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17 / 08 / 2023 | 426 vues
Florent Suxe / Membre
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Le contentieux du télétravail

Utilisé massivement pendant la crise sanitaire liée à la covid-19, le télétravail existe toutefois depuis de nombreuses années et répond à de multiples besoins.
 

En dehors des besoins liés à des circonstances exceptionnelles comme celles que nous avons récemment connues, le télétravail peut constituer une forme d'organisation générale du travail ou permettre de faire face aux difficultés que rencontrent certains salariés, notamment dans les situations de risques psychosociaux ou de harcèlement.
 

Faute d’encadrement entre autres, le télétravail peut, au contraire, créer des difficultés tenant par exemple à l’isolement de certains travailleurs, à l’impossibilité de créer une cohésion d’équipe, ou encore, à l’altération du rapport de subordination…
 

Le travail à domicile ne doit pas être confondu avec le télétravail, ces deux organisations ayant en commun un travail hors de l’entreprise.

 

Constitue un travail à domicile :

  • L'exécution d'un travail à effectuer hors de l'établissement du donneur d'ouvrage ;
  • pour le compte d'un ou plusieurs établissements ;
  • avec rémunération forfaitaire ;
  • et une aide restreinte

 

Il n’est pas nécessaire qu’il existe un lien de subordination entre les parties. De même, la propriété du local et du matériel, l'achat des fournitures accessoires, et le nombre d'heures accomplies sont des éléments indifférents.


Selon l’article L 1222-9, alinéa 1er du code du travail, le télétravail désigne un travail qui aurait pu être exécuté dans les locaux de l'employeur mais qui l’est hors de l’entreprise, par le recours par le salarié aux technologies de l'information et de la communication, selon des degrés différents :
 

  • télétravail permanent ;
  • télétravail alterné : le salarié exécute son travail alternativement dans l'entreprise et un autre lieu (généralement son domicile) selon des modalités et un rythme prédéterminés ;
  • télétravail en « télécentre » ou « locaux partagés » : le salarié effectue son travail dans un local loué par son employeur et partagé avec d'autres entreprises dans lequel sont mis à disposition des moyens spécifiques de communication ;
  • télétravail nomade : le salarié exécute son travail en dehors de l'entreprise, mais dans aucun lieu fixe déterminé à l'avance, et conserve un bureau dans l'entreprise.


A la différence du télétravail, le travailleur à domicile n’est pas salarié (faute de lien de subordination). C’est par un statut dérogatoire qui lui est réservé, qu’il bénéficie de la protection de l'ensemble des dispositions du code du travail. Le télétravailleur est, en revanche, un salarié comme les autres mais bénéficie de règles propres à cette organisation.
 

Où sont logées les règles relatives au télétravail ?
 

  • 1er texte : l’accord cadre européen sur le télétravail du 16 juillet 2002, négocié avec les partenaires sociaux européens qui est non contraignant et constitue la base des négociations appelées à s'ouvrir dans chaque État membre.
  • 2nd texte : L’accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juillet 2005, applicable en France, étendu par arrêté du 30 mai 2006, qui définit le télétravail et en organise les modalités d'exécution autour de plusieurs grands principes :
    • son caractère volontaire ;
    • sa réversibilité ;
    • l'égalité avec les salariés travaillant au sein de l'entreprise ;
    • la protection des données ;
    • le respect de la vie privée.


Non abrogé, ce texte continue de s’appliquer malgré les textes postérieurs, lorsque l’employeur entre dans son champ d’application.
 

  • 3ème texte : la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 venue relayer l’ANI et qui a créé les articles L 1222-9 et suivants du code du travail, régissant le télétravail
  • 4ème texte : l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 et sa loi de ratification du 29 mars 2018, imposant que soient précisées, dans l'accord collectif ou la charte élaborée par l'employeur encadrant la mise en place du télétravail, les conditions de passage en télétravail.
  • 5ème texte : la loi n° 2018-771 du 5 septembre ayant modifié les articles 1222-9 et suivants du code du travail, régissant les le télétravail
  • 6ème et dernier texte : l’ANI du 26 novembre 2020 complétant le cadre juridique du télétravai

L’essentiel des règles applicables au télétravail

  • Volonté réciproque des parties

Sauf circonstances exceptionnelles (comme la pandémie), le télétravail ne peut être imposé par le salarié à l’employeur et inversement. En revanche, l’employeur doit motiver son refus contrairement au salarié qui ne peut logiquement être licencié du fait de ce refus (article L 1222-9, alinéas 12 et 13).
 

