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18 / 05 / 2015 | 4 vues
Jacques Fournier / Membre
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Action publique : cinq remarques sur le rapport de France Stratégie

Le rapport intitulé « Quelle action publique pour demain », établi par France Stratégie à la demande de Thierry Mandon, vient d’être rendu public. C’est un document intéressant dont la ligne générale devrait être entérinée par le gouvernement.

Le point de départ ne fait pas discussion : c’est la nécessité de repenser l’action publique au stade actuel de la mondialisation de l’économie et à un moment où l’État se trouve placé dans un nouveau contexte institutionnel (décentralisation, construction européenne), où il doit répondre à de nouvelles attentes sociales et où il lui faut faire face à de pesantes inquiétudes collectives.

Cette recomposition de l’action publique implique des choix clairs et des méthodes appropriées. On se perd un peu dans l’articulation entre les cinq objectifs et les cinq leviers proposés par le rapport. Mais les orientations générales vont plutôt dans le bon sens et les recommandations, même si elles manquent parfois d’originalité et sont d’inégale importance, sont à prendre en considération. Cinq remarques sont à relever...

1- L’offensive du NPM (new public management), qui visait à introduire dans la gestion publique les pratiques du secteur privé, marque visiblement le pas

La France a trouvé sur ce point un équilibre avec la LOLF, mise en place à l’orée du siècle par un vote bipartisan, qui introduit le concept de gestion par les performances sans pour autant remettre en cause les grands traits du paysage administratif français. Le rapport regrette à juste titre que la LOLF ait donné lieu à une application imparfaite et il souhaite qu’on lui redonne son rôle de pilotage stratégique. Les deux défauts essentiels auront été, selon nous, une insuffisante concertation sur les objectifs et les indicateurs, et une trop faible marge de choix laissée aux responsables des différentes unités sur le terrain. L’objectif est aujourd’hui de détechnocratiser la LOLF. Les recommandations du rapport vont dans ce sens.

 

2 - Le rapport ne pouvait pas ne pas revenir sur la question de la « soutenabilité » (ah, qu’en termes galants ces choses-là sont dites !) de la dépense publique, qui est aujourd’hui au cœur du débat politique

Il reste mesuré sur ce point et n’enfourche pas le discours habituel sur le volume démesuré de cette dépense dans notre pays et la charge qu’elle ferait peser sur l’économie française. Pour autant il n’approfondit pas l’analyse et il ne va pas jusqu’à remettre en cause un cadre de réflexion profondément contestable.

On ne le répètera jamais assez, il y a deux grandes catégories de dépenses publiques, d’une part, les dépenses de fonctionnement des services publics (la « production des administrations publiques » dans les statistiques d’Eurostat), d’autre part les dépenses de transfert, en direction des ménages ou des entreprises. Les premières (22 % du PIB) ne singularisent pas notre pays dans le concert des nations développées. Les secondes sont effectivement, avec celles des pays scandinaves, parmi les plus élevées. Les premières sont incluses dans le PIB, les secondes non. Le graphique qui figure en page 26 du rapport de France Stratégie illustre parfaitement la situation de notre pays à cet égard. Il montre que sur plus de 30 ans (1978 à 2011) la première catégorie de dépenses est restée quasiment stable en France (+ 0,7 % du PIB), démentant ainsi le discours sur l’augmentation inconsidérée du train de vie de l’État.

Ce sont les transferts qui, à hauteur de 9 % pour l’ensemble de la période, ont porté la dépense au niveau qui est le sien aujourd’hui.

Il ressort clairement de cette analyse que la bonne méthode n’est pas de se fixer un objectif global de réduction des dépenses publiques (les 50 milliards annoncés par le gouvernement). Il faut raisonner distinctement par rapport à l’une et l’autre catégories. S’agissant des dépenses de production des administrations, je verrais bien que l’on se donne pour objectif un rythme d’évolution qui pourrait être (et ce serait déjà très contraignant) la stabilité par rapport au PIB, obligeant ainsi à équilibrer par des économies le financement de nouvelles priorités. S’agissant des dépenses de transfert, il faut ouvrir ou rouvrir sur la famille, la santé, le logement, les retraites, un débat de société : quelle part de ces dépenses, qui devront de toute façon être consenties, doivent être prises en charge par la collectivité et quel financement doit être mis en place à cet effet ?

