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15 / 04 / 2020 | 349 vues
Jacques Fournier / Membre
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L’action publique face à la crise du coronavirus

Face à la crise dans laquelle nous nous trouvons et le confinement aidant, chacun, à partir de son expérience et de ses compétences, prend le temps d’exprimer son point de vue.

Je ne suis ni historien ni épidémiologiste et l’on ne trouvera pas ici une analyse comparative des grandes catastrophes sanitaires ayant marqué l’histoire de l’humanité. Cependant, il paraît clair que la crise dans laquelle nous sommes plongés, même si elle n’atteindra pas l’ampleur de certaines de celles que nous avons connues dans le passé (40 millions de morts pour la grippe dite espagnole en 1918 et 1919), est exceptionnelle par son champ, qui s’étend à l’ensemble de la planète, par la gravité de ses conséquences sur la santé de la population, la vie sociale et l’activité économique et par sa durée probable, qui se comptera en mois voire en années.

Comment l’action publique a-t-elle fait et fait-elle face à cet épisode ? Dans quel sens devrait-elle évoluer pour mieux y répondre ? Il est naturel que, dans ce blog qui lui est consacré, j’essaye d’apporter au moins un début de réponse à ces questions. Je ne peux le faire qu’à l’échelle de mes possibilités d’investigation qui restent limitées.

Trois constatations de départ 

1 – La crise a clairement fait ressortir la primauté de l’action publique sur le jeu des mécanismes  du marché. Loin de la contenir, ceux-ci l’ont probablement déclenchée (commercialisation du pangolin) et ils ont assuré sa propagation à l’ensemble de la planète. C’est vers l’action publique que l’on se tourne naturellement pour trouver les moyens d’en sortir.

2 – Cette action publique s’exerce principalement au niveau national. On peut chercher des convergences et des concours à l’échelon des grandes régions du monde (l’Europe pour ce qui nous concerne) et des organisations internationales (ONU et OCDE). Mais les décisions majeures sont bien prises dans chaque pays.

3 – Les actions publiques nationales ne sont pas identiques. Certes, on y trouve des points communs mais aussi des différences. Certains pays s’en sortent mieux que d’autres. Où se situe le nôtre ?

L’action menée en France

1 – Défaut d’anticipation

Ce qui se passait en Chine début 2020 nous paraissait bien lointain. Les historiens nous diront quand nous avons vu venir le coup. Bien tard, à l’évidence. Une date est pour moi significative : le 16 février, à un moment où la menace ne pouvait plus être ignorée, qu’Emmanuel Macron a envoyé Agnès Buzin, alors en charge du ministère de la Santé, à la conquête de la mairie de Paris. Étaient-ils l’un et l’autre conscients de la gravité de la situation ? Comment celle-ci a-t-elle pu accepter d’abandonner son poste à ce moment crucial ? Aurait-t-il voulu se débarrasser d’elle pour la remplacer par quelqu’un de plus compétent ?
 

Un mois plus tard (le 12 mars), juste avant le premier tour de l'élection municipale, Emmanuel Macron a décidé de ne pas reporter ce scrutin. Un nombre sans doute non négligeable d’assesseurs chenus, heureux d’avoir ce jour-là l’occasion de sortir de leur domicile pour aller tenir un bureau de vote, lui devront ainsi une fin prématurée. Je reconnais avoir, sur le moment, approuvé cette décision. Mais notre président en avait-t-il vraiment pesé toutes les conséquences ?
 

2 – Manque de préparation
 

Certains pays étaient manifestement mieux préparés que d’autres pour faire face à la crise. La Corée du Sud avait des masques et a rapidement su faire usage des tests. Elle a rapidement pu mettre une action publique efficace en œuvre. Force est de constater que cela n'a pas été le cas chez nous. La pénurie de masques (dont les stocks constitués antérieurement se sont évaporés dans des conditions qui restent à éclaircir) est la manifestation la plus flagrante de ce manque de préparation. Elle n’est malheureusement pas la seule et il est navrant pour moi de constater que, dans ce domaine, les gouvernements de gauche n’avaient apparemment pas fait mieux que ceux de droite.
 

3 – Stratégie contrainte
 

Dans ce contexte, Emmanuel Macron et son gouvernement ont fait ce qu’ils pouvaient mais ils n’ont pas réussi à maitriser la situation. Le confinement s’imposait mais on ne nous a toujours pas expliqué comment son application pouvait se combiner à la nécessité, par ailleurs affirmée, d’une immunisation par contact avec le virus de plus de la moitié de la population. Il a fallu réserver le port du masque au personnel soignant et aux gens en contact avec le public et se résigner à faire confiance à la débrouillardise de chacun pour le surplus.
 

4 – Gestion de qualité inégale selon les secteurs


Les statistiques qui tombent quotidiennement permettent de suivre l’évolution de la crise, dans l’attente d’une stabilisation réelle puis d’un retournement de la situation.
 

Dans le secteur hospitalier, ce suivi a été convenablement assuré et il montre que l’on a su faire face à la crise. Les capacités d’accueil et de traitement ont été accrues. Les transferts nécessaires ont été opérés. Le personnel soignant s’est dévoué pour assurer les soins jour et nuit et la population lui en est reconnaissante. Les informations ont circulé et les conseils utiles ont été donnés.
 

