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02 / 11 / 2011 | 4 vues
Denis Andrieu / Membre
Articles : 2
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On n'échappe plus à l'obligation de sécurité de résultat

Le droit à la santé devient le fondement d’un nombre de plus en plus important de décisions judiciaires pour ouvrir droit à réparation, fonder une prise d’acte de rupture d’un contrat, justifier un licenciement, contrôler la durée du travail, consulter le CHSCT en cas de restructuration, déclarer la faute inexcusable pour l’absence de mise en place de mesures de prévention effective…

Ces différentes jurisprudences doivent nous faire réfléchir à nos pratiques managériales et aux mesures de prévention à mettre en place. Une analyse de quelques décisions symptomatiques de ces douze derniers mois devra nous permettre de mieux appréhender la force de ce droit émergent. 

L’absence de fourniture immédiate de moyens de protection à un intérimaire ouvre droit à réparation > Cass. soc., 30 novembre 2010

  • Les faits, la décision

Un salarié est déclaré inapte à son poste par le médecin du travail à la suite d'une contamination par le chrome sans qu'une lésion ou une maladie ait été déclarée. Il n’a pas bénéficié des moyens de protection dés sa prise de fonction. « Que la seule circonstance qu'un tel masque n'ait pas été fourni à M. X dès le début de sa mission constituait un manquement de l'entreprise utilisatrice à son obligation de sécurité de résultat causant nécessairement un préjudice au salarié ».

  • Nos commentaires

L’obligation de sécurité de résultat est un principe absolu. Il ne faut pas mettre en danger un salarié, peu importe l’absence d’atteinte immédiate à la santé pour causer un préjudice.

  • Nos conseils

Des procédures les plus strictes doivent être mises en place et surtout respectées 

Projet de cessation d’activité - Incidence sur la santé - Consultation du CHSCT > TGI Toulouse, 3 février 2011

  • Les faits, la décision

« Il résulte des conclusions de l’expertise mise en œuvre à la demande du CHSCT que les effets psychiques, confirmés par le médecin du travail, des salariés concernés par le plan de cessation d’activité sont extrêmement importants et placent ceux-ci dans une situation délétère quant à leurs sérénité et santé… En outre, l’expert désigné par le CCE a également souligné les risques professionnels de souffrance psychique, provoqués par la mise en place de ce plan de cessation d’activité. L’ensemble de ces éléments démontre à l’évidence la réalité des atteintes à la santé des salariés visés par le projet de cessation d’activité, lesquelles justifient la saisine du CHSCT, et ce conformément aux dispositions de l’article L 4612-8 du Code du travail. Dès lors, il sera fait droit à la demande de suspension du projet de cessation d'activité du SAVR Sud-Ouest et du projet de licenciements économiques y afférents et il sera enjoint à la défenderesse de consulter le CHSCT sur ce projet avant de recueillir l’avis du comité d’établissement sur les projets de fermeture du SAVR Sud-Ouest et des licenciements économiques y afférents ».

  • Nos commentaires

Cette affaire ne doit pas surprendre. Les expertises dans ce type de situations se multiplient. Il est intéressant de constater que même l’expert du CE évoque la question de la santé au travail, cette pratique se développant. La consultation du CHSCT devient inévitable.

  • Nos conseils

N’attendons plus l’expertise. Prenons en compte les effets sur la santé en cas de restructuration et présentons cette démarche aux instances représentatives. La lecture du rapport de l’HIRES « santé et restructurations : approches innovantes et restructurations » aidera à appréhender le sujet.

Suicide - Absence de mesures de prévention effectives - Faute inexcusable > Cour d’Appel de Versailles, 24 mai 2011 

  • Les faits

La décision : un ingénieur se jette du haut d'une passerelle au Technocentre de Guyancourt, quelques instants après s'être vu refuser un délai supplémentaire pour réaliser une formation. Le suicide a été reconnu en tant qu'accident du travail. L’ensemble des parties reconnaissent que l'intéressé était en grande souffrance morale. Il résulte de l'article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale que l'employeur commet une faute inexcusable lorsque :

  • il a eu ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié ;
  • et que, en dépit de cette conscience du danger, il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

En l'espèce, en dépit d'une situation de stress apparent que tout le monde avait constaté, l'entourage professionnel avait fait preuve d'une totale indifférence. « Cet état de stress visible de tous, l'employeur ne pouvait pas l'avoir ignoré ». Faute inexcusable dit le juge.

  • Nos commentaires

Absences de dispositifs de prévention effectifs, connaissance par l’entourage de la souffrance du salarié, surcharge de travail et absences de système de mesures. La cour relève que les déclarations d’intentions et les observatoires ne suffisent pas, il faut prendre des mesures effectives. Un arrêt à charge particulièrement motivé qui pose les questions essentielles et montre de surcroît les conséquences d’un management autiste d’une absence de reconnaissance du travail et de ce fait d’une perte de sens pour le salarié.

  • Nos conseils

La prévention passe par la mesure la détection mais aussi par la prise en compte de l’individu par le management. Au-delà des outils mis en place, la formation des managers est essentielle. Mais surtout l’organisation du travail doit prendre en compte l’homme dans une vision ternaire « savoir pouvoir désirer ».

