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15 / 03 / 2024 | 56 vues
Hélène Fauvel / Abonné
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Montée des inégalités de patrimoine : Un besoin urgent de redistribution des richesses !

En avril 2023, dans le cadre d’une mission d’information de l’Assemblée nationale relative à la fiscalité du patrimoine, le secteur économie a participé à une table ronde afin d’exposer les principales revendications de la Confédération sur ce sujet. A l’issue des travaux de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale, un rapport d’information vient d’être présenté par les députés Jean-Paul MATTEI et Nicolas SANSU (1).


Il dresse d’une part un état des lieux constatant la montée des inégalités liées à la détention du patrimoine en France. D’autre part, la mission formule des recommandations afin de réviser certaines dispositions fiscales actuelles en faveur des contribuables les plus aisés et pour améliorer le contrôle par les services de la DGFiP (Pacte Dutreil, exonérations sans efficacité économique, niches fiscales, valeurs locatives des biens immobiliers, PFU (2) sur les revenus mobiliers, …).


Pour Force Ouvrière, bien que très technique, ce débat sur le niveau d’imposition du patrimoine n’est pas nouveau, il questionne avant tout la redistribution des richesses et le niveau de la fiscalité sur le capital souvent utilisé dans les politiques économiques pour soutenir la croissance et l’investissement. Il doit être démystifié et appréhendé dans sa globalité d’imposition des actifs et des revenus du capital. Par ailleurs, le système des droits de mutation à titre gratuit (ce que l’on appelle communément les droits de succession et de donation) semble inefficace aujourd’hui pour réduire les inégalités de patrimoine et faire face aux nouveaux enjeux économiques, sociaux, environnementaux.


Ce constat alarmant est solidement établi. Ainsi, un autre rapport, du Conseil d’analyse économique (CAE) cette fois, prônait une refonte complète de la taxation sur l’héritage, en faveur de plus de redistribution. A l’échelle internationale, même l’OCDE plaide désormais pour une hausse des droits de succession… Toutes ces propositions buttent encore sur certaines réticences politiques à visées souvent électoralistes.


Cette circulaire tente d’analyser les principales causes des inégalités de patrimoine bien documentés dans ce dernier rapport parlementaire, présente le système fiscal en vigueur en France et dans les pays de l’OCDE, et rappelle les positions de Force Ouvrière en matière
d’imposition du patrimoine et son attachement à l’impôt progressif Républicain.




Un constat unanime des parlementaires : un retour à une société d’héritiers et une concentration des patrimoines :

 


Malgré l’existence d’impôts sur le patrimoine pouvant de prime abord paraître élevés, la France n’a pas échappé à cette tendance puisque 92% du patrimoine brut était détenu en 2021 par la moitié des ménages les plus aisés, 5% détenant le tiers des actifs patrimoniaux tandis qu’au sommet de la distribution, 1% de la population concentrait 15% du total. A l’inverse, la moitié des ménages les plus pauvres ne détenait que 8% du patrimoine brut !


Selon les comptes nationaux de l’INSEE, les sociétés non financières ont en outre distribué à des personnes physiques plus de 230 Mds d’euros de dividendes en 2021 (En hausse constante depuis dix ans de 182 Mds à 230 Mds), tandis que les prix de l’immobilier étaient multipliés par 2,4 en vingt ans sur le territoire (3,5 à Paris) selon l’économiste Pierre Madec.


Cette accumulation de richesses a renforcé la hausse de la part des patrimoines hérités dans le patrimoine total. Ainsi, la fortune héritée (3) représente désormais 60% du patrimoine total contre 35% en moyenne dans les années 1970 en totale déconnexion avec l’évolution des
revenus du travail, des retraites et le niveau de vie d’une grande majorité de citoyens. Autrement dit, les grandes fortunes et les héritages importants sont avant tout le fruit d’un précédent héritage. Une telle situation favorise la constitution de dynasties familiales et accroit de façon
considérable les inégalités sociales. Rappelons que la France est un des pays au monde comptant le plus de milliardaires !