3 - Gouverner, c’est choisir

Le rapport insiste sur l’importance de la troisième des lois de Rolland, celle qui pose le principe de la mutabilité du service public. Mutabilité ne signifie pas désordre. Le changement ne doit pas s’opérer au détriment de la sécurité juridique. Mais il doit être possible (et il est vrai qu’il n’est pas toujours facile) face au poids des situations acquises. « La France ne choisit pas », nous dit le rapport et il prétend illustrer cette affirmation par la présentation, page 27, d’un « indicateur de sélectivité dans l’évolution de la dépense publique », censé mesurer la capacité des différents pays à mettre en œuvre de nouvelles priorités. La France y arrive bonne dernière. Mais lorsque l’on constate que l’étude a été faite sur la période 2009-2012, celle où la crise a frappé et que le pays qui se serait le mieux comporté au cours de cette période ne serait autre que la Grèce, suivie par le Portugal, on ne peut pas ne pas avoir quelques doutes sur la validité de cette approche de laquelle il résulte, soit dit en passant, que la RGPP (qui a battu son plein en France au cours de la période considérée) n’aurait eu dans la pratique aucun effet. Méfions nous donc des formules lapidaires mais il est vrai que nous avons besoin d’une pédagogie du changement qui passe par l’affichage des données, le dialogue social et l’organisation du débat public.

4 - Une idée court en filigranes tout au long du rapport, c’est celle de responsabilité

Il y a là, à tous les niveaux, une exigence essentielle, qui est soulignée à juste titre. Assigner à chaque entité ou service une mission précisément définie, aller jusqu’au bout de la logique de décentralisation, distinguer les responsabilités politiques et managériales, les responsabilités de conception et de mise en œuvre des politiques publiques, mettre les gestionnaires publics en situation de responsabilité, généraliser les contrats d’objectifs et de gestion, former les gestionnaires publics au management, ces recommandations et quelques autres de la même inspiration s’inscrivent dans le courant de réflexion initié en 1990 par la circulaire Rocard sur le renouveau du service public et elles ne peuvent qu’être approuvées.

L’accent mis fortement sur l’évaluation ex ante et ex post des politiques publiques, la place à faire à l’expérimentation, l’organisation systématique de revues des missions, l’encouragement à donner à l’innovation, sont aussi des idées très à la mode dans l’univers de la gestion publique, mais on ne saurait reprocher au rapport de les reprendre en cherchant à leur donner consistance.

5 - Diversifier l’offre de service public

L'orientation du rapport rejoint très directement les réflexions formulées dans mon livre, L’économie des besoins, (éditions Odile Jacob, 2013).

Elle apparaît au niveau du quatrième levier d’action proposé, celui qui consiste à « diversifier l’offre de service public » (pages 72 à 86). On y reprend l’idée selon laquelle la reconnaissance d’un droit universel à l’accès au service public n’implique nullement qu’il doive être fourni de la même manière à l’ensemble de la population. Un niveau plus élevé d’éducation, un besoin accru d’autonomie, les capacités nouvelles de communication qu’offre le numérique, ont fait évoluer les besoins sociaux et les exigences des citoyens. Le service public doit être capable de s’adapter à la diversité des situations auxquelles il répond. Il faut pour cela diversifier l’offre, « capabiliser » la demande, c’est-à-dire permettre à chacun d’utiliser dans de bonnes conditions le service qui lui est offert et organiser dans les meilleures conditions possible la rencontre du service et du besoin. On n’y parviendra qu’en enrichissant les rapports que le service public et ses agents entretiennent avec les citoyens.

Le rapport développe sur ce point, exemples à l’appui, l’idée d’une co-concoption, voire d’une coproduction des politiques publiques et il insiste sur les possibilités qu’offre le numérique pour concrétiser ces perspectives.

Sur le numérique, précisément, on aurait aimé que le rapport aille plus loin. Dans de nombreux domaines, éducation, santé, transports par exemple, on voit se manifester aujourd’hui des offres de service qui viennent compléter (voire concurrencer) les prestations du service public. La prise en compte de ce phénomène et des problèmes qu’il peut poser du point de vue de la prise en compte de l’intérêt général, de la qualité du service offert et de l’égalité d’accès des citoyens aurait mérité que l’on s’y arrêtât davantage.

Bien des choses, dans ce rapport... Des propositions à prendre en considération. Quelques pistes aussi, que je regrette de ne pas voir plus développées, dans la voie de la construction de l’économie des besoins. Ainsi de la proposition faite page 56, de « mettre en chantier une comptabilité des services publics en termes de production d’utilité collective » ou du souhait, exprimé pages 49 et 50, de voir se dégager « une vision stratégique et prospective de l’action publique par grand secteur », au sein d’une « instance associant l’ensemble des acteurs » (État et collectivités, agents, usagers).

Sur ces sujets et dans le cadre d’une concertation réelle qui reste à établir, France Stratégie pourrait avoir encore beaucoup à nous apporter.

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