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16 / 10 / 2018 | 48 vues
Adelphe De Taxis Du Poet / Membre
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Covoiturage : Mobicoop, une SCIC née pour résister aux logiques prédatrices

La mobilité partagée semble être un enjeu majeur, dans ce monde hyper connecté, qu’il s’agisse des villes et des territoires ruraux ou périurbains.

Le règne de l’automobile toute-puissante est désormais révolu et celle-ci a beaucoup perdu de sa superbe dans l’imaginaire collectif : considérations économiques (coût du carburant, des véhicules, des assurances…), écologiques (pollution, encombrement urbain…), sociales (pauvres ou jeunes), symboliques (il est loin le temps où Roland Barthes pouvait écrire : « l’automobile est aujourd’hui l’équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques, consommée dans son image, sinon dans son usage… »), culturelles (jeunes et rapport utilitariste à la voiture) ou d’aménagement urbain (développement de l’inter-modalité) se mêlent et ouvrent la voie à d’autres formes de mobilité que le seul usage de la voiture individuelle.

La numérisation de la société a offert des perspectives pour de nouvelles formes d’économie collaborative et de création de valeur, dont certaines, bien connues, prédatrices.

Mobicoop va naître de cette volonté de résistance à ces logiques prédatrices.

Quelques résistants, attachés au côté libertaire, a-hiérarchique et horizontal, ont bricolé une plate-forme numérique, sous la forme associative, « Covoiturage-libre.fr ».

En 2011, lorsque covoiturage.fr, forme renouvelée de l'« auto-stop » a changé de nom pour Blablacar, dans le but d’internationaliser son activité, par l’instauration d’une commission sur chaque déplacement (pouvant aller jusqu’à 20 % du prix de chaque trajet), afin de convaincre les investisseurs indispensables à la mise en place de son nouveau modèle économique, quelques résistants, attachés au côté libertaire, a-hiérarchique et horizontal, ont bricolé une plate-forme numérique, sous la forme associative, « Covoiturage-libre.fr », rapidement rejoints par bien des clients mécontents de cette orientation et de cette dérive mercantilistes.

  • Très rapidement, 100 000 trajets annuels (soit 700 000 trajets depuis sa création) a été atteint et le nombre de contacts annuels a excédé le million, avec une mention particulière pour la Bretagne, particulièrement active. Ainsi, 25 000 membres de la plate-forme et 250 bénévoles complètent le tableau.

Au-delà de ce service, une ligne d'appel a été mise en place et des communautés spontanées virtuelles se sont créées, dont l’objet dépasse le seul co-voiturage. Pour autant, ce succès repose très largement sur le bénévolat fortement engagé car la tâche est lourde. Si l’ambition de l’équipe et de Bastien Sibille (qui a pris les commandes en 2015) est de créer une plate-forme multifonctions (covoiturage, auto-partage, vélo et modes alternatifs de mobilité…), l’échec des négociations avec une grande mutuelle française puis avec une plate-forme danoise, a conduit à rechercher de nouvelles solutions.

Là encore, la Bretagne a joué un rôle majeur quand la région a lancé un appel d’offre pour le développement du covoiturage basé sur le logiciel libre.

Cet appel d'offres a été emporté par l'entreprise Covivo et l'a menée à libérer son code informatique. Cette libération a alors permis une intensification des relations entre Covivo et Covoiturage-libre.fr, qui partage les mêmes valeurs et la même vision du covoiturage.

Petit à petit une voix commune s'est esquissée : le partenariat étroit et renforcé entre Covivo et Covoiturage libre a dessiné une articulation gagnant/gagnant dans le cadre de laquelle la première a apporté sa communauté de membres et la seconde, son savoir-faire technique et ses équipes salariées.

De là, la société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), créée en septembre 2018, dont l’objet social est la mobilité partagée et qui repose sur deux jambes : d’une part, une offre de services aux « particuliers » via la plate-forme numérique nationale et, d’autre part, une offre envers les collectivités locales pour la création de plates-formes locales.