Si ce rapport de l’assemblée nationale ne propose pas de « grand soir » comme le mentionne l’avant-propos, les observations et différentes analyses produites à travers les auditions de la mission parlementaire (économistes, juristes, administrations, syndicats …) remettent en question certaines dispositions fiscales en vigueur sur les trois volets du système fiscal abordés par les parlementaires, à savoir :


- La fiscalité du capital financier ;
- La fiscalité des successions/donations ;
- La fiscalité immobilière ;


A- Les principales causes de la montée des inégalités patrimoniales dans les pays de l’OCDE et en France 


Selon l’OCDE (4), les inégalités de patrimoine se sont considérablement accrues au cours des dernières décennies dans la plupart des pays industrialisés. Ainsi, le patrimoine par habitant des ménages a sensiblement augmenté entre 1995 et 2009, a triplé en France et doublé au Canada ou au Royaume Uni avec la hausse du prix des actifs immobiliers et des capitaux mobiliers. Sur un échantillon de 27 pays de l’OCDE, les 10% les plus riches possèdent 50% du patrimoine total et 18% de celui-ci est concentré dans les mains des 1% les plus riches.



Traditionnellement, les économistes considèrent que le ralentissement et le vieillissement démographique (maintenant un niveau d’épargne élevé) ou encore l’augmentation du prix des actifs immobiliers et boursiers sont à l’origine de la montée des inégalités de patrimoine.

 

Ces derniers omettent une autre explication cruciale : un nouveau régime de régulation s’est imposé à partir de la fin des années 70, lequel se caractérise notamment par une contre-révolution fiscale. Les impôts sur les successions sont aujourd’hui beaucoup plus faibles que durant les Trente Glorieuses. Leur part dans les recettes fiscales a été divisée par trois depuis la fin des années 60 en moyenne dans l’OCDE (de 1,2% en 1968 à 0,4% aujourd’hui). Cette contre révolution fiscale a été imposée par la double pression de la libéralisation financière et du libre-
échange. C’est au nom de l’attractivité et pour ne pas faire fuir les grandes fortunes, que les taux d’imposition ont été abaissés. Tout cela au plus grand bénéfice des plus aisés.

 

S’il est difficile de comparer les différents systèmes fiscaux taxant le patrimoine (absence de distinction statistique sur le stock de capital des ménages/entreprises dans la plupart des pays de l’UE), la plupart des économistes ont constaté le retour à une société d’héritiers et des
inégalités patrimoniales bien plus marquées que les inégalités salariales.


Différentes modalités d’imposition des droits de succession :


Au sein de l’OCDE, 24 pays taxent les successions, soit au niveau du bénéficiaire soit au niveau du patrimoine du donateur. La majorité des pays prélèvent l’impôt chez le bénéficiaire (France) tandis qu’une dizaine de pays ont procédé à leur suppression.


Les recettes des droits de transmissions (successions /donations) représentent une part très faible dans le total des recettes fiscales dans la plupart des pays de l’OCDE (0,5% en moyenne) La France, la Belgique, le Japon et la Corée font partie du haut du panier avec une part supérieure à 1%. Cette faiblesse des recettes s’explique avant tout par une assiette fiscale étroite en pratiquant des exonérations importantes de droits en ligne directe (parents/enfants/conjoints).


Des allègements fiscaux sont en général communs comme la résidence principale, les actifs commerciaux pour les transmissions d’entreprises, l’épargne retraite et les assurances vie. Ces dispositions participent à l’augmentation du prix des actifs, favorisent les stratégies de transmission de patrimoine en franchise d’impôts ou réduisent la progressivité du barème ce qui profite surtout aux ménages les plus aisés.


Les deux tiers des pays de l’OCDE appliquent des taux progressifs d’imposition sur les transmissions de patrimoine souvent en fonction de la situation de parenté (ligne directe ou indirecte).

 

Dans la plupart des pays, les taux effectifs d’imposition (droits réellement payés) sont bien inférieurs aux taux légaux d’imposition. En matière de successions, l’OCDE préconise plutôt un impôt sur le patrimoine reçu par le(s) bénéficiaires plutôt que sur le donateur en exonérant les
transmissions les plus faibles. En effet, selon les experts, afin d’améliorer l’égalité des chances, une imposition progressive assise sur la valeur du patrimoine reçu par les bénéficiaires aurait le double avantage d’éviter la concentration des richesses et de favoriser une meilleure répartition de la charge fiscale entre les ayants droits.

