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23 / 04 / 2018 | 8 vues
Secafi (Groupe Alpha) / Abonné
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On ne modernisera pas la SNCF contre ses salariés

Alors que les interviews données par le Président de la République ou par les ministres concernés tentent de clarifier le sujet, entre pédagogie et fermeté, la question du diagnostic demeure entière. Nos éclairages.

La SNCF n’est pas la vieille dame essoufflée dépeinte dans certains discours

Depuis plusieurs années, la SNCF s’adapte et se transforme profondément. La pression exercée par les usagers, les régions finançant les TER et la concurrence d’autres modes mais aussi la ruptures technologiques dans son environnement l’y incite. Elle a ainsi créé Voyages-SNCF.com (devenue Oui.SNCF), troisième site marchand et première agence de voyages en ligne en France, mais aussi de nouvelles offres ferroviaires (iDTGV et Ouigo) et non ferroviaires (Ouibus). Elle a aussi fait évoluer son organisation interne, afin de piloter ses activités avec la plus grande réactivité possible mais aussi d’informer les voyageurs plus efficacement.

Mais ces transformations s’inscrivent dans l’ambiguïté et les contradictions d’un triple objectif assigné à la SNCF.

L’État, tutelle de la SNCF, voit en celle-ci à la fois une entreprise soumise à des exigences financières de profitabilité, un outil d’aménagement du territoire et un client pour l’industrie ferroviaire française. Ces objectifs sont parfois contradictoires entre eux. La SNCF doit donc se soumettre à des arbitrages qui ne sont pas toujours rendus ou pas toujours assumés. Ou qui se traduisent même par des injonctions contradictoires : concilier l’exigence de profitabilité avec les besoins de désenclavement de certains territoires.

Le rapport Spinetta pose un diagnostic incomplet de l’état de la SNCF et, plus généralement, du ferroviaire en France.

Une simple analyse lexicale du rapport Spinetta montre la prédominance des notions de coût et de concurrence dans le point de vue qu’il exprime. À l’opposé, les mots « sécurité », « clients », « service public », « environnement » et « aménagement du territoire » sont peu utilisés.



Le diagnostic posé traite du ferroviaire sans le resituer dans les enjeux majeurs auxquels ce mode doit désormais répondre : des enjeux d’aménagement du territoire, de lien social et d’environnement. En cela, il n’y a pas de « petites lignes » mais que des lignes adaptées à leur territoire. En prônant des gains de productivité et une réduction des effectifs de la SNCF, le rapport Spinetta ne contient en réalité aucune « rupture » : il s’inscrit dans la continuité des plans stratégiques et des plans industriels de la SNCF.

La dette du système ferroviaire français est insoutenable pour SNCF Réseau mais le projet de réforme ne porte pas sur son traitement.

La place que prend la dette dans les débats sur l’avenir de la SNCF, si elle est justifiée, est aussi paradoxale : aucun élément du projet de réforme ne l’évoque malgré les annonces de « reprise partielle » dès 2020. Rappelons, pour faire un parallèle avec d’autres cas en Europe, que la dette actuelle de SNCF Réseau (près de 47 milliards d’euros) est similaire à celle de Network Rail au Royaume-Uni. Mais elle est très supérieure à celle de DB Netz en Allemagne, qui a été reprise par l’État fédéral en 1994 lors de la réforme de la Deutsche Bahn. Cette dette révèle d’abord les impasses de financement de SNCF Réseau, compte tenu des investissements à réaliser. Ceux-ci sont indispensables à la qualité, à la fiabilité et mais surtout à la sécurité des voyageurs et des marchandises transportés. L’enjeu n’est pas d’abord de réduire la dette mais de donner à SNCF Réseau les moyens de ses investissements, partout où des retards s'accumulent depuis deux ou trois décennies.

L’ouverture à la concurrence ne rendra pas « naturellement » le système ferroviaire français plus efficace.

