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07 / 03 / 2022 | 576 vues
Hélène Fauvel / Abonné
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Nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics : des agents au comptable, tous responsables ?

Dans la suite du groupe de travail du 4 janvier (point d’orgue du manque de transparence), l’administration s’y étant livrée au commentaire d’un texte non communiqué aux syndicats, le projet d’ordonnance relatif au nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics nous a enfin été présenté le 10 février, à quelques jours du conseil commun de la fonction publique prévu pour le 17 février et de sa transmission au Conseil d'État.

 

Des inquiétudes quant aux futures constructions jurisprudentielles

 

Nous y avons exprimé des inquiétudes quant aux futures constructions jurisprudentielles des deux nouvelles notions de « faute grave » et de « préjudice financier significatif », dont la pleine et entière appréciation sera laissée au juge financier.

 

Pour la majorité des autres fautes dites « moins graves » (absence de PJ, non-respect des contrôles etc.) relevant de la responsabilité interne, notre syndicat a relevé le levier managérial élargi donné aux directeurs régionaux et départementaux des finances publiques envers le personnel de la DGFIP, qu’ils soient comptables, adjoints ou collaborateurs.

 

En réponse aux inquiétudes exprimées, l’administration s’est contentée de réciter des mantras réconfortants.


La délégation du syndicat s’est aussi fait la porte-parole des nombreux collègues comptables publics s'inquiétant du manque de moyens en personnel et de l’incertitude de régime (responsabilité personnelle et pécuniaire ou responsabilité des gestionnaires publics) appliqué aux exercices comptables de 2021 et 2022 ou encore de la refonte des contrôles internes.

 

En réponse aux inquiétudes exprimées, l’administration s’est contentée de réciter des mantras réconfortants sur un nouveau régime réservant l’office du juge aux cas les plus graves et confiant aux « managers publics » la responsabilité de gérer les autres fautes.

 

30 pages en 2h15 chrono

 

Commenter un projet d’ordonnance d’une trentaine de pages en 2h15 chrono n’est pas un exercice évident. Au final, force est de constater que nous en ressortons avec l’impression que rien n’est encore véritablement cadré. Les futurs gestionnaires publics devront essuyer les plâtres d’un nouveau système dont la promesse d’amélioration de l’existant ne saute pas aux yeux.

 

Les précisions apportées par l’administration ont consisté à :

  • affirmer qu’ils avaient resserré les peines puisque, d’une peine maximale d'un an de traitement que tout gestionnaire public pouvait encourir devant la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF), nous passons maintenant à six mois de rémunération. Pour nous, pas sûr que le comptable public s’y retrouve en passant d’un système dans lequel il était cautionné et assuré, avec possibilité de remise pour ses comptes à un système où il encourt jusqu’à six mois de rémunérations primes comprises (encore un arbitrage de perdu depuis la réunion du 4 janvier). Il a fallu une question de notre délégation syndicale pour découvrir ce pot aux roses de l’intégration des primes dans le calcul des amendes ;
  • rappeler que l’engagement de la phase juridictionnelle n’empêcherait pas une procédure pénale ni administrative (disciplinaire) si besoin était ;
  • nous dire que les arbitrages (DG contre Cour des comptes) sur la qualification de la « faute grave » « n’ont pas été pour préciser les choses » ;
  • se réjouir de la définition partielle du « caractère significatif du préjudice financier » par l’ordonnance : « apprécié en tenant compte de son montant au regard du budget de l’entité ou du service relevant de la responsabilité du justiciable » ;
  • évacuer le problème du déficit de moyens mis à la disposition du gestionnaire (et signalé à sa direction) pour tenter de peu ou prou dégager sa responsabilité. La réponse apportée par l’administration est de dire qu’il s’agira pour le juge financier d’analyser « l’appréciation des circonstances de l’espèce » ;
  • nous préciser les règles concernant la période transitoire (exercices de 2021 et 2022) : l’exercice de 2022 sera soumis au nouveau régime dit de responsabilité des gestionnaires publics (RGP) et il en sera « très probablement » de même pour l’exercice de 2021 ;
  • nous confirmer qu’il n’y aurait plus de cautionnement à compter de l’exercice de 2023 puisque celui-ci était adossé à la responsabilité personnelle et pécuniaire (RPP) ;
  • assumer certaines contradictions avec le décret relatif à la gestion budgétaire et comptable publique (GBCP) du 7 novembre 2012 qui s’expliquent par le caractère strictement législatif de l’ordonnance. L’administration a bien précisé que des travaux normatifs étaient encore à venir pour mettre ordonnance et codes en phase (code des juridictions financières et code général des collectivités territoriales notamment) ;
  • rappeler que la protection fonctionnelle est due au fonctionnaire, « on ne va pas plus loin », dixit la DGFIP. Et cette dernière d'ajouter que si les justiciables veulent de la protection juridique, ils pourront souscrire des assurances ;
  • éclaircir la notion de signalement (du comptable à l’ordonnateur d’une infraction) bien posée dans l’ordonnance et à rapprocher de la réquisition désormais portée au niveau législatif.