 

L’OCDE recommande toutefois de maintenir un barème progressif des droits afin de renforcer la fonction redistributive de l’impôt tout en exonérant les héritages de faible valeur.

 

B- Répartition et rendement des impôts sur le patrimoine en France


En 2022, le patrimoine net des ménages s’élevait à 14 800 milliards d’Euros5, (soit 74% du patrimoine net national évalué à 20 000 Mds d’euros). Ils sont ainsi les principaux détenteurs de la propriété immobilière à hauteur de 56% (avec les terrains) contre 38% pour les actifs
financiers.


Selon l’INSEE, le patrimoine brut représente le montant total des actifs détenus pas les ménages évalué avant déduction des emprunts (patrimoine immobilier, financier, professionnel et résiduel comme les biens durables d’équipement ou objets de valeur). En 2021 , le patrimoine brut des ménages était constitué avant tout de biens immobiliers (62%), six ménages sur dix étant propriétaires de leur résidence principale en France. S’agissant des 1% de ménages les mieux dotés, le patrimoine financier représentait en revanche plus du quart de l’ensemble de leur patrimoine.


En effet, le patrimoine des Français est selon les données de l’Insee (6) très inégalement réparti.


Concernant le patrimoine financier détenu, les 10% les moins dotés en patrimoine financier(compte courant, livret A) possèdent au maximum 400 € tandis que les 10% les mieux dotés possèdent au moins 150 000 Euros sur différents supports financiers (assurance vie, épargne
logement ou retraite, capitaux mobiliers…) soit 344 fois plus.

 

A travers plusieurs études, France Stratégie (7) arrive aux mêmes constats et en conclut que le patrimoine des Français a augmenté plus vite que les revenus et s’est concentré sur les ménages les plus âgés et les plus fortunés.


Pour notre organisation syndicale , ces tendances économiques et démographiques remettent en question la fiscalité sur les transmissions et la redistribution par l’impôt. Le système en vigueur n’est plus à même de préserver l’égalité des chances et s’éloigne de la philosophie initiale et des principes constitutionnels issus de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 mettant fin aux privilèges de l’Ancien régime fondés sur la naissance, la rente et l’héritage.


Les prestations sociales et les prélèvements obligatoires, notamment l’instauration de l’impôt progressif après la Première guerre mondiale avaient pourtant permis une réduction des inégalités liées à la détention et la concentration des patrimoines. Les propos tenus alors par Joseph Caillaux (8) devant l’Assemblée Nationale proposant la création de l’impôt sur le revenu témoignent déjà du caractère inique de la fiscalité d’avant-guerre : « lorsqu’on étudie l’histoire de la fiscalité, on s’aperçoit qu’il y a toujours eu deux vices dans notre système d’impôts, deux de ces plantes mauvaises qui repoussent continuellement.

 

C’est d’abord un privilège au profit de certaines classes, au profit de certaines localités, au profit de certaines parties du territoire et c’est en second lieu l’extension des contributions indirectes au détriment des contributions directes, ce qui est, après tout une forme de privilège ».


En dépit d’un fort taux de prélèvements obligatoires sur l’ensemble des ménages, les politiques fiscales menées en France, notamment depuis 2018 sont devenues très favorables pour les ménages les plus aisés et les revenus tirés du patrimoine ont augmenté plus vite que les salaires.


Paradoxalement , l’impôt progressif sur les transmissions et successions est perçu comme le plus impopulaire selon les enquêtes d’opinion alors que dans les faits, 40% des français n’héritent de rien, moins d’une succession sur cinq dépasse les 100 000 euros et une sur deux
est inférieure à 30 000 euros.

 

Selon le CAE (Conseil d’Analyse Economique) moins de 10% des individus en France hériteront de plus de 500 000 € de patrimoine au cours de leur vie et à l’intérieur de ce dernier décile les 1% d’une génération recevront plus de 4,2 millions nets de droits, le top des 0,1% percevant 13 millions d’euros ( soit 180 fois l’héritage médian).


Comme le rappelle le rapport parlementaire, l’imposition sur le patrimoine est pourtant le complément indispensable de l’imposition des revenus du travail ou des revenus de remplacement afin de garantir la capacité contributive des ménages. Par ailleurs, elle doit s’articuler avec l’imposition des revenus du capital et des bénéfices taxés à l’impôt sur les sociétés (imposition des personnes physiques détenant les moyens de production dans les entreprises).

