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06 / 02 / 2020 | 883 vues
Etienne Dhuit / Membre
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Bretagne : les tristes conséquences du tout numérique

Les centres-villes bretons se vident, victimes de la toute-puissance des géants de l'e-commerce, Amazon en tête. Mais aussi de la vision purement financière de certaines banques locales, comme la Bretonne Arkéa, qui ferme des agences à tour de bras.
 

Que serait la Bretagne sans ses plages de galets, ses landes embrumées, ses petits ports de pêche, son éternel crachin, sa riche gastronomie au beurre et ses centres-villes de granit ? À l’image de l’ensemble de nos régions métropolitaines, le pouls de la plus occidentale d’entre elles bat dans ses cœurs de villes et de villages. Toujours à l’image de ce qui se passe sur tout le territoire, ce pouls faiblit : en effet, les centres-villes français meurent à petit feu dans le plus assourdissant des silences et dans l’indifférence quasi générale.

 

Le lent déclin des centres-villes bretons

 

Un centre-ville, c’est d’abord et avant tout de la proximité, du quotidien et des commerces. Or, en quinze ans, le taux de « vacance commerciale » (soit le pourcentage de locaux commerciaux vides) a augmenté de 4 % en moyenne dans les centres-villes français. Sur cent magasins traditionnels, douze n’avaient plus d’activité à la fin de l’année 2018, soit deux fois plus qu’il y a une quinzaine d’années. Au cours de la même période de temps, le nombre de défaillances d’entreprises de cette catégorie a augmenté de 20 %. Alors que la population française a progressé de 50 % en un siècle, près de la moitié des commerces de proximité a purement et simplement disparu.

 

En dépit de ses attraits touristiques, la Bretagne ne fait pas exception à ce désolant phénomène. En quinze ans, les centres-villes de Saint-Brieuc et de Saint-Nazaire ont perdu plus de 15 % de leurs commerces ; Landerneau, Lannion et Quimper entre 10 % et 15 % ; Brest, Châteaubriant, Fougères et Lorient, entre 7,5 % et 10 % ; Auray, La Baule et Vannes entre 5 % et 7,5 %. Avec plus d’un quart (26 %) de ses commerces inoccupés, le centre-ville de Morlaix est en voie de désertification.

 

Ainsi, selon une étude publiée en novembre dernier par l’INSEE, la Bretagne est, avec les Pays de la Loire et la Nouvelle-Aquitaine, dans le top 3 des régions françaises où le contraste entre le dynamisme commercial des villes et la déprise des centres-villes est le plus important.

 

Amazon, la bête noire de nos centres-villes

 

Les causes de ce marasme sont bien connues : augmentation continue des surfaces commerciales en périphérie des villes, hausse des loyers commerciaux, difficultés d’accès et de parking en centre-ville, horaires d’ouverture peu pratiques, non-renouvellement de l’offre et manque d’adaptation aux nouvelles attentes des consommateurs. Mais la plus importante d’entre-elles tient indubitablement surtout à l’explosion de l'e-commerce que bien des commerçants traditionnels tiennent pour une forme de concurrence déloyale, avec laquelle il leur est impossible de rivaliser, tant en termes de prix que de praticité.

 

Cette concurrence déloyale a un visage (ou plutôt un nom) lui aussi bien connu de tous : Amazon. Non content d’échapper à une grande part des impôts sur le chiffre d’affaires qu’il réalise en France, contrairement à ce que sa direction prétend, le géant américain est directement responsable de la destruction de nombreux emplois dans notre pays. C’est ce qu’affirme l’ancien ministre chargé du numérique, Mounir Mahjoubi. Dans une note d’analyse intitulée « Amazon : vers l’infini et Pôle Emploi ! », celui-ci estime que les entrepôts de la firme américaine « embauchent 2,2 fois moins de salariés que les commerçants traditionnels ». Résultat, toujours selon Mounir Mahjoubi, l’activité de détail d’Amazon a « potentiellement supprimé 10 400 emplois dans le commerce de proximité » hexagonal et ce n’est sans doute qu’un début.

 

Crédit Mutuel Arkéa, « l’Amazon de la banque » qui désertifie les centres-villes bretons

 

Si Amazon « se frotte les mains, nos commerçants traditionnels et nos emplois, eux, s’évanouissent », met encore en garde le député de Paris. Cet avertissement ne semble pas inquiéter tous les Bretons uniformément : à l’image de Ronan Le Moal, directeur général du Crédit Mutuel de Bretagne (ou Arkéa, une banque notamment spécialisée dans les « fintech ») qui, dans un entretien accordé en 2017, affirmait haut et fort son ambition de devenir « l’Amazon de la banque » : « Il ne faut laisser aucune approximation dans la relation client », poursuivait le banquier dans les pages de Sud-Ouest, quotidien d’une région où le Crédit Mutuel Arkéa est également présent. Se prononçant contre la fermeture d’agences bancaires, le dirigeant breton estimait encore que « la taille moyenne de Crédit Mutuel Arkéa est son principal atout. Nous sommes en train de redevenir le banquier du coin, comme le commerçant du coin, un acteur de proximité ».

 

De bien belles paroles, que les récentes décisions de l’autoproclamé « Amazon de la banque » contredisent pourtant : ainsi, selon les syndicats d’Arkéa, quelque 114 postes ont été supprimés dans les points de vente de la banque bretonne entre 2015 et 2018, menant à la fermeture de plusieurs dizaines d’agences. Parmi lesquelles, l’agence de Trégastel en 2017, dont la commune doit aujourd’hui racheter le local commercial pour la modique somme de 135 000 euros. « C’est du gaspillage d’argent public », a ainsi pesté la conseillère Nadine Jagrin. « Et ce n’est malheureusement pas fini », déplorent les représentants CFDT d’Arkéa, comme le démontre la fermeture, le 11 janvier, de l’agence Arkéa du village breton de Landeda.

 

Dénonçant « une logique bancaire qui a pris le dessus au mépris du service à la population », le maire de Sérent, autre commune bretonne frappée par le départ d’une agence Arkéa en 2017, estime qu’il ne s’agit plus là « d’un comportement mutualiste ». Décidément, le tout numérique fait du mal aux centres-villes bretons.

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La dévitalisation des centre villes en France (et en Bretagne) est une évidence mais la politique des ronds-points et des centres commerciaux de périphérie (+ des lotissements) a été volontairement menée pour créer de l'activité depuis 20 ans en France. Les villes en ont tiré profit (emplois dans le BTP, taxe professionnelle...) et maintenant elles ne peuvent se plaindre de ce qu'elles ont elles-mêmes promu et provoqué. Par ailleurs le stationnement payant (qui a remplacé les zones bleues par des horodateurs) a éloigné nombre de clients des centre villes. 
Pour redresser la situation (alors que l'habitat du centre ville est lui aussi vieillissant et sinistré) il faudrait d'immenses et durables efforts du pays entier. Cesser de faire ses courses par Internet ou dans les hypers ne suffira pas.