  • Mise en place du télétravail à tout moment

Article L 1222-9, alinéa 2 du code du travail : Le télétravail peut être mis en place dès l’embauche ou en cours de contrat.
 

  • Nécessité d’un cadre au télétravail

L'article L 1222-9 alinéa 3 du code du travail prévoit qu’un accord collectif ou une charte élaborée sur avis du CSE, s’il existe, doit prévoir la mise en place du télétravail.

Auquel cas, il n’est pas nécessaire de contractualiser la mise en place du télétravail avec le salarié, sauf lorsque l’organisation est mise en place en cours de contrat de travail (elle n’a alors pas fait pas partie des conditions d’embauche) à moins que l’accord dispense d’une telle contractualisation (règle applicable aux employeurs soumis à l’ANI de 2005).
 

Contenu obligatoire de l'accord ou de la charte


Selon l’article L 1222-9 II du code du travail, l'accord collectif ou la charte élaborée par l'employeur doit obligatoirement définir :

  • les conditions de passage en télétravail ;
  • les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail ;
  • les modalités d'acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre du télétravail ;
  • les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail ;
  • la détermination des plages horaires durant lesquelles l'employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail ;
  • les modalités d'accès des travailleurs handicapés à une organisation en télétravail.
  • Réversibilité et priorité d’accès à un poste sans télétravail


Les ANI prévoient une période d'adaptation obligatoire durant laquelle chacune des parties peut mettre un terme à cette organisation du travail, moyennant le respect d'un délai de prévenance, ce qui signifie par ailleurs que le salarié doit, auquel cas, pouvoir retrouver un poste sans télétravail dans les locaux de l'entreprise correspondant à sa qualification.


En outre, il doit exister entre les parties une clause prévoyant les conditions dans lesquelles chacune des parties peut réclamer le retour du salarié dans les locaux de l'entreprise.

 

L’ANI prévoit par ailleurs que lorsque le télétravail a été convenu dès l'embauche, « le salarié peut postuler à tout emploi vacant, s'exerçant dans les locaux de l'entreprise et correspondant à sa qualification. Il bénéficie d'une priorité d'accès à ce poste ».  Il se trouve donc dans une situation identique à celle d'un travailleur à temps partiel qui bénéficie d'une priorité d'emploi à temps plein.


Le code du travail étend cette règle au télétravail en cours de contrat. (Article L 1222-10 2° du code du travail).
 

  • Egalité du télétravailleur avec les autres salariés

Il doit jour des mêmes droits individuels et collectifs que ceux qui travaillent dans les locaux de l'entreprise (Article 1222-9 III du code du travail).

 

Le contentieux du télétravail : quelques décisions jurisprudentielles

  • Un écrit pour la mise en place du télétravail

L'absence de signature d'un avenant précisant notamment les conditions de passage en télétravail et les modalités de contrôle du temps de travail, à défaut d'accord collectif applicable, cause un préjudice au salarié (CA Rouen, 28 mars 2019, n° 18/04733 : JurisData n° 2019-026148).

Toutefois, la jurisprudence ne considère pas comme fautive l’absence de régularisation d’un avenant prévoyant de télétravail, lorsque cette organisation a été mise en place à la seule demande et dans l’intérêt du salarié.

(CA Paris, 20 mai 2020, RG n° 17/06580, JurisData n° 2020-010809)

 

  • Passage en télétravail du salarié

Le fait de ne pas signer un avenant au contrat de travail prévoyant les conditions du passage en télétravail et les modalités de contrôle du temps de travail, à défaut d’accord collectif applicable, a causé un préjudice au salarié dont le temps de travail n’a pas été contrôlé et qui a été amené à effectuer des heures supplémentaires.

Réparation de son préjudice pour non-respect des dispositions sur le télétravail.

(CA Rouen, 28 mars 2019, RG n° 18/04733, JurisData 2019-026148)

 

  • Pas d’insubordination à télé travailler à défaut d’instructions contraires

L’employeur qui ne démontre pas avoir informé un salarié de la procédure applicable pour recueillir l’autorisation de télé-travailler, ne peut lui reprocher une insubordination, si une fois celui-ci informé, le salarié a cessé le télétravail non autorisé.

