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21 / 03 / 2022 | 403 vues
Jean-Claude Delgenes / Membre
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Quelles sont les conditions de réussite de l'intelligence collective pour lutter contre les risques psychosociaux ?

L’intelligence collective nous apparait tous les jours dans la nature. Le vol sophistiqué d’une abeille pour indiquer à ces congénères les distances à parcourir afin de trouver des sources de pollen, les circulations ordonnées des fourmis pour vaquer à leurs diverses activités sans se gêner, le vol des oiseaux en V dans le ciel lors de leurs migrations, le déplacement des bancs de poissons dans la mer, tous ces phénomènes nous rappellent que chaque individu appartient à un groupe. L’animal humain n’échappe pas à cette règle. Le développement de son intelligence collective a permis à l’Homo sapiens depuis son émergence en Afrique, il y a 300 000 ans, de survivre aux prédateurs et autres traumatismes. 


Et aujourd’hui dans le monde du travail soumis à la course à la performance individuelle qu’en est-il de cette intelligence collective naturelle ?


Intelligence collective


Une entreprise est-elle une simple armée de crédules manipulés par les informations déversées par la hiérarchie ou les différents réseaux digitaux ?  Un organisme aveugle en quelque sorte. Un ramassis d’êtres de seconde zone qu’il s’agit d’enrégimenter pour les conduire à la baguette vers l’exécution de taches décidées par leur gouvernance ? A écouter certains dirigeants on serait en droit de le croire. Certaines personnalités vantent même « mezza voce » la supériorité des modèles dictatoriaux. Dans ces pays comme la Chine l’absence de démocratie en particulier de droits d’expression et de possibilités d’organisation au sein d’organismes indépendants (partis politiques, organisations syndicales ; ONG, mutuelles) n’autorisent pas les citoyens jusqu’à présent à s’organiser en vue de la défense de leurs intérêts ou de l’intérêt général qui ne coïncident pas toujours avec ceux des employeurs. Une question centrale se pose : qu’elle est le modèle le plus adapté pour affronter les nombreux défis à venir ?  Faut-il s’en remettre aux tentations ou dérives autoritaires ou favoriser l’approche participative qui mobilise l’intelligence collective des humains au travail ? 
 

Ne pas nier le collectif qui est au cœur de toutes les intelligences
 

Par intelligence collective on considère la capacité d’un groupe à faire converger l’intelligence et la connaissance de chacun afin d’avancer vers un but commun. Cette mise en commun des compétences, des capacités de réflexion et de créativité permet d’aller plus loin, de trouver des solutions et des alternatives que chaque personne, isolée au sein du groupe, n’aurait pu avancer seule. Le travail collaboratif à un grand impact sur la motivation. Il favorise la formation et l’élévation des connaissances d’une part et d’autre part il renforce la résilience et le maintien de la pérennité de la communauté.  


Le chercheur Émile Servan-Schreiber nous explique dans son livre « Supercollectif » chez Fayard combien l’intelligence collective est redevable à Francis Galton. Ce dernier fervent statisticien était parent de Darwin. Par ailleurs dans la lignée de ce dernier il s’adonna, fait regrettable, à la promotion de l’eugénisme.

 

Au cours d’une foire agricole, il constata que les gens pariaient quelques menues monnaies pour répondre à la sollicitation d’un vendeur « Deviner le poids exact de ce Bœuf et je vous donnerai 20 sous ». Chaque joueur remettait son argent et inscrivait sur un petit papier son évaluation.  Dans sa conception du monde, Galton voulait démontrer l’ignorance de la foule. Il eut l’intuition de récupérer les 787 bouts de papier qui exprimaient en quelque sorte les choix populaires afin d’en faire un objet de recherche. La foule était composée du tout-venant, aucun expert en viande, ou de vétérinaires ou encore de bouchers. Galton très dubitatif sur la sagesse de la foule et sur sa capacité à déterminer le poids exact de l’animal fut très surpris des résultats. Le jugement populaire allait-en effet se montrer très fiable. Cette évaluation était importante à cette période du siècle où se discutait l’instauration du suffrage universel en Angleterre et à la chambre des communes qui devaient compléter la chambre des lords. En dépit des aprioris négatifs la somme moyenne de tous les résultats aboutit à une précision inimaginable. Seule une personne avait fait aussi bien. Galton a validé l’intérêt de cette action des grands nombre. La sagesse de la foule s’était exprimée et elle était de loin supérieure. En bref les biais de jugement, les erreurs commis par les uns s’annulaient en raison des biais de jugement et des erreurs commis par les autres. Émile Servan-Schreiber a recommencé les calculs par groupe de deux cas, de six etc. plus le nombre était en croissance plus les résultats s’affinaient positivement démontrant ainsi la création d’une valeur par le grand nombre. Il faut préciser aussi que cette foule n’était pas sous influence. Il n’y avait pas de déséquilibre à redouter. Le système du pari de plus offrait à chacun d’espérer un gain. Chaque parieur cherchait par intérêt à exprimer sa vérité. Cet agrégat de paris a favorisé l’émergence apurée d’une vérité collective. La foule par le nombre a gommé les réponses divergentes, elle a équilibré l’évaluation de manière naturelle. 


