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12 / 03 / 2021 | 185 vues
Gilbert Deleuil / Abonné
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De quoi dépend la qualité de vie dans la fonction publique ?

En 2018, Catherine Gras et moi avons publié Pour une nouvelle philosophie de l’action publique – La fonction publique républicaine, on y croit, voilà pourquoi (*). Depuis lors, une nouvelle ère s'est ouverte, au sein de laquelle l’action, le service et la fonction publics paraissent « réhabilités »…
 

Comme la MGEN nous a récemment invités à le faire, profitons-en donc pour évoquer l’important problème de la qualité de vie au travail dans la fonction publique, sujet spécifique et rarement mis en avant. Ayons conscience que tout se tient et que nous devons adopter une vision systémique des choses, ici comme ailleurs…
 

De quoi dépend la qualité de vie dans la fonction publique ?  
 

Plusieurs constats s’imposent.
 

  • Premierement, il est très périlleux d’évoquer la qualité de vie au travail dans la fonction publique en général. Celle-ci dépend très largement de la collectivité publique à laquelle on appartient, de son corps ou cadre d’emploi d’appartenance, du service et du supérieur direct dont on relève etc. Il est difficile de comparer la situation d’un agent de bureau à celle d’un sous-directeur d’administration centrale ou celle d’un infirmier avec un agent de la propreté urbaine. Pourtant, tous les fonctionnaires sont concernés par le sujet. Nous nous sommes donc cantonnés à un certain niveau de généralité dans le propos.
     
  • Deuxièmement, la qualité de la vie au travail concerne le « bien-être » du fonctionnaire qui, est par ailleurs un être humain et un citoyen, mais aussi, la qualité du service rendu par celui-ci (motivation, engagement, rayonnement…). Elle devrait donc être un sujet important de « management public ».

     
  • Troisièmement, le management reste encore un angle mort de la formation initiale de l’encadrement. Personnellement, ni à l’ENA, ni à l’IRA ni à l’IEP je n’ai reçu de véritable formation au management. Du droit, de l’économie, de la gestion financière etc., oui mais pas de management (en dehors de quelques cours optionnels et facultatifs). Est-ce que cela a changé ? C’est possible mais nous pouvons en douter. En matière de formation continue ou de formation à la prise de poste d’encadrement, il semble que des efforts ont été faits mais sans certitude que les investissements nécessaires en matière de formation (car il s’agit bien d’investissement) ne soient réellement à la hauteur des enjeux. Contrairement aux pratiques des grandes entreprises du privé…

     
  • Quatrièmemement, on est passé du vocable de la « gestion du personnel » à celui de la « gestion des ressources humaines » mais le contenu réel de cette politique publique a peu évolué. Au niveau de l’État, la dimension interministérielle du management est embryonnaire. Les services spécialisés restent largement axés sur la gestion administrative et budgétaire des « carrières ». Par exemple, le concept de « gestion prévisionnelle des emplois et des compétences » reste encore largement lettre morte dans le secteur public…
     
  • Cinquièmement, concernant l’État, les incessantes réformes (RGPP, MAP, action publique 2022…), menées par différents gouvernements s’inspirant tous du « new public management », ont été très mal ressenties et peu efficaces.

 

Il est légitime de vouloir que les administrations soient performantes (atteintes des objectifs à moindre coût). Mais de grandes réformes « à la hache », menées sans concertation approfondie avec les parties prenantes par des cabinets privés ne connaissant rien à l’administration, ne peuvent rien donner de bon… Par ailleurs, le management par objectifs, avec la LOLF, votée à l’unanimité en 2002, à son sommet (pour l'État), n’a pas répondu aux attentes et a même été dévastateur dans certains secteurs tels que la police nationale. Cela a mené à la politique du chiffre, à une certaine manipulation des instruments statistiques et a largement contribué à la perte de sens, vivement éprouvée par le personnel. Ces méthodes inspirées des écoles de management privé anglo-saxonnes, mises en place en France avec retard mais non sans zèle, sont aujourd’hui rejetées par le secteur privé qui les avait pourtant conçues… Le décalage est aujourd’hui total…

 

Orientations et mesures nécessaires
 

Je proposerai cinq orientations, et quelques mesures, en allant du général au particulier.
 

