situe probablement un peu au-delà des missions de la commission). En ce sens, d’ailleurs, le rapport énonce une proposition n° 14 : « s’engager avec les plates-formes dans une démarche d’automatisation des procédures fiscales et sociales ».

La situation qui en résulterait serait néanmoins tout-à-fait nouvelle, dans la mesure où, à l’inverse des salariés, les travailleurs indépendants sont en principe personnellement responsables de l’acquittement des cotisations et contributions qui leur incombent.

En tout état de cause, pour ce faire, l’attribution d’office, à chaque « utilisateur-prestataire », d’un numéro d’immatriculation de type « SIREN » ou « sécurité sociale » pourrait constituer une solution, dès lors que la procédure demeure fluide et non chronophage.

Les membres de la commission juridique se sont enfin interrogés sur la proposition n° 12 : « Clarifier la doctrine de l’administration fiscale sur la distinction entre revenu et partage de frais et celle de l’administration sociale sur la notion d’activité professionnelle ». En effet, il leur apparaît que la question de l’application de normes de droit social ou de protection social ne doit être posée que dans le cadre d’activités de services à la demande et non dans le cadre d’activités collaborative de partage.

Ne devrait-on donc pas considérer que les services à la demande ne revêtent pas, par essence, une dimension professionnelle ?En effet, les activités de services à la demande se présentent, pour les utilisateurs-bénéficiaires des plates-formes, comme des alternatives aux services proposés dans le secteur économique classique par des professionnels. Ne devrait-on donc pas considérer que les services à la demande ne revêtent pas, par essence, une dimension professionnelle ?

En tout état de cause, les membres de la commission juridique considèrent que, s’il était envisagé de poser certains critères afin de distinguer les prestations professionnelles des non-professionnelles, alors il y aurait trois critères envisageables : le revenu tiré des activités par le bénéficiaire-prestataire, le temps passé par ce dernier ou le secteur d’activité concerné (les deux premiers critères posant la question de la totalisation des revenus ou des heures pour les bénéficiaires-prestataires inscrits sur plusieurs plates-formes collaboratives).

Les tableaux comparatifs des différentes solutions adoptées au sein de l’Union européenne, qui figurent en annexe du rapport, témoignent de la complexité des problématiques posées et de la richesse des réflexions qui sont en cours.

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