Chacun d’entre nous est un peu dans ce processus au quotidien. La réponse à un questionnement peut varier en fonction de notre état de fatigue, de notre humeur, de la présence de quelqu’un autour de nous. La réponse la meilleure peut souvent être un mixte entre le matin et le soir.


Pour l’expression d’une réelle intelligence collective il faut obéir à des règles précises et surtout inciter les personnes à dire ce qui doit être dit. Par exemple comme le souligne le chercheur, dans une réunion professionnelle, si on demande à des vendeurs qu’elle va être leur chiffre de ventes, les vendeurs auront tendance à fortement sous-estimer ce chiffre pour en fait, parvenir à le dépasser. C’est leur intérêt qui les conduit à travestir leur choix à leur chef des ventes. 


Une réflexion doit donc se mener pour éviter ces biais de raisonnement collectif qui perturbent l’intelligence collective et pour toujours favoriser l’intérêt à dire la vérité.


Autre facteur à prendre en compte la qualité des relations entre les membres du groupe. Un collectif de chercheurs au MIT en 2010 a démontré que le Q.I. collectif d’un groupe dépend des qualités de connexion du groupe et des modalités de coopération entre ses membres et non pas simplement de la somme de l’intelligence de ses individualités.  Un peu à l’identique d’une équipe de football l’addition des talents ne garantit pas la supériorité même si cela peut aider…


La diversité des points de vue, la présence de femmes en nombre suffisant dans le groupe, la capacité à bien communiquer contribuent fortement à l’émergence d’une forte intelligence collective.

Au cœur de ce processus on retrouve 5 grandes dimensions.
 

Les 5 C de l’intelligence collective
 

  • Créativité
     

Phénomène qui est à la source de toutes les innovations c’est la compétence clef du futur. Celle que les robots et autres Intelligences artificielles auront du mal à supplanter chez l’humain. L’ingéniosité résulte du fonctionnement de notre cerveau qui a un énorme potentiel avec environ 86 milliards de neurones en moyenne au meilleur de la forme d’un adulte. Si chaque jour l’être humain perd environ 85 000 neurones soit 31 millions par an, il n’en reste pas moins que le cerveau se régénère. Les neurones demeurent jusqu’à la mort, interconnectés par des synapses. Celles-ci autorisent l’échange d’informations à un niveau extraordinaire puisque tous ces neurones forment un vaste réseau sous tension. Ainsi dans un 1 cm3 de cerveau humain on dénombre, pas moins, de 10 000 milliards de connexions nerveuses. Le cerveau en revanche favorise des processus d’apprentissage qui reposent sur la répétition, l’habitude ; il fonctionne à l’économie et peut donc devenir paresseux s’il n’est pas stimulé. Cette créativité peut être réveillée par la participation au groupe ; l’agencement des informations se modifie alors dans le cerveau sous les diverses influences par exemple deux solutions mises bout à bout peuvent donner naissance à une troisième solution ou même à un éclair de génie…La prévisibilité est enrichie.  
 

  • Collaboration
     

Une qualité essentielle pour faire avancer les projets, les causes. Il est très rare qu’une grande réussite soit le produit d’un seul être humain. Les grandes réalisations supposent une coopération sans laquelle les projets ne peuvent pas exister. Sans coopération on est confronté au vide. L’objectif commun en tête, les membres du groupe en coopérant élaborent des solutions créatives que chacun ne trouverait pas seul.
 

  • Compassion et empathie
     

Ces dimensions qui sont au cœur des grands moments de solidarité et d’échange au sein d’un groupe. Elles renvoient à l’entraide, voire à l’amitié et surtout à une réelle écoute de l’autre qui est un « autre nous-même ». Ce décentrage de l’égo permet d’intégrer plus facilement dans la relation aux autres les 7 émotions communes à tout être humain quelle que soit sa culture : la joie, la colère, la peur, la tristesse, le dégout, le mépris et la surprise. Les participants à un groupe doivent donc être considérés comme des êtres de sang et d’émotions... Se mettre à la place des autres pour les comprendre réellement, faire preuve d’empathie, d’accueil de la différence, générer de la sympathie… Toutes ces actions développent l’authenticité des interrelations bien au-delà des codes relationnels convenus. Pour favoriser l’intelligence collective de son équipe, le manager doit être proche de ses collaborateurs et pratiquer les attitudes suivantes : 

    •    Bienveillance
    •    Écoute active
    •    Empathie
    •    Transparence
    •    Disponibilité
    •    Intelligence émotionnelle


Il s’organisera pour favoriser une délégation en confiance. L’autorité naturelle qui se dégagera de son comportement lui permettra d’embarquer toute l’équipe vers une réussite collective

 