Pour améliorer la vie au travail des fonctionnaires, il convient d’abord, de donner du sens à leurs missions et à leurs tâches. La toute première des conditions est morale, presque culturelle. Il s’agit de cesser de discréditer le service public et les fonctionnaires (« fonctionnaire bashing »), comme on le voyait encore tout récemment, à l’époque du néo-libéralisme triomphant et avant le covid-19… Il faut réinvestir le / ou dans « le domaine symbolique » de l’intérêt général, du service public, du service de l’État, dans les valeurs de la République (liberté, égalité, fraternité avec le principe de laïcité) dont le service public est porteur et garant et réhabiliter les valeurs d’engagement, de désintéressement, de neutralité auxquelles les fonctionnaires sont tenus aux termes de la loi de 1983 sur la fonction publique.

 

La deuxième orientation vise la conduite du changement et la façon de mener les réformes. Celles-ci sont politiquement désirables, donc nécessaires pour la fonction publique. Mais la réforme ne doit pas se focaliser uniquement sur l’État (en gros moins d’un tiers des dépenses dites « publiques ». Les dépenses des collectivités territoriales, qui prennent une part croissante dans ces dépenses (à peu près les deux tiers de celles de l’État) ainsi que les dépenses sociales (environ 50 % de la dépense dite « publique ») méritent amplement d’être autant examinées de près… Par ailleurs, les modalités de la conduite des réformes doivent être corrigées : concertation approfondie avec les organisations syndicales, l’encadrement et le personnel dans la conception et dans le déroulement du processus ainsi que mobilisation des différents corps d’inspection des ministères en lieu et place des cabinets d’audit privés. Les fonctionnaires doivent pouvoir s’approprier les réformes et non donner l’impression de les subir…

La troisième orientation concerne la nécessité de profondément révisiter le « new public management » et son idéologie. Non pour s’opposer à une démarche, légitime et saine, par objectifs et évaluation des politiques publiques. Mais pour faire cesser les dérives… À cet égard, je proposerais, pour commencer, de procéder à une grande évaluation publique de la LOLF dont on fêtera le vingtème anniversaire l’an prochain. Les différentes réformes de l’État (RGPP, MAP…) doivent également faire l’objet d’une évaluation publique globale. Au niveau des services, s’agissant des tableaux de bord et des indicateurs, ceux-ci ne doivent plus être parachutés d'en-haut mais faire l’objet d’une large concertation et d’une co-construction avec l’encadrement et les « agents d’en-bas »…

 

La quatrième orientation concerne évidemment la diffusion de la formation initiale et continue de tout l’encadrement au management véritable : apprendre le travail collectif, à animer, le leadership, enseigner la psychologie et la sociologie du travail, l’art de prendre la parole et d’écouter la parole des autres etc. Quel que soit son niveau, le cadre doit maîtriser les connaissances nécessaires à son champ d’activité mais aussi (et presque surtout) doit savoir adopter le bon comportement vis-à-vis des partenaires extérieurs mais aussi de son ou ses équipes. À cet égard, une mesure importante devrait être de généraliser le principe de l’évaluation à 360 degrés des cadres publics. Cela permettrait d’intégrer l’appréciation des subordonnés dans la carrière des agents d’encadrement.

 

Pour finir, la cinquième orientation concernerait l’adoption de mesures destinées à développer le « coaching public ». C’est un combat cher à Galilée.sp

 

Il s’agit de doter le service public de moyens pour soutenir le personnel d’encadrement et les collectifs de travail. De récents progrès sont enregistrés mais il faut les généraliser et les approfondir. En sus du coaching, les techniques de tutorat ou de mentorat mériteraient d’être largement déployées, notamment à l’occasion des prises de poste et vis-à-vis des jeunes. Dans le même ordre d’idée, il conviendrait évidemment, comme on s’efforce de le faire depuis peu, de cesser d’affecter de jeunes fonctionnaires inexpérimentés aux postes les plus difficiles. C’’est aberrant et dramatique, notamment pour la police et le personnel enseignant…

 

Nous saluons comme il se doit la récente l’initiative de la MGEN d’ouvrir le débat sur cette importante question de la qualité de vie au travail dans la fonction publique. Il ne s’agit pas d’un luxe décalé par rapport aux difficultés sociales que notre société rencontre aujourd’hui. Au contraire, il s’agit plutôt d’une ardente obligation pour permettre à l’action publique de relever les importants défis de l’époque au mieux.
 

(*) https://www.arnaudfranel.com/boutique/nouvelle-philosophie-de-laction-publique/.

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