(CA Versailles, 19 décembre 2019, RG n° 17/04833 – JurisData n° 2019-026134)

 

  • Délai de réflexion pour la cessation du télétravail

Lorsqu’un avenant au contrat de travail prévoit un délai d’un mois à compter de la réception du courrier de l’employeur faisant cesser le télétravail et demandant au salarié de revenir dans les locaux de l’entreprise, le licenciement du salarié qui bénéficie d’un tel mode d’organisation et qui fait part de son refus alors qu’un seul délai de 2 jours lui a été laissé pour faire part de sa position, est sans cause réelle et sérieuse.

En l’espèce, il avait par ailleurs été proposé au salarié lors d’un entretien une modification des jours de travail à son domicile et non un travail à temps plein sur site. En outre, l’employeur se justifiait en soutenant que le télétravail le jeudi et le vendredi, du salarié, l’empêchait de participer à des formations, alors que des solutions existaient malgré tout.

(CA, Paris, 22 janvier 2019, JurisData 2019-026135)

 

  • Contractualisation du lieu de travail

L’employeur ne peut remettre unilatéralement en cause le télétravail, lequel a pour effet de contractualiser le lieu de travail (Cass. soc., 31 mai 2006, n° 04-43.592 ; Cass. soc., 29 nov. 2007 ; CA Grenoble, 19 mars 2019, n° 16/00621 : JurisData n° 2019-026145).


Dans le même sens, l'employeur ne peut supprimer unilatéralement la clause offrant la faculté au salarié de travailler exceptionnellement à son domicile avec l'autorisation de sa hiérarchie. (Cass. soc., 4 avr. 2012, n° 11-10.628 : JurisData n° 2012-006598).


Le retour du salarié dans l'entreprise implique donc soit l'accord des deux parties (Cass. soc., 13 févr. 2013, n° 11-22.360 ;Cass. soc., 12 févr. 2014, n° 12-23.051), soit la mise en œuvre loyale de la clause de réversibilité (CA Montpellier, 20 mars 2019, n° 15/06149 : JurisData n° 2019-026146. – CA Paris, 22 janv. 2019, n° 17/00082 : JurisData n° 2019-026135).

 

  • Respect des préconisations du médecin du travail

Le recours au télétravail peut faire partie des mesures préconisées par le médecin du travail. (C. trav., art. L. 4624-3 ; CA Montpellier, 14 nov. 2018, n° 16/02810 : JurisData n° 2018-026799. – CA Aix-en-Provence, 4 avr. 2019, n° 16/03096 : JurisData n° 2019-026151).


Or, participe à l’exécution fautive par l’employeur du contrat de travail, le fait pour l’employeur de refuser de satisfaire à la recommandation émise par le médecin du travail après visite de reprise, de permettre au salarié de poursuivre son activité en télé travail

(CA Aix en Provence, 4 avril 2019, RG n° 16/03096 Jurisdata n° 2019-026151)


De même, l’employeur qui ne tente pas de reclasser son salarié en télétravail en non-respect des préconisations du médecin du travail alors que l’organisation du télétravail est effective au sein de l’entreprise, manque à son obligation de reclassement.

(CA Riom 21 janvier 2020 RG n° 17/02569 – JurisData n° 2020-010718)

 

  • Discrimination sur l’état de santé du salarié en cas de non-respect de l’avis du médecin du travail :

Est nul le licenciement du salarié décidé en raison de l’absence de présentation du salarié sur son lieu de travail dès lors que l’employeur n’a pas respecté l’avis du médecin du travail préconisant la mise en place du télétravail et n’avoir pas même initié de réflexion sur les modalités de mise en œuvre d’une telle organisation, sans contester ledit avis. La cour d’appel a en l’espèce jugé que le fait de reprocher au salarié de ne plus s’être présenté dans les locaux de la société, alors que l’exercice de ses fonctions au sein de l’entreprise, était incompatible avec les préconisations du médecin du travail, était constitutif d’une discrimination liée à l’état de santé du salarié.