  • Critique 
     

Il s’agit d’apprendre à s’ouvrir aux différentes perspectives, d’exposer certes son point de vue aux autres mais aussi d’accepter des réflexions diverses voire contradictoires. Le sens de la critique n’est pas suffisamment développé dans les organisations professionnelles en France qui gardent un coté militaire. Les élites dument « raffinées » dans des processus très sélectifs, (classes prépa, grandes écoles, cabinets ministériels) parvenues au pouvoir considèrent tout connaitre, tout savoir et ne supportent que difficilement la remise en question des choix. Les injonctions tombent d’en haut, les autres catégories finissent par les accepter pour ne pas heurter ou altérer l’autorité...dans les faits cette stratégie verticale génère une série de résistances et de freins qui auraient pu être traités en amont. Ces méthodes de management impactent aussi la motivation des salariés, celle-ci reste faible en France. Nos diverses études dans les grandes entreprises montrent un bon niveau de motivation pour environ un gros tiers des salariés. Chacun comprend la signification de cet indicateur et la perte d’engagement et de dynamisme qui en résulte. Si ce n’est les coûts directs, indirects et cachés : absentéisme, manque d’innovations et de créativité, turn over, perte de chance d’attirer les meilleurs dans les équipes etc 


Savoir accepter une remise en question de ses opinons, accepter un regard critique, confronter ses points de vue sont d’excellentes antidotes aux dérives dans les univers professionnels. Cette mise en « dispute respectueuse » est garante de meilleurs choix. D’une plus grande efficience en gommant les biais de jugement. Cette approche suppose d’en finir avec les effets de cour vis-à-vis du top management, Bannir tous ces Béni-oui-oui à la recherche d’avantages et qui souvent sont responsables par leur couardise et leur esprit veule de catastrophes par faute d’opposition à des décisions désastreuses. Eriger l’esprit critique en bannière tout en respectant les personnes favorise en sus l’émulation collective  
 

 

  • Communication 
     

141 langues officielles sont reconnues par l’ONU. 75 langues sont reconnues en France et 7000 langues subsistent au niveau mondial. Le langage peut être une barrière à la communication mais celle-ci n’est pas insurmontable quand la volonté est présente. Tout notre temps éveillé nous sommes bombardés d’informations. La communication relève d’un art qui suppose attention et réelle écoute. 


L’information doit servir les règles de solidarité. Les dirigeants doivent communiquer pour faire connaitre leurs valeurs, par exemple pour autoriser le droit à l’erreur, pour instaurer et faire respecter des liens basés sur la justice organisationnelle et la confiance envers chacun.   
Une communication adaptée favorise une ambiance de travail propice à l’intelligence collective en déterminant clairement les règles du jeu qui déterminent les relations et le fonctionnement au sein de l’entreprise ou du service public. 


Les salariés, les agents hélas méconnaissent ces règles. Il est vrai que parfois elles sont complexes L’entrée dans le code du travail ou les accords collectifs peut être ardue. Les experts de Technologia ont constaté combien cette asymétrie d’information entre les dirigeants d’une part et les salariés et leurs représentants d’autre part généraient d’irritations, de frottements, de frustrations. Pour remédier à cette asymétrie ces experts ont créée une plateforme sous les modalités d’une application MAVIEPRO qui permet aux salariés de connaitre les règles du jeu de leur entreprise ( code du travail, accords collectifs, conventions collectives) d’une part et de constituer une communauté par l’échange régulier d’autre part. 
 


En conclusion, 7 pistes d’organisation à mettre en place apparaissent afin de favoriser l’intelligence collective au service de la résolution des problèmes et des difficultés que rencontre la communauté professionnelle.  
 

  • Repenser les relations hiérarchiques
    Le manager ne disparait pourtant pas il doit simplement favoriser l’émergence de l’intelligence collective, il se positionne en chef d’orchestre et encourage le dialogue et les initiatives
  • Mettre les bons outils en place pour favoriser les échanges
    Pour la résolution des problématiques, assurer une centralisation et la qualification de l’information en particulier sur les situations de travail réel ; Cette information est le plus souvent dispersée chez différentes personnes au sein du groupe, chacune détient une partie sans parfois être conscients de l’ensemble des composantes qui forme le tout ; Une fois la centralisation des données effectuées, des idées surgissent, des raisonnements s’imposent. L’application Maviepro déployée s’inscrit dans cette démarche.
  • Des relations interpersonnelles et des interactions fluides nombreuses et transversales
  • Un changement concerté et discuté entre toutes les parties prenantes
  • Le respect et une réelle considération octroyée à tous les membres de la communauté
  • La détermination d’objectifs individuels et communs sans entraver l’épanouissement personnel de chacun ce qui suppose une adhésion collective minimale au projet 
  • Le sens aux diverses tâches confiées.


Si ces conditions sont remplies en grande partie l’intelligence collective irrigue tous les rapports humains au sein de la communauté professionnelle. Les risques psychosociaux en sont fortement réduits et les coûts directs et indirects éradiqués.

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