 

Un système de prélèvements sur le patrimoine reposant sur trois piliers en France :


- 38,4% de prélèvements sur les revenus immobiliers et financiers ou plus-values de cession pour un rendement de 44,9 Mds d’euros ;
- 34,7% de prélèvements sur les droits de mutation (droits de propriété, ventes, donations et successions) pour un rendement de 40,6 Mds d’Euros ;
- 26,9% de prélèvements sur la détention du patrimoine immobilier (IFI, Taxes foncières sur les ménages) pour un rendement de 31,6 Mds d’Euros ;


Soit un rendement total de 117 Mds pour l’année 2022 selon des assiettes et modalités d’imposition diverses.

 

Rendement des impôts sur le patrimoine en 2022

 

Les prélèvements sur le patrimoine font coexister à la fois une imposition proportionnelle (prélèvements sociaux, flat- taxe depuis 2018 sur les revenus mobiliers, plus-values immobilières taxées à 19%) et une imposition progressive (revenus fonciers taxés à l’impôt sur le revenu, droits de mutation à titre gratuit sur successions et donations, IFI). Par ailleurs, il faut également distinguer dans le système fiscal français la taxation des revenus sur les flux de patrimoine et prélèvements sur le stock de patrimoine (IFI/ taxe foncière).


En dépit de ces prélèvements en hausse depuis 2012 sur le patrimoine (+38,4 Mds), dus principalement à l’augmentation des valeurs vénales des immeubles, un marché immobilier- dynamique ou des droits de mutation à titre gratuit en hausse, le patrimoine net des ménages a augmenté plus vite en France que le revenu national. Cependant le rapport au PIB de cette fiscalité sur le patrimoine reste stable aux alentours de 4%.


Tous les rapports récents sur la fiscalité du patrimoine (Conseil des Prélèvements Obligatoires, France Stratégie, Conseil d’Analyse Economique, OCDE …) s’accordent donc sur la nécessité de redistribuer le flux successoral afin de lutter contre les inégalités. Mais dans un espace mondialisé, il existe de fortes contraintes économiques liées d’une part à une concurrence fiscale déloyale exercée entre pays afin d’inciter les ménages à changer de résidence (droits de succession inexistants ou fiscalité privilégiée sur le patrimoine, procédés d’optimisation ou d’évasion fiscale pour les pays non coopératifs), d’autre part un débat toujours très prégnant sur la question du périmètre et du niveau dentaxation des revenus du capital et du patrimoine dans l’ensemble des prélèvements (Entreprises/ménages).

 


C- Les pistes de réforme proposées par le rapport parlementaire


En conclusion, le rapport parlementaire préconise le maintien d’impôts progressifs sur le patrimoine avec un élargissement de l’assiette afin de renforcer l’égalité des chances et réduire la concentration du patrimoine très marquée en France.


Plusieurs de ces recommandations au nombre de 27 rejoignent certaines propositions de Force Ouvrière comme l’accentuation de la progressivité dans l’imposition des revenus du capital, notamment le relèvement du PFU (prélèvement forfaitaire unique) de 3 points passant ainsi à 33% au lieu de 30% actuellement, l’instauration d’un impôt mondial sur les plus hauts revenus , la taxation du stock de capital des hauts patrimoines et la taxation du flux successoral tout au long de la vie ou l’harmonisation des règles fiscales des meublés sur les revenus fonciers ainsi que la révision des valeurs locatives cadastrales, …Les recommandations détaillées de ce rapport sont jointes en annexe .


Mais pour nous , ces propositions ne vont pas assez loin pour rétablir l’équilibre avec la fiscalité sur les revenus du travail et ainsi corriger les inégalités d’un système fiscal désuet, d’une fiscalité dérogatoire bien plus favorable à la transmission des plus gros patrimoines en franchise d’impôts et pour mieux respecter les facultés contributives de l’ensemble des ménages et entreprises.