(CA Paris, 19 mai 2020, RG n° 18/01918, JurisData 2020 010914)

 

  • Respect de la vie privée et familiale : Refus légitime de la fin du télétravail

Un salarié, qui dès l’embauche, a travaillé exclusivement à son domicile dans le cadre d’une organisation en télétravail à 100 %, ne peut se voir imposer par son employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction, une modification de son lieu de travail, laquelle constitue une modification d’un élément substantiel de son contrat de travail portant nécessairement atteinte à son droit à une vie familiale normale, que si ce changement est justifié par la tâche à accomplir et proportionné au but recherché. En l’espèce, il s’agissait d’une salariée embauchée en qualité de webmaster, qui revenait de congé maternité, dont les fonctions n’impliquaient pas sa présence nécessaire dans les locaux de l’entreprise et alors que la salariée avait l’ensemble du matériel nécessaire à domicile pour effectuer son travail. La cour d’appel a estimé légitime son refus de venir travailler dans les locaux, rendant sans cause réelle et sérieuse le licenciement de la salariée, décidé en raison de son refus de subir cette modification jugée abusive de son contrat de travail, par son employeur.

(CA Aix-en-Provence, 27 février 2020, RG n° 17/19865, jurisdata 2020-010808)

 

Au contraire, lorsque le salarié a accepté une clause de réversibilité contenue en son avenant à son contrat de travail alors que le télétravail ne faisait pas partie de son embauche mais a été mis en place à la demande du salarié, et que l’employeur, décidant du retour du salarié dans les locaux, a respecté le délai de prévenance qui lui était imposé, sa décision ne porte pas une atteinte à sa vie personnelle et familiale et n’est pas disproportionné eu regard du but recherché justifié par l’intérêt de l’entreprise, le refus du salarié devenant fautif.

(CA Montpellier, 20 mars 2019, RG n° 15/06149, JurisData n° 2019-026146)

 

  • Atteinte à la vie privée en cas de non-respect des horaires normaux d’un salarié par l’employeur

Le salarié qui établit un non-respect par l’employeur de cadre légal du télétravail faute d’établissement d’un cadre horaire impliquant des appels incessants de sa direction en dehors des horaires normaux d’une journée de travail, a droit à réparation d’un préjudice liée à l’atteinte à sa vie privée.

(CA Rouen 31 mai 2018 RG n° 16/03370 JurisData n° 2018-026789)

 

  • Protection du salarié en matière de harcèlement moral

Pour rappel, il ne peut être reproché à un salarié sa dénonciation infondée de faits de harcèlement moral, sauf à caractériser sa mauvaise foi.


Lorsque l’employeur a, par avenant au contrat de travail d’un salarié, convenu la poursuite du contrat de travail en télétravail, ce dernier ne peut invoquer la mauvaise foi du salarié à qui il reproche d’en avoir fait usage pour dénoncer des faits de harcèlement, et lui reprocher un abandon de poste pour ne pas s’être présenté au siège social de l’entreprise après la mise en place d’une telle organisation alors qu’il avait été convenu que son lieu de travail deviendrait le lieu de son domicile.


En l’espèce, l’employeur était revenu sur sa décision de mise en place du télétravail, estimant que le salarié avait fait un usage de mauvaise foi de cette nouvelle organisation et avait licencié le salarié pour abandon de poste, sans caractériser par ailleurs la mauvaise foi du salarié. Le licenciement a été jugé nul sur le fondement de l’article L 1152-2 du code du travail protégeant les salariés dénonçant des faits de harcèlement moral.

(CA Paris,18 septembre 2018, RG n° 14/00449, jurisdata 2018-026795)

 

  • Souffrance liée au télétravail

Le télétravail peut être à l’origine d’une souffrance du salarié, nécessitant que les conditions de sa mise en place soient définies en tenant compte de l’état de santé du salarié.


Une cour d’appel a estimé, s’agissant d’un salarié handicapé, que les conditions de mise en place du télétravail avaient créé un isolement certain et un désappointement, dans le contexte d’une pathologie lourde dès lors que l’employeur n’avait pas pris en compte les contraintes du télétravail pour ce salarié, compte tenu de son handicap et que ses supérieurs hiérarchiques tenaient à son égard – hors sa présence - des propos dégradants.

(CA de Bordeaux, 22 mai 2019, RG n° 16/06765, jurisdata n° 2019-026158)

 

  • Différence de traitement justifiée

Les salariés travaillant à domicile et qui n’engagent de ce fait aucun frais supplémentaire pour se restaurer, sont placés dans une situation différente de celle des salariés travaillant dans les locaux de l’entreprise, justifiant la décision d’un employeur de réserver la délivrance de titres restaurant à ces derniers.

(CA de Riom, 4 décembre 2018, RG n° 17/00463, jurisdata 2018-026802)

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