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28 / 09 / 2016 | 5 vues
Ariel Dahan / Membre
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Éloge de la précarité en droit du travail

Le projet de loi « El Khomri » sur la réforme du code du travail, qui a été présenté par le gouvernement Hollande/Valls cet été et finalement adopté à l’issue d’une double procédure de l’article 49-3 de la Constitution, a été, contre toute attente, l’occasion de la naissance spontanée d’un mouvement réactionnaire de gauche sans précédent.

Alors que le quinquennat Sarkozy avait initié le concept du « travailler plus pour gagner plus », concept ayant abouti à une relative libéralisation du temps de travail dans les entreprises, par la défiscalisation des heures supplémentaires, l’autorisation du cumul d’activités des fonctionnaires et l’auto-entreprenariat, le quinquennat Hollande accouche avec grande difficulté d’une réformette du droit du travail qui constitue un recul rarement vécu, avec une taxe supplémentaire sur les contrats à durée déterminés. De plus, puissance incroyable de ce gouvernement abonné aux échecs cuisants, il s’offre le luxe de fédérer contre lui l’électorat de gauche comme l’électorat de droite. Avec à la clef, depuis son entrée en vigueur, la promesse de recours multiples, en questions préalables de constitutionnalité, devant l’Union européenne en violation des règlements sociaux européens, ou devant l’Organisation internationale du travail, à l’instar des recours qui avaient jadis eu raison du contrat premier emploi (et également du premier ministre de l’époque, affublé de trop grandes bottes).

Inutile de s’interroger sur les raisons qui poussent l’électorat de droite à conspuer ce texte, dont l’affirmation est libérale. La réalité est que, comme tous les projets du quinquennat Hollande, il est atteint du syndrome dit de la frite « McCain ». Ce n’est pas celui qui en parle le plus qui en mange le plus (référence à une vieille publicité). Idem pour le gouvernement actuel : Plus il affirme, moins il tient. La libéralisation et la simplification du code du travail veut s’accompagner de règles ahurissantes, dont la fixation à l’avance des indemnités de licenciement selon un barème préfixe ou la taxation des CDD.

Plus intéressant en revanche, constitue le mouvement de gauche contre ce texte. Se revendiquant des forces dites « de progrès [1] », il obéit à une logique totalement réactionnaire et conservative du droit du travail, qui consiste à considérer qu’il existerait un droit au travail objectif, opposable à l’employeur et à la société, et qu’il existerait, dans ce droit au travail, un droit au travail « à vie » [2]. C’est ce que les « frondeurs » appellent la « lutte contre la précarité » des conditions de travail : le contrat à durée déterminée, les conditions de licenciement économique… Là où il fallait libérer les possibilités de licenciement pour libérer l’envie d’embaucher, la réaction gauchiste vise à interdire le licenciement. Qu’il est loin l’interdit d’interdire ! 

Car c’est là un constat très étonnant : le peuple de gauche, les « nuits debout », les frondeurs, les syndicats etc. appellent tous à rejeter toute solution de fluidité dans les relations de travail, au nom de la lutte contre la précarité de l’emploi.


Une manière inconsciente de lutter contre la mort, en l’interdisant ?
Ce rejet s’exprime aussi bien au sujet du travail du dimanche, qui ne devrait être regardé qu’au niveau de l’entreprise, qu’à l’évocation des conditions d’embauche ou de licenciement.

Une manière inconsciente de lutter contre la mort, en l’interdisant ? Mais peut-on interdire la mort ? Peut-on interdire le licenciement ? On voit bien l’absurde de la situation : le licenciement est une fonction vitale de l’entreprise, au même titre que la mort des cellules est une fonction vitale d’un organisme. Une cellule vit, prend sa place dans un organisme, remplit son rôle et accomplit son destin. Puis le corps la remplace. Il ne viendrait à l’esprit de personne de revendiquer le droit à la survie des lymphocytes après un rhume ! Bien au contraire, il est vital pour l’organisme de régénérer ses cellules régulièrement. La vie est précaire !