Rappel des revendications Force Ouvrière en matière de fiscalité du patrimoine 


Pour nous, il convient de procéder avant tout à un état des lieux des différents procédés d’optimisation fiscale liés à la transmission du patrimoine bénéficiant avant tout aux ménages les plus fortunés. Une refonte de l’assiette des droits de mutation s’avère indispensable afin de
réduire ou supprimer la taxation sur les classes moyennes qui ne disposent souvent que de leur résidence principale tout en conservant un barème réellement progressif sur les tranches les plus élevées afin de rendre l’impôt plus redistributif. La tendance actuelle de l’économie néo libérale est plutôt d’orienter à la baisse la fiscalité sur les plus hautes successions voire la suppression complète des droits de succession comme dans certains pays de l’OCDE ou de l’UE (Autriche, Suède, Norvège, République tchèque, …)

 


Or, il est urgent d’utiliser le volet de la redistribution vers ceux qui ne disposent d’aucun patrimoine et corriger ainsi les inégalités liées à la concentration du patrimoine. Aussi, FO revendique un impôt progressif sur tous les revenus du patrimoine (hors épargne populaire), en particulier la réintroduction des revenus financiers au barème progressif à l’Impôt sur le revenu en lieu et place de la flat-taxe à 30% et la taxation du stock des revenus financiers à l’impôt sur la fortune supprimé en 2018.


Pour notre organisation syndicale, les impôts progressifs peuvent toujours constituer un puissant levier pour réduire les inégalités liées à la détention du patrimoine et ainsi favoriser l’égalité des chances.


De multiples exonérations, abattements font chuter de plus de 20% les recettes fiscales et sont concentrées sur les successions les plus importantes (assurance vie, exonération d’actifs professionnels, plus-values latentes, œuvres d’art, Pacte Dutreil…). Autre anomalie, le système
fiscal actuel calqué sur le droit civil est complexe et facilite avant tout les transmissions familiales en ligne directe, le barème progressif s’appliquant surtout aux ménages sans enfant (10% des successions mais 50% des recettes fiscales).


Par ailleurs, le droit fiscal actuel des successions exclut également toutes les donations en franchise d’impôts de plus de 15 ans bénéficiant dans les faits surtout aux transmissions des plus gros patrimoines. L’assurance vie (15 à 20% des sommes héritées) ou l’exonération totale ou partielle des biens professionnels constituent également un moyen de contourner l’impôt sur les successions pour les plus gros patrimoines à des fins d’optimisation fiscale sans réelle justification économique. En effet, si la niche fiscale dite « Pacte Dutreil (9)» en faveur de la transmission d’entreprises est bien recensée chaque année comme une dépense fiscale estimée à 500 millions d’euros en annexes aux lois de finances, France Stratégie estimait de son côté son coût à 3 Mds en 2019, soit plus que le rendement de l’IFI !


En outre,  rappelons  que le montant des droits sur les successions/donations ne représente qu’une faible partie de la totalité de la fiscalité sur le capital des ménages. Les différents rapports évoqués sur la transmission du patrimoine montrent que les abattements renouvelables sont
devenus le principal outil de la fiscalité des successions /donations et concernent avant tout 30% des transmissions les plus élevées.


Par ailleurs, le faible rendement des impôts sur le patrimoine et sur l’imposition des revenus financiers a été accentué par de nouvelles dispositions fiscales instaurées en 2018 avec la montée en puissance de stratégies fiscales légales (suppression de l’ISF, création du PFU,
suppression de l’exit taxe, …).

 

De plus, divers procédés d’optimisation et de fraude sont toujours utilisés pour détourner ou dissimuler du patrimoine en particulier dans un espace mondialisé malgré les échanges automatiques de données entre administrations fiscales :


- Remontée de dividendes à des sociétés Holding non imposés à l’impôt sur le revenu ;
- Recours à des structures off-shore (Paradis fiscaux) ;
- Dons en espèces non déclarés ;
- Non déclaration de biens ou comptes bancaires domiciliées à l’étranger ou détenus dans
des pays ayant maintenu le secret bancaire ;


Il pourrait être pertinent comme le propose notamment l’OCDE de supprimer certaines exonérations ou allègements fiscaux qui n’ont pas d’efficacité ou de justification économique. Il faut également renforcer la lutte contre la fraude fiscale internationale notamment par la
généralisation d’échange automatique de renseignements entre pays, doter la sphère du contrôle fiscal de la DGFiP de moyens humains supplémentaires en renforçant les effectifs des brigades spécialisées patrimoniales.



