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04 / 10 / 2023 | 42 vues
Pierre Bauby / Membre
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Entreprises publiques : conjuguer objectifs d’intérêt général et participation démocratique

Le Symposium international du CIRIEC, qui s’est tenu à Thessalonique il y a quelques mois, était consacré aux « Urgences globales et locales : assurer la fourniture des biens et services vitaux à travers l'économie sociale et les entreprises publiques ». J'ai eu l'occasion d'intervenir  lors de la session consacrée aux « Entreprises publiques, protagonistes de modèles intégrés en réponse aux nécessaires transitions ». Nous en reproduisons le contenu.

 

L’objet de notre session, « Les entreprises publiques, protagonistes de modèles intégrés en réponse aux nécessaires transitions » manifeste clairement que nous ne sommes plus dans les années 1980 et 1990, lorsque nous avions à faire face à une violente offensive contre toute forme d’entreprise publique. Elles étaient alors présentées comme en voie d’extinction, résidus d’un autre temps. On reconnaissait tout juste aux autorités publiques la possibilité de conserver des entreprises publiques, mais à la condition qu’elles aient les mêmes logiques et stratégies que les entreprises privées (New Public Management).
 

Notre session a mis au contraire l’accent sur le rôle positif que peuvent et doivent avoir les entreprises publiques (protagonistes, modèles intégrés, réponse aux nécessaires transitions). Cela nous conduit à repréciser le pourquoi des entreprises publiques, leurs forces, mais aussi leurs faiblesses, le fait qu’elles sont des solutions, mais aussi des problèmes et l’issue que représente la participation démocratique.

 

Pourquoi des entreprises publiques ?
 

Nous abordons ici toutes les formes d’entreprises publiques, pas seulement celles qui relèvent de l’Etat, mais aussi des collectivités territoriales (on peut faire référence aux Stadtwerke en Allemagne ou à l’existence en France, depuis 2010, d’un statut de Société publique locale - SPL) ; elles peuvent aussi être européennes et mondiales.
 

Ce qui caractérise toutes les entreprises publiques, c’est qu’elles ont des objectifs et finalités d’intérêt général, des missions définis par les autorités publiques. Il y a donc toujours des responsabilités essentielles des autorités publiques. C’est ainsi que les objectifs de transition – écologique, énergétique, climatique,… - que les autorités publiques décident de promouvoir et de confier à des entreprises publiques doivent être clairement et explicitement définis (dans des Cahiers des charges, des contrats, des lettres de mission, …).
 

Ils deviennent alors des obligations pour les entreprises publiques, qui se doivent d’être exemplaires. Les entreprises publique peuvent être défensives (pour éviter une faillite, des licenciements, ou une OPA hostile), mais aussi, bien évidemment, offensives (pour mettre en œuvre des stratégies publiques économiques, financières, sociales, sociétales, écologiques, de souveraineté,…).
 

Alors que toute entreprise privée vise d’abord à maximiser rapidement son investissement initial et son profit, une entreprise publique peut combiner, intégrer et agréger, en fonction des objectifs et missions qui lui sont confiés, des dimensions économique, financière, sociale, sociétale, déployer des stratégies de transitions à plus ou moins long terme ; elle vise à répondre à des besoins collectifs dans le temps et l’espace.

 

Pour autant, l’entreprise publique est une entreprise, avec ses objectifs propres de pérennisation et de développement ce qui la conduit à rechercher l’intégration des objectifs stratégiques et d’une réelle autonomie de gestion. Il y a là des tensions inéluctables et naturelles entre des finalités qui ne sont pas de même nature et qui impliquent de mettre en œuvre des mécanismes d’échanges et d’arbitrages.