On ne peut en dire autant concernant le secteur des EHPAD. Il a fallu attendre près de deux semaines pour que l’on prenne conscience de la véritable hécatombe qui s’y est produite, certes pas dans tous les établissements mais, malheureusement, dans une grande partie d’entre eux. Les récits de ceux qui ont été confrontés à ces événements sont accablants et il faudra savoir en tirer les enseignements.
 

5 – Discussion ouverte
 

C’est pour moi un élément d’appréciation positif. Durant toute cette période, la discussion est restée ouverte. La communication gouvernementale n’a pas toujours été très claire. Mais il n’y pas eu tromperie. Le gouvernement et les partis ont joué le jeu. La presse écrite et audio-visuelle a présenté des dossiers généralement bien ficelés. Des points de vue de toute sorte et souvent de grand intérêt ont pu s’exprimer. L’opinion publique ne s’est pas affolée et les réactions de la population sont saines.

 

5 – Issue toujours incertaine
 

Dans son allocution du lundi de Pâques, Emmanuel Macron a esquissé les potentielles voies d’une sortie progressive de la crise avec un processus de déconfinement débutant le 11 mai. Il s’en est tenu à une réserve que l’on peut qualifier de bon aloi mais il faut bien constater qu’il n’a pas levé les incertitudes. Port du masque, pratique des tests, administration de traitements, usage de vaccins et utilisation d’un outil numérique permettant de suivre les porteurs de virus : nous n’avons aujourd’hui encore aucune idée précise de la combinaison et du calendrier de l’utilisation de ces outils.
 

Nous en savons encore moins sur le sujet plus large (et pour moi essentiel) des inflexions susceptibles d’être induites par la crise dans les grandes orientations de l’action publique.

 

Perspectives d’évolution de l’action publique
 

Cette crise aura apporté de l’eau au moulin de ceux qui, comme moi, croient aux vertus du service public et veulent promouvoir une économie des besoins. Pour autant le changement de paradigme que certains croient déjà pouvoir annoncer est loin d’être acquis. Il reste beaucoup à faire pour définir la voie à suivre et se donner les moyens de l’imposer. Les quelques réflexions qui suivent sont tout à fait préliminaires.

 

1 - Des inflexions vont s’imposer mais il reste à savoir quelle en sera l’importance et la durée.
 

Il est clair que les règles de gestion libérale limitant le rapport au PIB de la dépense et de la dette publiques vont être abandonnées au moins pour un temps dans une mesure qui sera sans doute assez  forte.

La notion de planification va probablement se voir attribuer une plus grande importance par la programmation d’investissements publics et l’encouragement à la relocalisation sur notre territoire d’activités essentielles.

Des mesures spécifiques peuvent être attendues envers les catégories sociales affectées par la crise (personnel soignant, personnes âgées etc.).

On admettra peut-être même des prises de contrôle ou des nationalisations d’entreprises (quel sacrilège !).

S’agira-t-il là d’un paquet vite affadi de mesures circonstancielles de sortie de crise ou de l’esquisse réelle d’un nouveau cours possible de l’action publique ? Ce sera l’enjeu des années à venir. Les échéances politiques vont marquer des étapes importantes à cet égard.
 

2 – L’action publique pourra être éventuellement réorientée en France à l'occasion des prochaines consultations électorales...
 

Nous aurons successivement des élections municipale et présidentielle. Il est probable que l'élection municipale ne pourra pas avoir lieu avant l’été et devra être reportée à l’automne 2020 ou au printemps 2021. Dans l’un comme dans l’autre cas, il faudra re-procéder au premier tour partout où il n'a pas été mis fin à la consultation. Ce pourra être l’occasion de circonscrire les problèmes et de faire émerger des idées. Le scrutin présidentiel, lui, interviendra en 2022, donc, logiquement, après la sortie de crise et au moment où l’on peut en tirer les leçons.

Il n’est pas trop tard pour commencer à se préparer à ces échéances. C’est le rôle non seulement des partis politiques mais aussi des associations, des syndicats, des entreprises et de toutes les forces qui entendent contribuer à définir l’avenir du pays. Tous ensemble, nous devons réfléchir à la manière de nous saisir de ces problèmes. Toute suggestion à ce sujet des lecteurs de ce blog sera bienvenue.
 

3 – Nous devons avoir une vision mondiale de l’action publique
 

Il semble que la crise que nous traversons offre un occasion particulièrement intéressante de procéder à des comparaisons internationales. Elle aura affecté tous les pays. Chacun d'eux l’a traitée en fonction de son histoire, de ses valeurs et de sa culture. Les moyens mis en œuvre et les résultats obtenus peuvent être rapprochés. Il y a là une matière de choix pour la recherche dans toutes les disciplines.
 

Simultanément, cette crise permet d’approfondir notre connaissance de l’évolution des rapports internationaux dans le cadre de la globalisation de l’économie mondiale. J’ai lu les analyses des spécialistes de ces questions avec beaucoup d'intérêt. Sur l’évolution du rôle des grandes puissances (Chine et État-Unis) et sur la place prise par les géants du numérique, il y a bien de la matière à réflexion.
 

Enfin, il est évident que la dimension européenne reste essentielle pour nous, Français. Comment notre continent peut-il maintenir sa présence dans le monde et faire vivre l’exigence de solidarité en son sein-même ? La controverse entre pays du nord et pays du sud sur la question des coronabonds est proprement affligeante.
 

Je n’aurai malheureusement pas pu m’appesantir sur cette dimension internationale. Il faudra la reprendre car elle est au cœur de notre sujet.

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