En appliquant ce principe au droit social positif, il faut nécessairement prendre conscience de la réalité du monde : personne n’est indispensable. Les cimetières sont remplis de gens qui se croyaient indispensables. Tous sont interchangeables. Il faut accepter ce principe et discuter des moyens accordés à quelqu'un pour rebondir et trouver un nouveau destin après un licenciement, plutôt que de discuter de la manière d’éviter les licenciements.

Le licenciement n’est pas un mal en soi, même s’il est douloureux à supporter pour qui le subit. Nous avons tous connu notre lot familial de gens méritants injustement privés d’emploi. L’effort ne peut pas être fait sur l’interdiction. Il doit être sur le rebond et sur l’aide à ceux qui se brisent en tombant. Sous cet aspect, le débat sur les nouvelles formes de travail s’avère intéressant.

D’autre part, il est intéressant de constater que la gauche du gouvernement nous avait habitués à préférer les solutions précaires, contre les situations statutaires dans leurs choix sociétaux :

  • déconstruction du mariage par l’union libre dans les années 1970 avec la révolution sexuelle, qui n’est qu’une manière d’exprimer la précarité du désir et de l’union charnelle ;
  • précarisation du lien familial par les mariages recomposés et, en dernier lieu, par le mariage pour tous et la perte du référent paternel/maternel ;
  • précarisation de la structure culturo-sociétale par la théorie de l’ouverture permanente aux autres cultures e la revendication de « l’autre est toujours mieux ». Même si la société française s’est lentement fondée grâce à des emprunts aux peuples voisins, la culture de l’autre n’est pas toujours fongible dans la culture française. Ainsi, du traitement réservé aux femmes, de la polygamie, des droits différentiés des époux etc. qui se heurtent de front à des évolutions millénaires que notre société veut irréversible ;
  • l’ubérisation croissante de tous les pans de l’économie au détriment des professions réglementées. Si mon voisin peut s’improviser transporteur, que deviendra le transporteur salarié ? L’ubérisation n’est qu’une façade de la précarisation des conditions de travail que l’homme politique ne parvient pas à comprendre, si l’on en juge le contenu de la loi « Macron » ;
  • les contrats d’abonnement sans engagement ou avec résiliation facilitée. S’il est plaisant d’avoir « tout compris », à un tarif qui écrase la concurrence, il faut bien avoir conscience que cette précarisation du lien commercial avec le client a des répercutions à tous les niveaux de l’économie. Si le consommateur se retrouve dans la possibilité de changer facilement de contrat d’abonnement, il doit aussi accepter que la précarisation du lien commercial entraîne la précarisation du contrat de travail du commercial chargé de gérer son dossier.

Malgré tout, le lien du contrat de travail conserve, à gauche, une visibilité ontologique. Le travailleur ne peut pas être interchangeable. Il doit avoir droit à l’emploi à vie, indépendamment de sa valeur et de la valeur ajoutée qu’il apporte à l’entreprise. Il se veut propriétaire de son emploi, contre le pouvoir du patron, coupable par avance du crime d’être patron.

La déconstruction constructive adulée des économistes a des limites. Une telle situation ne peut prospérer. Il est urgent de faire l’éloge de la précarité. Car c’est la précarité qui donne aux relations personnelles leur vrai prix. C’est parce qu’un salarié est utile à son employeur qu’il peut rester à son service. Voire qu’il peut augmenter son salaire, vu comme un coût d’accès à sa prestation de service, non parce qu’il aurait signé un contrat spécifique il y a des temps immémoriaux.

Car le contrat de travail reste un contrat de prestation de services, même s’il est légitime de s’interroger sur la nature de certains contrats de prestation de service qui ont été mis artificiellement sous la qualification de contrats de travail : les contrats d’intérim, dits « contrat de travail temporaire », les contrats d’intermittents du spectacle ou encore les contras de VRP.

Or, il existe une catégorie de travailleurs ontologiquement précaires : les commerçants indépendants et les professions libérales. Qu’il est doux le sentiment de totale liberté face à un client ! Qu’il est doux le sentiment de savoir que le client vient vers nous parce qu’il recherche nos compétences et non parce qu’il s’est lié contractuellement à nous et ne peut rompre le contrat !