 

Forces et faiblesses

 

L’existence d’entreprises publiques n’est pas un remède-miracle qui viendrait éviter difficultés, tensions et conflits ; elle comporte indissolublement des forces et des faiblesses. La principale force d’une entreprise publique est de disposer d’un réelle légitimité, qui relève à la fois de la décision des autorités publiques, de l’intérêt général collectif, des communs. L’entreprise publique repose sur un socle de valeurs : l’Etat de droit, la démocratie, l’égalité, la solidarité, la cohésion, la durabilité, le fait d’être une sorte d’impulseur ou d’accélérateur de transitions…

 

L’entreprise publique est une manière de répondre aux défaillances du marché, les travaux des économistes l’ont souligné. Mais, en même temps, existent des asymétries structurelles d’informations, de connaissances, d’expertises entre l’autorité publique et l’entreprise publique. Celle-ci dispose, de par sa présence sur le terrain, d’avantages informationnels et de moyens d’actions bien plus complets que l’autorité publique.

 

Dès lors, existe potentiellement une double perversion qui tend à s’auto entretenir : D’un côté les entreprises publiques peuvent devenir des sortes d’ « Etats dans l’Etat », privilégier leurs intérêts corporatistes, ou bureaucratiques ; elles peuvent abuser de leur maîtrise.

 

De l’autre côté, les autorités publiques peuvent instrumentaliser les entreprises publique pour d’autres objectifs que ceux qui ont amené leurs créations, comme on l’a vu lorsqu’il a été demandé à des entreprises publiques de financer des dépenses de politique sociale. Existe le risque de faire d’une entreprise publique une sorte de « vache à lait ».

 

Des tentatives de réponses à ces asymétries ont été développées, comme la création d’Agences indépendantes de régulation, qui ont trop tendance à être des instances bureaucratiques ou technocratiques (1) , ou en France avec la création de l’Agences des participations de l’Etat (APE) visant à ce que l’Etat ait une vision complète et transversale, et non par secteurs ; mais elle oscille entre deux orientations, patrimoniale ou stratégique (2) .

 

Il existe de fortes tensions entre autorités publique et entreprises publiques. Elles sont inhérentes à leurs essences, et elles demandent à faire l’objet de réelles régulations démocratiques.

 

Un enjeu-clé : la participation démocratique

 

Les entreprises publiques sont tout à la fois : - des solutions pour promouvoir l’intérêt général, les communs, maîtriser les « forces du marché » ; - des problèmes pour limiter bureaucratisations et dépossessions, assurer leur véritable « publicisation ». Il n’existe pas de recette miracle pour répondre à ce défi, mais des pistes pour maximiser les avantages et minimiser les dangers en sortant d’un face-à-face, d’un « jeu à deux » forcement réducteur.


Toute entreprise publique a de réels pouvoirs. Comme tout pouvoir, elle peut aller au bout de son pouvoir et en en abuser. Il y a donc nécessité de contre-pouvoirs.

 

Sans prétendre faire disparaître les asymétries qui existent, la participation de toutes les parties prenantes, les consommateurs, les utilisateurs, les organisations syndicales, la société civile, les acteurs de l’ESS , pour développer une régulation multi-acteurs, permet d’en limiter les effets négatifs. De même, faut-il mettre en relations structurelles les dimensions locales, nationales, européennes, en développant des démarches multi-niveaux.

 

C’est en combinant toutes les formes de participation démocratique – à l’amont, de manière opérationnelle, avec des évaluations plurielles reposant sur la mesure des résultats avec de nouveaux indicateurs relevant de toutes les missions confiées aux entreprises publiques, que l’on pourra leur donner toute leur place pour répondre aux besoins de chaque collectivité et de chaque société ▪

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1) Cf. Pierre Bauby, Jean-Marie Fessler, Thierry Mignauw, Les autorités de régulation des services publics en France, Cahiers du CIRIEC France, n°1, novembre 2019.

2) Cf. Philippe Bance, Pierre Bauby et Nathalie Rey, « L’Agence des participations de l’État et le groupe Caisse des dépôts : vers une gouvernance stratégique de l’État sur les entreprises publiques ? », dans Quel modèle d’État stratège en France ? Coordination éditoriale de Philippe Bance, Presses universitaires de Rouen et du Havre, Économie publique et économie sociale, 2016.

 

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