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14 / 02 / 2019 | 5 vues
Xavier Berjot / Membre
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Licenciement sans cause réelle et sérieuse : les barèmes Macron vont-ils résister ?

Depuis le 24 septembre 2017, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance « Macron » n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est encadrée par des planchers et des plafonds. Cette mesure, décriée par certains, est contestée par des juges du fond.

1. Encadrement de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

1.1. Planchers et plafonds 

Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge (C. trav. art. L. 1235-3, al. 1).

Cette solution, qui existait antérieurement à l’ordonnance n° 2017-1387, est très peu utilisée en pratique. En effet, il ne s’agit que d’une faculté pour le juge et la réintégration ne peut être imposée à l’employeur ou au salarié (Cass. soc., 15 décembre 1988, n° 86-40.787).

Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans un tableau figurant à l’alinéa 2 de l’article L. 1235-3.

En substance, l'indemnité, exprimée en mois de salaire brut, varie selon l'ancienneté du salarié et le nombre de salariés dans l’entreprise (moins de 11 ou au moins 11). 

Ex. :

Ancienneté du salarié

(en années complètes)

Indemnité minimale (en mois de salaire brut) dans les entreprises de moins de 11 salariés


Indemnité minimale (en mois de salaire brut) dans les entreprises de 11 salariés au moins

Indemnité maximale (en mois de salaire brut) dans toutes les entreprises

0

Sans objet

Sans objet

1

1

0,5

1

2

2

0,5

3

3,5

3

1

3

4

4

1

3

5

5

1,5

3

6

6

1,5

3

7

7

2

3

8

8

2

3

8

L’administration a mis en place un simulateur permettant de déterminer l’indemnité due au salarié en fonction des critères susvisés :

- https://www.service-public.fr/simulateur/calcul/bareme-indemnites-prudhomales

NB : Les dispositions de l’ordonnance n° 2017-1387 s’appliquent aux licenciements prononcés depuis le 24 septembre 2017.

Ces planchers et plafonds sont d’autant moins intéressants pour le salarié que, pour déterminer le montant de l'indemnité, le juge peut tenir compte des indemnités de licenciement versées à l'occasion de la rupture (sauf l’indemnité légale) (C. trav. art. L. 1235-3, al. 3).

1.2. Limites

L’ordonnance n° 2017-1387 a néanmoins prévu certains garde-fous (C. trav. art. L. 1235-3, al. 4).

Ainsi, l’indemnité est cumulable, dans la limite des montants maximaux, avec les indemnités prud'homales attribuées, lors d'un licenciement pour motif économique :

- en cas de non-respect par l'employeur des procédures de consultation des représentants du personnel ou d'information de la DIRECCTE ;

- en cas de non-respect de la priorité de réembauche ;

- en cas d'absence de mise en place d'un comité social et économique (CSE) dans une entreprise assujettie à cette obligation.

Par ailleurs, de manière dérogatoire, le montant de l'indemnité ne peut pas être inférieur aux salaires des six derniers mois lorsque le juge constate que le licenciement est nul parce qu'il est intervenu :

- en violation d'une liberté fondamentale ;

- en lien avec des faits de harcèlement moral ou sexuel ;

- en application d'une mesure discriminatoire ou à la suite d'une action en justice engagée par le salarié sur la base des dispositions réprimant les discriminations ;

- à la suite d'une action en justice engagée par le salarié sur la base des dispositions relatives à l'égalité professionnelle entre hommes et femmes ;

- à la suite de la dénonciation d'un crime ou d'un délit ;

- en violation des dispositions relatives aux salariés protégés ;

- en violation des dispositions relatives à la protection des salariées enceintes, à la protection des salariés durant les congés liés à la naissance ou l’adoption d'un enfant et à la protection des salariés victimes d'un accident de travail ou d'une maladie professionnelle.

2. Débat juridique autour de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

2.1. Caractère constitutionnel du dispositif

Dans une décision du 7 septembre 2017, le Conseil Constitutionnel a validé la loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (Cons. const. 7 septembre 2017, n° 2017-751).

S’agissant des barèmes applicables à l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le Conseil Constitutionnel a adopté les motifs suivants (notamment) :

« 33. En habilitant le Gouvernement à fixer un référentiel obligatoire pour les dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, à l’exclusion des licenciements entachés par une faute de l’employeur d’une exceptionnelle gravité, le législateur a entendu renforcer la prévisibilité des conséquences qui s’attachent à la rupture du contrat de travail. Il a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général. Il en résulte que, par elle-même, l’habilitation ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d’actes fautifs. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de responsabilité doit donc être écarté ».

Ainsi, le Conseil Constitutionnel a décidé que sont conformes à la Constitution les dispositions de la loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social relatives à l’encadrement de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. 

2.2. Contestation de certains juges du fond

À ce jour, plusieurs juridictions ont été appelées à se prononcer au sujet des barèmes « Macron », sous l’angle du droit international.

Ainsi, par jugement du 26 septembre 2018, le Conseil de prud’hommes du Mans a considéré que les dispositions du Code du travail fixant le barème de l'indemnité à la charge de l'employeur en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ne sont pas contraires à celles de l'article 10 de la convention 158 de l'Organisation International du Travail (OIT), selon lequel l'indemnité versée dans ce cas doit être adéquate ou prendre toute autre forme de réparation considérée comme appropriée (Cons. prud'h. Le Mans, 26 septembre 2018, n° 17/00538).

À l’inverse, d’autres conseils de prud’hommes (ex. : Troyes, Amiens et Lyon) ont remis en cause les barèmes « Macron », soit sur le fondement de l'article 10 de la convention 158 de l'OIT ou de l'article 24 de la charte sociale européenne (révisée) du 8 octobre 1961 (CPH Troyes, 13 décembre 2018, n° 18/00036 ; CPH Amiens, 19 décembre 2018, n° 18/00040 ; CPH Lyon, 21 décembre 2018, n° 18/01238).

Plus récemment, le juge départiteur du Conseil de prud’hommes d’Agen, magistrat professionnel, a écarté les barèmes « Macron » pour les motifs suivants (CPH Agen, 5 février 2019, n° 18/00049) :

- « Le barème établi par l’article L 1235-3 du code du travail ne permet pas dans tous les cas une indemnité adéquate ou une réparation appropriée, ne prévoyant pas des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par le salarié ».

En l’occurrence, le Conseil de prud’hommes a alloué l'équivalent de quatre mois de salaire brut à une salariée ayant 1 an, 11 mois et 15 jours d’ancienneté alors qu’elle n’aurait pu prétendre qu’à une indemnité comprise entre 0,5 mois et 2 mois de salaire brut (l’entreprise comptant moins de 11 salariés). 

Cette décision a été très largement commentée car rendue par un magistrat professionnel. Il appartiendra aux Cours d’appel et à la Cour de cassation de se prononcer à leur tour.

Xavier Berjot

Avocat associé

Océan Avocats

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