En ce sens, l’idée d’un cadastre financier (10) proposé par l’économiste Gabriel ZUCMAN au niveau de l’UE ou mondial indiquant notamment l’identité des bénéficiaires effectifs et actionnaires des sociétés Holding serait un grand pas vers plus de transparence financière pour mieux identifier les patrimoines financiers ou lutter contre le blanchiment d’organisations criminelles.



De son côté, le Conseil d’analyse Economique dans une note (11) de décembre 2021 propose par exemple un élargissement de l’assiette fiscale et une réduction de certains dispositifs d’exonération très couteux pour les finances publiques qui pourraient générer des recettes de 10
à 20 Mds d’Euros supplémentaires. Ces recettes permettraient notamment de réduire les inégalités de patrimoine, d’opérer une véritable politique de redistribution vers d’autres politiques publiques (ou) garantir un capital de départ pour les jeunes générations comme le suggérait également une note de France stratégie (12) de 2017.


Autre impôt sur le patrimoine, la taxe foncière sur les propriétés bâties et non bâties ne reflète pas non plus les prix de l’immobilier (valeur locative 70) à ce jour, et cet impôt a un caractère très inégalitaire selon les territoires. Elle devient la principale ressource propre des collectivités locales avec la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales et la suppression de la CVAE (13) décidée au PLF 2023.


Or, les produits de la fiscalité locale reposent à 80% sur la fiscalité des ménages. Compte tenu des prévisions d’augmentation de la taxe foncière ces prochaines années (révision des Valeurs locatives, inflation, baisse des ressources des collectivités), cette piste est insuffisante pour dégager des recettes fiscales significatives et toucherait avant tout les classes moyennes dont beaucoup de retraités n'ayant pour seul patrimoine que leur résidence principale. Par ailleurs, ce n’est pas un impôt progressif tenant compte des revenus des ménages.


Notre Confédération  propose en conséquence une taxe foncière calculée d’après la Valeur locative revalorisée mais en tenant compte des capacités contributives des ménages au même titre que l’ancien plafonnement de la taxe d’habitation pour la résidence principale (plafonnement selon le revenu de référence en fonction des revenus déclarés).


En ce qui concerne, la fiscalité des donations, elle incite peu à transmettre le patrimoine aux jeunes générations et ne correspond plus aux enjeux démographiques, économiques à venir. Avec le vieillissement de la population, comme le propose notamment le CAE (14), la mise en place d’une assiette de droits tenant compte des flux successoraux perçus tout au long de la vie serait plus adaptée à la nouvelle composition des familles et moins complexe à mettre en œuvre que des abattements renouvelés tous les 15 ans en ligne directe.

 

La plupart des économistes recommandent en conséquence de prendre en compte dans un barème progressif la totalité du patrimoine reçu par les héritiers au cours de leur vie afin d’inciter à une redistribution du patrimoine vers les jeunes générations tout en respectant le principe de faculté contributive (plus le bénéficiaire reçoit plus la taxation est importante).


D’autres économistes proposent d’augmenter l’abattement en ligne directe à 300 000 Euros (Rapport Blanchart-Tirole) afin d’éviter la pénalisation des classes moyennes mais recommande aussi une hausse des droits de mutation pour financer les politiques de redistribution pour promouvoir l’égalité des chances (aides à la petite enfance, dotation d’un capital dès la majorité pour les familles modestes).



Enfin, notre organisation syndicale  s’inscrit pleinement dans les initiatives portées au niveau de la CES (15) dont la dernière résolution de décembre 2023 proposant d’introduire un impôt européen progressif sur les personnes les plus aisées pouvant générer des recettes fiscales supplémentaires afin de financer la transition écologique, lutter contre les inégalités sociales ou financer les politiques de lutte contre la pauvreté.


Il est toujours préférable de maintenir un barème progressif des droits afin de renforcer la fonction redistributive de l’impôt, supprimer certaines niches fiscales sans efficacité économique et plafonner la fiscalité dérogatoire du patrimoine sur les plus hautes tranches tout- en exonérant les héritages de faible valeur afin de mieux répartir les richesses.