Free avait raison : en libérant le consommateur d’un contrat à durée imposée, l’opérateur concurrent a modifié la structure du marché de la téléphonie. Le contrat « précaire » est devenu la norme. Ce qui permet néanmoins des taux de conservation de clientèle plus importants que chez ses concurrents.

Pour ce qui est des avocats, la précarité est de rigueur. Le client (ou le patient d’un médecin) doit conserver le libre choix du professionnel qu’il choisit. Les contrats d’abonnement peuvent être rompus à l’initiative du client. Ce n’est pas pour rien que la rémunération perçue s’appelle « honoraires ». La rémunération perçue vient honorer la relation contractuelle installée, quand bien même elle serait conventionnalisée.

Dernière contradiction de notre société post-moderne : elle refuse la compétition scolaire et elle conchie la compétition professionnelle (autre version de la précarité). Mais elle encense la compétition artistique (les Molières, les Césars, les Oscars, les Palmes d’Or, les Ours…) ou la compétition sportive. Combien de ces « nuit debout » ont vibrés sur les passes d’un Zlatan ou d’un Zidane ? Lesquels d’entre eux s’en sont sincèrement détournés ? Il faut réveiller ce sentiment de liberté dans l’esprit populaire. Il est aberrant que le rêve ultime d’une population de lycéens et d’étudiants soit d’avoir droit aux prestations de chômage ! À leur âge, leur rêve devrait être d’exercer et non de percevoir. Se hisser vers le haut, telle est la seule issue possible. L’élitisme est le corollaire de la précarité. L’injonction est ancienne. Elle remonte au Déluge : « croissez et prospérez »...

Il reste une dernière contradiction à évoquer, relevant encore d’une autre problématique : le paradoxe de la décorrélation entre le travail et le salaire. Car si la sagesse populaire se satisfait de l’affirmation « tout travail mérite salaire », qui entraîne comme conséquence la protection du salarié au regard de l’obligation salariale de l’employeur, nul ne se demande si le contrat de travail est un contrat synallagmatique et s’il suppose un échange de droits et d’obligations réciproques.

De fait, ce synallagmatisme devrait avoir pour corrolaire que « tout salaire mérite travail ». On voit que la difficulté est grande d’appréhender cet aspect de la rémunération sous l’angle du contrat de travail. Dans notre société et dans notre droit positif, comment peut-on encore imposer qu’une prestation de travail soit réellement accomplie en contrepartie d’un salaire ? Surtout lorsque l’on sait que les obligations de faire ne se résolvent qu’en dommages et intérêts. À l’exception remarquée du regretté contrat de travail maritime, où l’inscrit maritime pouvait être contraint de travailler, après avoir signé.

Sous cet angle, l’ubérisation de l’économie aura du bon : pas de prestation (ou mauvaise prestation ?) suppose absence de rémunération. Conception radicale du libéralisme outrancier

Première publication

[1] Il est toujours amusant de travailler sur la terminologie politique. Une même idée pourra être « de progrès », lorsqu’elle est proposée par la gauche active, ou « réactionnaire » si elle est avancée par la droite décomplexée.

[2] J’ai le souvenir cruel d’avoir plaidé en appel, devant une chambre sociale composée de magistrats professionnels, l’absence de droit au travail à vie, pour défendre un employeur qui licenciait son dernier salarié, à l’issue d’une procédure de cessation d’activité en règle. La salariée revendiquait un droit à salaire jusqu’à sa retraite. Elle avait 48 ans. La Cour, visiblement indisposée par les deux positions, n’a pas validé le préjudice revendiqué par la salariée mais n’a pas apprécié la thèse de l’absence de droit au travail à vie. Comprenne qui pourra ! C’est pourtant le principe même du contrat de travail, de pouvoir être interrompu à l’initiative de l’une ou de l’autre des parties. À défaut, cela s’appelle de l’esclavagisme !

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