L’efficacité du système ferroviaire ne dépend pas d’éventuels « bienfaits » de la concurrence. Nul ne qualifierait les chemins de fer suisses d’inefficaces alors que, pour l’essentiel, il s’agit d’un monopole.

Les investissements dans l’infrastructure, la modernisation de la signalisation, les politiques publiques (nationales et régionales) et leurs effets sur la concurrence entre le rail et les autres modes de transport, ainsi que la clarté de la stratégie des opérateurs de transport sont, avant la concurrence, des facteurs d’efficacité des services ferroviaires. Il est, d’ailleurs, délicat de trouver une corrélation significative entre le niveau d’ouverture à la concurrence et le montant de la contribution financière publique dans les autres pays européens (ce dernier dépendant aussi fortement des politiques tarifaires).

Selon le Boston Consulting Group, les performances globales du système ferroviaire français en 2017 sont semblables à celle des systèmes allemand, autrichien et suédois, avec une qualité de service identique à celle du système finlandais.

Les enjeux sociaux du projet de réforme de la SNCF ne sont pas réductibles au seul statut des cheminots.

Le projet de réforme inclut la suppression du statut des cheminots, non pour ceux qui en bénéficient mais pour les futures recrues. Ce statut serait l’un des facteurs d’un écart de compétitivité entre la SNCF et les futurs opérateurs concurrents. Cet écart atteindrait 30 %, chiffre qui a l’avantage de frapper les esprits mais l’inconvénient de n’être pas démontré. D’ailleurs, les analyses de Secafi ne confirment pas cet écart.

L’assertion selon laquelle la suppression du statut des cheminots, qui n’est en somme qu’une convention collective d’entreprise, permettrait d’améliorer la compétitivité de la SNCF reste à étayer. D’ores et déjà, la SNCF éprouve des difficultés de recrutement dans certains métiers, notamment de conducteurs ; il s’ensuit que l’attractivité des emplois dans le secteur ferroviaire, marqués par des sujétions lourdes, dépendra largement du cadre social qui leur sera attaché.

Mais la concomitance de l’ouverture à la concurrence et de la suppression du statut recèle deux autres enjeux sociaux. Les appels d’offres qui, dans le futur, désigneront les exploitants des réseaux de trains régionaux, dans un contexte de fragilité budgétaire des régions, pourraient favoriser les opérateurs « moins disant », et encourager les gains de productivité au détriment des conditions de travail des cheminots et du confort des voyageurs (pour ne rien dire de la sécurité des circulations). Du côté des TGV, l’ouverture du réseau en « open access », si elle n’est pas encadrée, exposera la SNCF à n’être concurrencée que sur les dessertes profitables : dans cette hypothèse, elle serait profondément déstabilisée et devrait soit se tourner vers les collectivités pour financer les dessertes déficitaires, soit restructurer son offre au détriment de territoires qui en bénéficient aujourd’hui et au détriment de l’emploi en son sein. 

L’enjeu est celui de l’avenir d’un service public qui ne peut se réduire à une approche comptable.

Les réorganisations rapides que la SNCF a connues ces dernières années (la réforme de 2014 est encore toute récente) se sont parfois accompagnées d’une perte du sens du travail pour ses salariés, confrontés à une parcellisation croissante des activités du groupe. Celui-ci a mis en œuvre des plans de productivité qui expliquent largement les résultats financiers de ces dernières années, en dépit d’une conjoncture parfois défavorable.

Le changement de forme juridique du groupe SNCF et la suppression du statut des cheminots ne sont pas à la hauteur des enjeux actuels. Il ne s’agit pas seulement de savoir si le train pourrait coûter moins cher, mais aussi de savoir ce que rapporte l’existence du train dans les territoires ruraux comme en zone dense, notamment par rapport à la route. Au total, c’est d’une stratégie claire de développement, assise sur des bases financières, industrielles et sociales solides que le train a besoin.
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