Participatif
ACCÈS PUBLIC
19 / 03 / 2012 | 22 vues
Roman Bernier / Membre
Articles : 43
Inscrit(e) le 21 / 04 / 2011

Pour une législation européenne des travailleurs du transport aérien

Mardi dernier, le tribunal correctionnel de Bobigny a condamné la compagnie CityJet, filiale d'Air France a 100 000 euros d'amende pour « travail dissimulé ». La compagnie est reconnue coupable d'avoir employé des salariés travaillant sur le sol français sous contrat irlandais entre 2006 et 2008. CityJet versera aussi 637 380 euros à l'URSSAF, 20 000 euros aux syndicats SNPL et SNPNC et 233 450 euros aux 27 salariés parties civiles.

CityJet a bien entendu annoncé vouloir faire appel du jugement. La compagnie s'est dite surprise, et persuadée d'avoir été dans son droit. Qu'elle se rassure, elle n'est pas la seule. En février 2010, EasyJet était condamnée pour travail dissimulé et en août de la même année, c'était le tour de Ryanair ; en février 2012, celui de Vueling. Toujours le même scénario : l'inspection du travail qui passe et s'aperçoit que des PNC et des pilotes résidant et travaillant à plein temps à partir de la France sont déclarés en Irlande (ou en Angleterre pour le cas d'EasyJet). Toujours le même résultat : une condamnation, suivie d'un appel de la compagnie qui crie sa bonne foi avant de voir son appel rejeté.

Une fragmentation plus bénéfique aux employeurs qu'aux employés

Si les conséquences sont toujours les mêmes, pourquoi le cas se reproduit-il encore et encore ? La raison est à trouver dans les différents systèmes juridiques au niveau européen. Le cadre légal irlandais donne beaucoup plus de souplesse aux employeurs et des charges patronales beaucoup plus faibles. Pour des compagnies aériennes coincées entre une compétition acharnée et un baril de pétrole stratosphérique, la moindre opportunité d'économiser de l'argent est une bénédiction.

L'Irlande est ainsi devenue le nouveau paradis des employeurs low-costs. Il n'est pas certain que les employés partagent totalement cette vision. Quelque soit le pays d'Europe d'où ils travaillent, ils ne cotisent pour leur retraite qu'en Irlande tout en n'étant guère plus payés qu'un serveur dans un bar. Est-ce légal ? C'est là le fondement du problème et la réponse est pour le moins paradoxale.

Un flou juridique facilitateur

Si l'on écoute les compagnies aériennes accusées, leurs pratiques d'emploi sont parfaitement légales. En effet, celles-ci se réfugient derrière la directive 96/71/CE de la Commission européenne. Conçue à l'origine pour les travailleurs offrant de brèves prestations de service dans un autre pays européens, les compagnies low-costs ont choisi de l'interpréter comme un passe-droit pour déclarer leurs employés dans le pays le plus intéressant pour elles. Ainsi, fin 2010 Ryanair se déclarait-elle en plein accord avec le droit européen puisque ses avions pouvaient être considérés comme irlandais. La compagnie oubliait de mentionner le fait que ses PNC et pilotes résidaient à plein temps dans d'autres pays.

Le fait est que les compagnies aériennes surfent tranquillement sur un flou juridique. D'autant que, si l'on y reprend le cas de Ryanair, après que la commission a été saisie sur la question elle a jugé qu'étant donné que les employés résidaient, commençaient et finissaient leurs journées dans un pays autre que l'Irlande tous les jours, ils ne pouvaient être considérés comme tombant sous le coup de la directive 96/71/CE.

Toutefois, cet avis, s'il est l'interprétation la plus correcte de la directive, n'a pas valeur de loi en lui-même. Les compagnies low-costs continuent donc de profiter d'un flou sur lequel elles préfèrent ne pas trop s'attarder. Il n'y a qu'en France, où un décret de novembre 2006 concernant spécifiquement le personnel navigant de compagnies étrangères, a clairement tranché ce nœud gordien. D'où des procès à répétition pour les compagnies qui se basent sur le sol français.

En attendant, il devient urgent que la loi européenne, censée protéger ses citoyens, mette fin à ces pratiques abusives qui facilitent le dumping social au sein même de l'ensemble européen. Il est anormal que la Commission européenne soit responsable du maintien de distorsion de concurrence et de la précarisation de l'emploi au sein de son propre domaine d’exercice.

Afficher les commentaires

Bonjour, Je souhaite apporter quelques remarques. Si le droit européen n'a pas été clair par le passé, des jurisprudences donnaient toutefois des pistes, mais aujourd'hui, de solides outils juridiques existent ou sont en cours de finalisation. La modification du règlement communautaire (883/2004) définissant le régime de sécurité sociale applicable aux travailleurs mobiles du transport aérien (PN pilotes et personnels de cabine), vient d'être votée en février 2012 par la Commission Emploi et Affaires sociales du Parlement européen, par 42 voix pour et une abstention. C'est donc la home base (base d'affectation) qui seule définira dorénavant le régime de sécurité sociale applicable aux PN, après une période de transition de maximum 10 ans si le PN concerné n'a pas de changement dans sa situation professionnelle ou familiale. Le statu quo sera donc exceptionnel car un changement de home base ou une évolution professionnelle ou familiale importante, constituent des modifications significatives entrainant l'application immédiate du nouveau texte, c'est à dire la règle de la home base. De plus, un PN peut demander lui-même de passer sous le nouveau régime réglementaire et cela devra être fait dans les 3 mois. Le texte rédigé par les experts des Etats membres, texte qui avait repris les propositions des partenaires sociaux (employeurs et travailleurs) contre la volonté initiale de la Commission européenne et que nous avions donc soutenu, avait été approuvé dans son orientation, par le Conseil de l'UE en juin 2011. Il a été légèrement modifié par la Commission Emploi et Affaires sociales du Parlement européen par la suite en coordination avec le Conseil de l'UE et les partenaires sociaux européens. Le texte étant identique entre le Conseil et la Commission parlementaire, il sera donc adopté sous la présidence danoise dès la première lecture en séance plénière du Parlement européen du mois d'avril (plus de surprise de dernière minute car il n'est juridiquement plus possible de faire des amendements). Après avril 2012 pour le Parlement, puis l'acceptation formelle du texte prévue au vote en point A sans débat au Conseil, les supports législatifs existeront à la fois pour le droit du travail et le droit de la sécurité sociale. Il restera à les appliquer. Après avoir déjà adapté en 2007, le règlement définissant le droit du travail applicable en Europe (593/2008 pour la Convention de Rome I avec le rajout d'une précision permettant d'appliquer par défaut le droit de l'Etat membre à partir duquel l'activité est exercée), nous avons donc la home base comme seul critère pour les 3 droits européens : transport aérien (EU OPS), sécurité sociale (883/2004) et droit du travail (593/2008). De plus, la directive 96/71/CE sur les détachements des travailleurs va être revue suite aux jugements Laval et Viking. La Commission européenne a récemment communiquer sur cette question. Mais il est clair pour tous qu'elle ne s'applique que pour des prestations de services (base juridique de la libre circulation des biens et services et non pas des travailleurs). Elle n'a pas pour vocation de traiter les mutations non temporaires des travailleurs. Toutefois, le Parlement européen a souhaité que la base juridique soit la libre circulation des travailleurs, plus favorable aux travailleurs dans le Traité, pour simplifier les interprétations. En conclusion, les nouvelles législations européennes se mettent en place. Emmanuel JAHAN