 

Demain, tous responsables ?

 

Les discussions et précisions apportées confortent notre organisation syndicale dans son analyse sur un RGP nébuleux et aux lourdes conséquences pour tout le personnel de la DGFIP.

 

Pour illustrer cela, nous avons attiré l’attention sur l’article L 131-2, rédigé comme suit : « Sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à gravement compromettre un intérêt public, le justiciable qui agit conformément aux instructions de son supérieur hiérarchique ou d’une personne habilitée n’est passible d’aucune sanction. La responsabilité du supérieur hiérarchique se substitue à celle du subordonné ». Si un jeune agent (ou changeant de métier au sein de la DGFIP), peu au fait de nos réglementations, ne détecte pas l’illégalité d’un acte, il sera responsable et soumis à sanction.

 

Désormais, chaque agent de la DGFIP est potentiellement responsable et passible de sanctions.

 

Jusqu’au 31 décembre 2022, on engage la responsabilité de son chef ; le 1er janvier 2023, on engagera sa propre responsabilité. Alors que la DGFIP tire à boulets rouges sur une responsabilité personnelle et pécuniaire qui, soi-disant, sclérosait et rigidifiait les relations entre ordonnateurs et comptables, des gestionnaires et agents publics de tout grade exigeront un ordre écrit du supérieur à chaque opération afin de se protéger, à partir de 2023.


Notre organisation syndicale  s’inquiète du sort des collègues rennais et toulousains du Pôle national d’apurement administratif.

 

Nous avons  été la seule organisation syndicale à s’inquiéter du sort des 64 cadres et agents des sites de Rennes et de Toulouse formant le Pôle national d’apurement administratif (PNAA). Que deviendront-ils ? L’administration s’est contentée de dire qu’elle pourrait orienter ces agents sur de l’appui au contrôle interne et à la qualité des comptes dans le cadre du contrôle managérial. Aussi avons-nous exigé d’être régulièrement informés de l’état des réflexions sur le devenir de ces collègues.

 

Le volet managérial et les sanctions qui iront avec

 

À trop vouloir se focaliser sur le volet juridictionnel, on en oublierait presque le plus important en nombre et en fréquence de mises en cause futures, à savoir le volet managérial et les sanctions qui iront avec. On a bien compris que l'avenir du comptable public (mais devra-t-on encore l’appeler ainsi ?) se déterminera sur sa capacité à tenir un nouveau plan de contrôles internes restant d’ailleurs encore à élaborer.

 

Le serrage de vis du futur comptable public (via le levier managérial et les sanctions disciplinaires) sera bien la réalité. Nouveau réseau de proximité , recrutement au choix, rémunération variable selon l’atteinte ou non des objectifs et « débarquement » du responsable s’il ne fait pas l’affaire seront autant d’outils dont les directeurs locaux disposeront demain.

 

Au final, nous retenons de ce groupe de travail que cette réforme marque l’entrée dans une nouvelle ère, celle de l’éradication à terme de la fonction comptable publique par la création de ce nouveau système qui va irriguer tous nos métiers. Si nous regardons l’ensemble des réformes en cours, quelle DGFIP demain et quelle place au cœur de l’État ?

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Encore bien d'incertitudes sur une réforme menée au pas de charge....sans véritable débat de fond..

L'ordonnance relative au nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics  a été publiée au Journal officiel du 24 Mars ....pour application dès le 1er janvier 2023... mais les modalités de mise en cause de cette responsabilité soulèvent bien des interrogations, d'autant que la liste des acteurs qui y échapperont est curieuse...en effet les ministres et élus locaux ne sont pas concerné&s...comprenne qui pourra !