Harcèlement moral - Attitude de l’employeur - Abstention fautive - Portée > Cass. soc., 29 juin 2011

  • Les faits, la décision

Un salarié saisit le CPH pour faire reconnaître le harcèlement dont il se déclare victime. Suite à la condamnation de l’entreprise par la juridiction, l’auteur reconnu des faits de harcèlement est sanctionné. Il saisit à son tour les juridictions pour faire valoir la prescription, l’employeur ayant eu connaissance de la plainte depuis plus de deux mois. La cour : « Mais attendu que l'arrêt relève que l'employeur avait eu connaissance de l'existence éventuelle de faits de harcèlement moral et sexuel reprochés au salarié dès sa convocation le 18 juin 2004 devant le bureau de conciliation et qu'il s'était borné à en nier la réalité dans le cadre de l'instance prud'homale, en omettant d'effectuer les enquête et investigations qui lui auraient permis d'avoir, sans attendre l'issue de la procédure prud'homale l'opposant à la victime, la connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés à M. Strelezki et de prendre les mesures appropriées ; qu'en l'état de ces motifs caractérisant l'abstention fautive de l'employeur et en l'absence de faits fautifs nouveaux, la Cour d'Appel a exactement décidé que la procédure de licenciement avait été engagée tardivement ».

  • Nos commentaires

En matière de harcèlement l’employeur a une obligation absolue de prévention. Dés qu’il a connaissance d’un risque, il doit réagir immédiatement pour faire cesser le risque et prendre les mesures conservatoires. S’il veut pouvoir de surcroît sanctionner l’auteur présumé, il doit enquêter dans le délai de deux mois.

  • Nos conseils

Face au risque de harcèlement, il est impératif de prévoir une procédure d’enquête paritaire avec le CHSCT avec un processus élaboré avec précision. Il sera aussi nécessaire de former les enquêteurs à un exercice délicat pour tenter d’objectiver des situations par essence subjectives. L’ensemble de ces mesures pourra s’intégrer dans un accord de prévention des RPS. 

Le forfait-jours et la protection de la santé et la sécurité du salarié > Cass. soc., 29 juin 2011

  • Les faits, la décision

Un salarié ayant conclu un contrat de travail stipulant une convention de forfait-jours réclame des sommes résultant de « l’insuffisance de l’employeur quant au contrôle du nombre de  jours travaillés ou de suivi de son organisation et de sa charge de travail ». La cour relève « que les stipulations de l’accord collectif du 28 juillet 1998, dont le respect est de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait en jours, n’avaient pas été observées par l’employeur ».

  • Nos commentaires

Il résulte de l’arrêt que :

  • le forfait-jours doit impérativement respecter le droit à la santé et au repos du salarié érigé en exigence constitutionnelle ;
  • le forfait-jours n’est licite que si la mise en œuvre ne méconnaît pas la protection de la santé du salarié ;
  • le forfait-jours doit organiser des garanties du respect des durées maximales de travail.
  • Nos conseils

Si certains accords ne sont pas à réécrire, la cour rappelle qu’il faut les respecter. Pratiquement cette jurisprudence se fait l’écho d’une dérive au nom de l’autonomie favorisée par les nouveaux outils technologiques permettant de travailler en tout lieux. Autant que de traiter la surcharge de travail, il faut réinstaurer de réels temps de repos. Le respect de la santé est à ce prix et ne doutons pas que la Cour de Cassation ne cessera de durcir ses positions sur cette thématique. 

Absence de visite médicale - Rupture imputable à l’employeur > Cass. soc., 22 septembre 2011

  • Les faits, la décision

Un salarié s’est plaint de n'avoir passé aucune visite médicale depuis qu'il travaillait dans l'entreprise. Il a pour ce motif pris acte de la rupture de son contrat. La cour a considéré la rupture imputable à l’employeur et à ses torts.

  • Nos commentaires

La jurisprudence a posé le principe de l’obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise. Elle s’attache aujourd’hui à en assurer l'effectivité. Dans une décision rendue le 22 septembre dernier, la Cour de Cassation vient de préciser que les visites médicales auxquelles doivent être soumis les salariés concourent à la protection de leur santé et de leur sécurité. L'employeur doit donc faire en sorte que ces diverses visites (visite d'embauche, visites périodiques et visite de reprise) soient bien passées, sous peine d'être condamné pour manquement à son obligation de sécurité. Un manquement suffisamment grave pour justifier la rupture du contrat de travail à ses torts. 

Obligation de prudence ou l’obligation de ne pas mettre en danger d’autres membres du personnel > Cass. soc., 4 octobre 2011

  • Les faits, la décision

Un salarié laisse son chien dans sa voiture toute la journée dans le parking de l’entreprise. Le soir venu, montant dans sa voiture, il laisse le chien s’échapper qui attaque alors un salarié. Le maître du chien est licencié pour faute grave pour comportement irresponsable et mise en danger de l’intégrité physique d’autrui. La cour confirme la faute grave sur le fondement de l’article L 4122-1 du Code du Travail selon lequel « il incombe à chaque travailleur de prendre soin en fonction de sa formation et de ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celle des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail ».

  • Nos commentaires

Corollaire de l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur le salarié est tenu à ne pas mettre en danger ses collègues de travail. Pourtant, deux questions n’ont pas été posées. Le maître du chien avait-il conscience du danger qu’il pouvait faire courir ? Il ne faut jamais oublier l’attendu sur l’obligation de sécurité de résultat par rapport au risque connu ou susceptible d’être connu. L’entreprise n’a-t-elle pas sa part de responsabilité en laissant entrer un chien potentiellement dangereux dans l’enceinte de l’entreprise ? Peut-elle se prévaloir de sa propre turpitude ?

  • Nos conseils

Plus sérieusement, cette obligation de prudence une nouvelle fois rappelée pose la question de la conscience du danger et de l’obligation de l’employeur de faire cesser le trouble. La santé est de la responsabilité de tous. Il est impératif d’engager des démarches collectives de prise de conscience. Informé, le salarié ne pourra se soustraire à sa responsabilité.     

Conclusion générale

Ces arrêts montrent la nécessité de prendre le thème de la santé à bras le corps et de ne plus se contenter de déclarations d’intentions. L’effectivité doit devenir une préoccupation constante.

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