Ainsi s’articulent dimension nationale et ancrage local, consolidation de la logique de masse indispensable au succès de l’entreprise et construction d’un modèle économique reposant sur une logique de don pour les particuliers et de vente de prestations pour les collectivités locales. Car l’ambition de Mobicoop est triple : c’est, bien sûr, d’offrir un service de mobilité, fondé sur le partage, accessible à tous mais c’est aussi de s’inscrire dans les dynamiques de territoires en donnant la possibilité aux collectivités locales de mettre en place des plates-formes destinées aux besoins de leurs « administrés » et c’est enfin d’atteindre la taille critique pour faire masse, s’affirmer comme une alternative à la marchandisation du covoiturage et ainsi créer une grande communauté du covoiturage libre.

De plus, la création de la SCIC Mobicoop, dont les bénévoles, les salariés, les bénéficiaires et les collectivités locales constituent les parties prenantes, doit permettre de rassembler les moyens nécessaires pour relever les défis technologiques des plates-formes numériques.

Il est alors naturel que Mobicoop s’associe à l’initiative lancée par Énercoop et la NEF, stimulées par Patrick Viveret, de constitution progressive de la « grande communauté unifiée » des usagers/sociétaires/consom’acteurs réunis par un usage sinon alternatif du moins plus équitable et solidaire du numérique en réponse à des besoins sociaux premiers, dans une logique de « communs » accessibles au plus grand nombre.

L'initiative est soutenue par d’autres entreprises de l’économie sociale et solidaire, quasiment toutes sous le statut de SCIC, reposant sur les mêmes valeurs de solidarité, de développement durable, d’écologie, de démocratie, de gouvernance partagée et sur le même modèle de développement basé sur l’effet de masse de libre accès aux ressources du numérique.

Dès lors, s’il est trop tôt pour tirer des conclusions de cette initiative, on peut émettre trois réflexions et un souhait.

  • En premier lieu, le couple « numérique + marché de masse » permet la construction d’une vaste communauté virtuelle et ouvre simultanément la possibilité de communautés physiques et territorialisées, bases d’un « vivre ensemble » plus sobre, plus économe en ressources et, somme toute, potentiellement porteuses de formes nouvelles de démocratie locale et d’une dialectique national/local vertueuse.
  • La deuxième réflexion est que ce sont des démarches entrepreneuriales qui, via l’émergence de cette communauté « king size » (laissons-nous aller à un anglicisme, tic de pensée si répandu de nos jours, censé être le marqueur d’une modernité qui se veut discriminante) contribuent à la régénérescence d’une économie sociale et solidaire dynamique.
  • Heureuse initiative quand l’environnement institutionnel ne jure que par un marketing de la modernité dont les premiers de cordée ne sont jamais loin (même s’il s’agit souvent des mêmes depuis de nombreuses années) et quand les grands réseaux de l’économie sociale et solidaire semblent plus préoccupés par leur propre devenir ou la défense de leurs positions acquises que par la constitution d’une vision partagée de l’ESS, porteuse d’une autre représentation de la société et de l’économie, en phase avec les besoins et les défis de notre société.
  • La dernière réflexion est que cette démarche souligne que le changement d’échelle, dont l’ESS se revendique, prend, certes, de nombreuses voies mais passe par d’autres chemins que la seule croissance (interne et externe), par capillarité ou essaimage, des entreprises de l’ESS.

C’est bien par la construction d’un rapport de forces face à l’économie dominante et d’un « écosystème » qui fait sens et convainc le plus grand nombre de gens ; c’est bien par la constitution d’un mouvement (faut-il dire social, à tout le moins citoyen) que l’ESS deviendra ce qu’elle dit encore être.

Enfin et plus prosaïquement, le souhait est que la SCIC « Mobicoop », qui participe de ce mouvement, réussisse son pari de réunir 20 000 sociétaires. De cela chacun de nous peut être l’acteur.

Rendez-vous le 22 novembre, date du lancement public de Mobicoop.

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