 

 

Fiscalité du patrimoine : Les recommandations du rapport parlementaire:

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Fiscalité de la détention et des revenus du capital financier (ISF / PFU)


Recommandation n° 01 : Lors de la déclaration en ligne des revenus, améliorer l’information pour permettre aux contribuables ayant intérêt à voir leurs revenus mobiliers imposés au barème de l’impôt sur le revenu (IR) d’opter plus aisément pour cette modalité d’imposition.


Recommandation n° 02 : Étudier la possibilité d’appliquer une retenue à la source sur les plus-values mobilières.


Recommandation n° 03 : Déterminer la fiscalité applicable aux revenus d’assurance-vie en fonction de l’ancienneté réelle des versements et non de la date d’ouverture du contrat.


Recommandation n° 04 : Repenser le régime fiscal de l’épargne retraite afin que ses avantages ne soient pas concentrés sur les contribuables à hauts revenus.


Recommandation n° 05 : Pour accroître la contribution des revenus du capital au redressement des finances publiques, prévoir une hausse modérée, par exemple de trois points, du taux du prélèvement forfaitaire unique (PFU) à l’IR.


Recommandation n° 06 : Pour financer les nécessaires investissements dans la transition climatique, envisager la mise en place au niveau européen de prélèvements exceptionnels et explicitement temporaires sur le patrimoine des contribuables les plus riches, dont le montant serait calibré ex ante en fonction du coût anticipé pour les finances publiques


Recommandation n° 07 : Lancer une réflexion sur un impôt mondial sur le patrimoine détenu par les ménages les plus riches, afin de financer des aides aux pays les plus pauvres. Recommandation n° 08 : Pour faire mieux contribuer le patrimoine financier conservé dans des holdings patrimoniales, relever les différentes quotes-parts pour frais et charges (QPFC) applicables aux remontées de dividendes ou aux plus-values de cessions de participations.


Fiscalité des donations et des successions


Recommandation n° 09 : Accorder à la DGFiP les moyens nécessaires pour mener à bien de façon prioritaire la modernisation de l’enregistrement des déclarations de donations et successions (e-Enregistrement).


Recommandation n° 10 : Traiter de façon exhaustive les informations figurant dans les déclarations de donations et successions pour déterminer la progressivité effective des DMTG, et pour connaître l’incidence, à ce titre, du barème, des abattements et des dispositifs successoraux de faveur selon les niveaux de revenus et de patrimoine des bénéficiaires.


Droits de mutation à titre gratuit


Recommandation n° 11 : Apporter au barème et aux abattements des DMTG des évolutions visant prioritairement à réduire les écarts de fiscalité selon le degré de parenté pour adapter la fiscalité aux évolutions des schémas familiaux et en particulier réduire les différences de traitement fiscal entre enfants au sein des familles recomposées.


Recommandation n° 12 : Adapter les bornes d’âge applicable à l’exonération de droits aux titres de dons de sommes d’argent consentis en pleine propriété dans un cadre familial.


Assurance-vie et PER


Recommandation n° 13 : Aligner le taux marginal supérieur du prélèvement applicable aux transmissions d’assurance-vie sur le taux marginal supérieur applicable aux successions en ligne directe.


Pacte Dutreil


Recommandation n° 14 : Rassembler et diffuser des informations exhaustives sur l’utilisation des pactes Dutreil, les catégories d’entreprises bénéficiaires, la distribution des avantages fiscaux qu’il procure et les durées effectives de détention des titres transmis.


Recommandation n° 15 : Définir de manière plus précise la notion d’activité d’une société.


Autres


Recommandation n° 16 : Pour garantir un traitement fiscal plus équitable en cas de cession à titre onéreux des titres transmis sous le régime d’un pacte Dutreil, retenir pour le calcul de la plus-value de cession réalisée, comme valeur d’acquisition des titres, la valeur des titres au jour de leur transmission à titre gratuit après application de l’exonération de 75 %.


Fiscalité immobilière IFI


Recommandation n° 17 : Indexer le seuil d’assujettissement à l’IFI sur l’inflation.


Recommandation n° 18 : Plafonner l’abattement de 30 % sur résidence principale existant dans l’assiette de l’IFI à 600 000 euros.


Recommandation n° 19 : Mettre en place un système de pré-remplissage des déclarations IFI par la DGFiP, et examiner la possibilité de mettre en place un système de tiers déclarants, qui serait sécurisant pour le contribuable et une garantie sur la qualité de la déclaration.


