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17 / 02 / 2017 | 10 vues
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Droit à la déconnexion : un pied dans la porte pour interroger l’organisation du travail

Pourquoi est-ce donc en France que le droit à la déconnexion se fait pour la première fois une place dans la législation d’un pays ? Le café social du 1er février organisé par Miroir Social et porté par Technologia a été l’occasion de mieux appréhender les sources de cet article sur le droit à la déconnexion intégré dans la loi sur le travail.

Si tout existe déjà au niveau législatif avec notamment l’obligation de prévention en matière de santé des travailleurs, « cet article est un aiguillon susceptible de favoriser la prise de conscience par les employeurs des risques associés à l’intensification du travail que nous constatons au cours de nos interventions en entreprise. Il va aussi contribuer à faire jurisprudence dans les entreprises de moins de 50 salariés », considère Jean-Claude Delgenes, fondateur et directeur général de Technologia, qui y voit comme une contrepartie au refus du législatif de reconnaître le syndrome d’épuisement professionnel en maladie professionnelle. Ce droit à la déconnexion serait notamment susceptible de donner plus de corps aux accords sur la qualité de vie au travail et à l’égalité professionnelle. Aussi, si la loi ne prévoit pas de sanction quand une entreprise de plus de 50 salariés ne négocie pas un accord intégrant le droit à la déconnexion ou même une simple charte, l’absence de mesures de prévention constituera bien un facteur aggravant dans le cadre d’un contentieux.

Droit d’accès aux données individuelles

L’application effective du droit à la déconnexion passe par un audit des flux de données pour analyser les connexions des salariés selon les jours, les tranches horaires, les services etc. Voilà qui n’est pas dans les habitudes. C’est l’occasion de rappeler le droit du salarié d'accéder à toutes les données personnelles recueillies par son employeur. Si celui-ci a un droit de contrôle de l’activité du personnel sur les outils qu’il met à sa disposition, un devoir d’information préalable des modalités de ces contrôles sur les usages s’impose toutefois à lui. « La surveillance des réseaux vise avant tout à garantir la sécurité et les performances. Ce sont les anomalies qui déclenchent des interventions ciblées pour mieux comprendre ce qu’il se passe. Contrairement à une idée reçue, les services de sécurité informatique ont autre chose à faire que de faire de la surveillance individuelle. Des managers sont venus me voir pour me demander de surveiller des salariés, j’ai toujours été très à l’aise pour refuser », explique Bernard Foray, ancien correspondant informatique et liberté chez Gemalto puis Casino, ex-administrateur de l’Association française des correspondants aux données personnelles et co-fondateur de la Manufacture numérique. À l’avenir, la surveillance pourrait donc aussi s’orienter vers un suivi des connexions avec des déclenchements d’alerte à la clef. Un petit marché est en train de s’ouvrir avec des solutions plus ou moins pédagogiques. Il y a celles qui permettent de bloquer l’émission et la réception de façons différentes selon les profils de salariés et d’autres qui vont adresser automatiquement des conseils de bon usage de la messagerie.

Mieux encadrer le forfait jours

La place de plus en plus importante du forfait-jours dans les entreprises françaises expliquerait pour partie l’introduction de ce droit à la coupure dans le cadre duquel l’autorégulation est censée jouer son rôle. Pour Jean-Claude Delgenes, « il y a une dérive quand des salariés se retrouvent au forfait-jours sans avoir l’autonomie suffisante. Pour autant, les salariés au forfait sont globalement satisfaits du dispositif. Certains pourraient même considérer que le fait de les empêcher d’adresser ou de recevoir des e-mails après une certaine heure et durant le week-end constitue une atteinte à leur autonomie. Le droit à la déconnexion doit être adapté aux métiers et aux pics d’activité qui leur sont potentiellement inhérents. Il ne faut pas oublier que plus de 30 % des salariés travaillent aujourd’hui avec des horaires atypiques ». Reste que la coupure des serveurs n’empêche en rien de travailler en dehors des créneaux horaires historiques en préparant les e-mails. En cas d’urgence, le recours à la messagerie personnelle est toujours possible. « Il y a très peu de chance pour qu’un salarié au forfait puisse plaider avec succès que son employeur ne lui donne pas les moyens de travailler en coupant les serveurs la nuit et le week-end mais ce droit à la déconnexion », remarque Samuel Gaillard, avocat spécialisé auprès des CE et CHSCT qui souligne lui aussi les limites préventives du forfait-jours, surtout dans un contexte où il ne s’agit pas de perdre son emploi. « L’auto-déclaratif prévu dans l’accord Syntec ne constitue pas une protection suffisante pour des cadres qui ne sont pas dans les conditions de pouvoir dire qu’ils sont en surcharge. Si le préventif ne fonctionne pas, on passe alors aux outils curatifs avec des alertes pour risques graves des CHSCT qui vont désormais se traduire par des demandes d’accès aux données de connexions », avance Samuel Gaillard qui souligne le rôle essentiel des DP en la matière, tout en précisant que les juges mesurent le devoir de loyauté contractuelle en fonction du niveau de salaire. Ainsi, un cadre au forfait rémunéré 10 000 € par mois pour 60 heures de travail par semaine aura bien moins de chance de plaider avec succès sa cause pour heures supplémentaires qu’un cadre qui travaille le même nombre d’heures mais pour seulement 2 500 € par mois.

Hygiène de vie

Avec la propension des entreprises à intégrer des outils comme les réseaux sociaux pour des usages internes qui invitent à créer des communautés extra-professionnelles, la sensibilisation à l’autorégulation et à une hygiène de vie numérique passe par un meilleur usage des outils. Si la messagerie traditionnelle est souvent mal utilisée, les systèmes de notification des réseaux sociaux et les messageries instantanées sont également des facteurs de risque. C’est d’ailleurs en partie parce qu’Orange ne voulait pas encadrer les usages du tchat interne, qui indique le statut de connexion de chaque salarié, que la CFE-CGC a refusé de signer l’accord sur le droit à la déconnexion. Des managers se servent en effet de l’outil pour faire du flicage présentiel. « Le culte de l’instantanéité est un facteur de risque, comme peut l’être le télétravail. Les salariés qui découvrent l’efficacité de ce mode d’organisation ont en effet tendance à en faire beaucoup plus que quand ils étaient en permanence dans l’entreprise », souligne Bernard Foray, qui a mené une enquête sur le télétravail dans le cadre d’un récent master 2 en RH. Ce droit à la déconnexion révèle aussi le degré d'inefficacité des modes d'organisation du travail qui privilégient une approche quantitative à une approche plus qualitative. Est-ce le propre de la France ?

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