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21 / 08 / 2020 | 180 vues
Didier Cozin / Membre
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0,2 % du montant du plan de relance suffira-t-il pour reconvertir ou former 30 millions d'actifs en France ?

Selon le journal Les Échos, « entre 200 et 300 millions d'euros seraient dédiés à la modernisation de la formation professionnelle ».

Alors qu'au moins 1 million de salariés pourraient prochainement perdre leur emploi, que 2 millions de salariés sont illettrés, que 2 millions de jeunes NEET n'ont guère d'avenir professionnel et que 25 % de la population adulte ne maîtrise pas le numérique, le « grand plan de relance national » risque de ne pas être capable d'accompagner les travailleurs de France sur le volet de la formation. Non seulement la réforme de 2018 n'a apporté aucune amélioration à la formation (la ministre qui l'avait portée a quitté le gouvernement en juillet ) mais le diagnostic posé sur les difficultés de la formation est surtout à la fois biaisé et trop tourné vers la reproduction de l'école, le tout mâtiné d'un concept magique : le numérique.

Le numérique pour apprendre, entre fantasme technocratique et leurre national
 

Tout à leur volonté de faire beaucoup (reconvertir peut-être un tiers des travailleurs) avec des moyens faibles (moins de 1,5% du PIB, contre 7 % pour l'école) les pouvoirs publics n'ont de cesse de mettre le numérique en avant pour apprendre. Cette solution qui relèverait du miracle (pour rattraper nos vingt années de tergiversations et de retard) permettrait à la fois de se jouer des distances (la téléformation, les MOOC et la classe virtuelle), du temps (on pourrait apprendre dans les transports, chez soi ou n'importe où), d'industrialiser les apprentissages (un programme d'e-learning permettant de fournir des contenus à des millions d'apprenants à bon compte) et enfin de concurrencer les géants du numérique, installés sur ce marché en forte progression (Khan Academy, Ted, Bertelsmann, Google, Apple, Amazon Web Service, Baidu...) depuis des années.
 

Le numérique pour apprendre pose trois sortes de questions et de difficultés.
 

  1. Former et enseigner consistent-t-ils à mettre des ressources nombreuses à disposition ? Depuis des siècles, les livres (empruntés ou achetés) sont l'une des sources principales du savoir et de sa transmission ; en France, ils sont bon marché, accessibles et adaptés à tous les apprenants. Pourtant, rares sont ceux qui peuvent, savent ou prennent le temps d'apprendre par ce moyen. Mettre des contenus en ligne (même ludiques) à disposition permettra-t-il de démocratiser les apprentissages ? On peut en douter quand on voit les piètres résultats des apprentissages numériques ou quand on lit le dernier livre de Michel Desmurget (La fabrique du crétin digital).    
  2. Les obstacles à la formation en France tiennent-ils à son manque de lisibilité et d'accessibilité ? Si tel était le cas, le système automatisé et « désintermédié » mis en œuvre par l'État en 2015 (via le site moncompteformation.gouv.fr) devrait permettre à tous de s'inscrire à des stages et de se former libéralement. Il n'en est rien depuis cinq ans. Le CPF plafonne à 1,7 % d'utilisateurs (salariés) ; il ne réduit en rien les écarts de compétences (au contraire) et il transforme la formation en un self-service où seuls ceux (peu nombreux) qui savent ce qu'ils veulent peuvent être servis
  3. Apprendre est-il un simple jeu pour adultes (consentants) ? On nous prédit un avenir numérique en formation avec un « usage massif des technologies d'enseignement à distance les plus modernes, comme les serious games, la réalité virtuelle ou augmentée ». L'adulte apprenant est-il réellement ce petit être fragile, chétif et inculte qui devrait être pris en main, leurré (vous croyez jouer mais, en fait, vous allez apprendre) et accompagné tout au long de son parcours intellectuel ?

La formation est à la fois la prévention et la responsabilisation 
 

Si la formation donne aussi peu de résultats en France, ce n'est pas parce qu'elle est peuplée d'escrocs et d'organismes opportunistes qui feraient n'importe quoi et qu'il faudrait tenir en laisse mais d'abord parce que le contrat social en France fait fi de la prévention des disqualifications et ruptures professionnelles. Nous indemnisons et réparons mais nous ne prévenons guère (« ça tiendra bien encore un peu »). Un travailleur n'est pas un petit être fragile qu'il faut prendre en charge du matin au soir de son embauche jusqu'à sa retraite mais un adulte qui doit prendre ses apprentissages en charge (en lien avec son travail et son entreprise). À l'avenir, il ne faudra ni compter sur la désintermédiation du CPF (censé rompre avec les usines à gaz de formation), ni sur le numérique (apprendre en jouant, sans y penser) mais d'abord sur la responsabilité des apprenants qui doivent être capables de prendre de leur temps, de leurs revenus et de leur motivation pour changer, apprendre et s'adapter.

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