Revenus fonciers


Recommandation n° 20 : Mettre en place un régime foncier unique intermédiaire entre les actuels régime micro-foncier applicable à la location nue et régime micro-BIC applicable à la location meublée


Plus-values immobilières


Recommandation n° 21 : Remplacer les abattements pour durée de détention par l’actualisation de la valeur d’acquisition du bien en fonction d’un indice statistique (inflation, coût de la construction) pour déterminer la plus-value imposable. L’exonération sur la résidence principale serait maintenue. En raison du côté systémique de la mesure, prévoir un délai de prévenance.


Taxes foncières


Recommandation n° 22 : Faire en sorte que la révision des valeurs locatives cadastrales soit bien mise
en œuvre d’ici 2028.


Recommandation n° 23 : Réfléchir à un critère de revalorisation annuelle des valeurs locatives cadastrales qui reflète davantage l’évolution des marchés immobiliers locaux.


Recommandation n° 24 : Lancer une réflexion sur une évolution de la base d’imposition à la taxe foncière pour remplacer les valeurs locatives cadastrales par une estimation de la valeur vénale.


Recommandation n° 25 : Fournir aux décideurs locaux des informations statistiques précises sur la nature des contribuables assujettis aux taxes foncières dans leur commune (particuliers, entreprises, taille de l’entreprise le cas échéant…).


DMTO ( droits de mutation à titre onéreux ) 


Recommandation n° 26 : Remédier à la perte du pouvoir de taux des départements du fait de la réaffectation de la part départementale de la taxe foncière, en élargissant le pouvoir de taux sur les DMTO.


Recommandation n° 27 : Réfléchir à une modalité d’imputation des DMTO déjà payés par un acquéreur lors de l’acquisition de sa résidence principale sur ceux à payer en cas de revente du bien pour assurer l’acquisition d’une nouvelle résidence principale, afin de fluidifier le parcours résidentiel.
 

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(1) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_fin/l16b1678_rapport-information#
(2) Prélèvement forfaitaire Unique sur les capitaux mobiliers

(3) https://www.cae-eco.fr/repenser-lheritage
(4 )https://www.oecd.org/fr/fiscalite/politiques-fiscales/impot-sur-les-successions-dans-les-pays-de-l-ocde-infographique.pdf

5) https://www.banque-france.fr/system/files/2023-10/BDF248-8_Patrimoine_0.pdf

(7) https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/2017-2027-action-critique-transmission_0.pdf
(8) Journal officiel du 11 juillet 1907, compte rendu de la séance du 10 juillet 1907

(6) https://www.insee.fr/fr/statistiques/6689022

(7) https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/2017-2027-action-critique-transmission_0.pdf
(8) Journal officiel du 11 juillet 1907, compte rendu de la séance du 10 juillet 1907

9) Le pacte DUTREIL consiste à exonérer 75% des parts d’une société à condition de conserver les titres pendant deux ans.
France Stratégie a montré que ce dispositif bénéficiait en fait aux plus grandes fortunes et non TPE/PME, le patrimoine professionnel représentant plus de 30% au seuil des 0,01 % et 60% du patrimoine des 0,001% les plus aisés (380 foyers fiscaux). La valeur moyenne de l’actif des pactes Dutreil s’élève à 5 millions d’Euros et la valeur totale de l’actif transmis au titre de ce dispositif s’établissait à 8 Mds d’Euros en 2019. Selon France stratégie le coût total de ce dispositif se montait à 3 Mds d’euros alors que la loi de finances évalue cette niche à 500 millions d’euros/an

(10) https://gabriel-zucman.eu/apres-lenquete-openlux-lappel-de-14-economistes-et-personnalites-a-creer-durgence-un-cadastre-financier-europeen/
(11) https://www.cae-eco.fr/repenser-lheritage
(12) https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/2017-2027-action-critique-transmission_0.pdf
(13) La Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, impôt local sur les entreprises au bénéfice des collectivités sera totalement supprimée en 2027
(14) https://www.cae-eco.fr/repenser-lheritage

(15) https://www.etuc.org/fr/document/resolution-adoptee-taxer-la-fortune-pour-sattaquer-aux-inegalites-sociales-et-au

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