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14 / 01 / 2015 | 7 vues
Martin Richer / Membre
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Négociation sur le dialogue social : un accord nécessaire

Les deux dernières journées de négociation sur la qualité et l’efficacité du dialogue social se tiennent cette fin de semaine, les 15 et 16 janvier. Jusqu’à il y a peu, un aboutissement était peu probable tant les positions respectives sont éloignées, sans compter les profondes lignes de fracture qui traversent chacune des deux parties, syndicale et patronale. Mais c’était avant ; c’était l’année dernière. Depuis, l’esprit du 11 janvier souffle ; un profond mouvement de rassemblement des Français autours des valeurs essentielles est à l’œuvre et je ne doute pas qu’il atteindra le dialogue social, l’un des piliers de notre République.

De fait, je suis convaincu qu’un terrain d’entente peut être trouvé. Mais chacun devra, pour y parvenir, consentir à des concessions parfois douloureuses. Le travail que nous menons au sein du pôle social de Terra Nova me conduit à la conviction qu’un équilibre peut être trouvé autours des 6 « points durs » de la négociation. Ces derniers ne sont pas nouveaux. Ils avaient presque tous déjà été abordés lors de la précédente négociation sur « la modernisation du dialogue social », amorcée en juin 2009 et inaboutie en 2012 après un parcours cahotique. Mais les avancées observées depuis l’ouverture de cette nouvelle négociation, le 9 octobre 2014, les éclairent sous un jour nouveau.

Les représentants patronaux adopteraient une vision plus réaliste du conseil d’entreprise

Le texte du MEDEF, soumis à la négociation, propose la mise en place d’un conseil d’entreprise dans les entreprises de 11 salariés et plus, qui englobe les prérogatives autrefois attribuées aux délégués du personnel, au comité d’entreprise et au CHSCT. Le MEDEF a fait une concession intéressante : alors que la première mouture de son texte réservait cette instance aux entreprises de plus de 49 salariés, la nouvelle l’ouvre aux entreprises à partir de 11 salariés. Il doit encore faire une clarification, une concession et une précision.

Une clarification car la phrase « dans les entreprises d’au moins 11 salariés, l’employeur organise tous les quatre ans une élection pour la mise en place d’un conseil d’entreprise » a été interprétée par beaucoup (y compris dans d’excellents articles de presse) comme une tentative de rendre la création du conseil facultative, soumise au résultat d’un référendum (qui avait été évoqué au début de la négociation). Ma compréhension est que l’élection dont il est question ici est celle des élus du conseil et non un référendum sur la création du conseil. À clarifier…

Une concession sur la création de la commission HSCT. En effet, le conseil d’entreprise ou d’établissement peut constituer en son sein une commission chargée de l’assister pour l’exercice de ses attributions liées aux questions d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail mais il est prévu que cette création soit décidée par accord d’établissement ou d’entreprise (pour les établissements entre 50 et 500 salariés) ou sur demande de plus de la moitié des membres du conseil (établissements de 500 salariés et plus). Or, les enjeux HSCT sont aujourd’hui d’une telle importance que conditionner la création de la commission est une erreur. Il faut rendre celle-ci de fait, à compter de 50 salariés, comme c’est le cas pour les actuels CHSCT.

Enfin une nécessaire précision sur les conditions dans lesquelles s’exercent les prérogatives du conseil en matière de négociation d’accords d’entreprise. C’est une chose (positive) de voir le conseil se saisir de ces attributions en cas d’absence de délégués syndicaux. Mais la création du conseil ne doit pas être une voie d’affaiblissement des prérogatives des délégués syndicaux, une conquête des accords de Grenelle en 1968.

De même, il n’est pas facile pour les syndicats d’accepter que les délégués syndicaux soient désignés parmi les représentants du personnel élus : on peut y voir, comme l’a déclaré l’un d’entre eux, une « mise sous tutelle des organisations syndicales par le conseil d’entreprise ». Mais on peut aussi y voir, au contraire, un renforcement des syndicats dans la suite logique de la réforme de la représentativité engagée par la loi d’août 2008 (et son pendant avec la loi de juillet 2010 pour les fonctionnaires). Comme le disait justement Jean-Denis Combrexelle, à l’époque directeur général du travail, « la réforme de la représentativité n'est pas une fin en soi. À partir du moment où on laisse plus de place à la négociation collective, les acteurs syndicaux de la négociation se doivent d'être plus légitimes et avoir une représentativité fondée sur l'élection »[1].

Les syndicats accepteraient une rationalisation des instances

« Attaque frontale contre les CHSCT », « suppression des droits », « effacement des acquis des lois Auroux »… Miroir Social (et d’autres titres de presse plus traditionnels) sont envahis de cris d’alarme. Ses auteurs ont-ils lu le texte ? Dans ce cas, voici ce qu’ils y trouvent : le conseil d’entreprise « a pour objet d'assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives aux orientations stratégiques de l’entreprise, à sa gestion et à son évolution économique et financière, à l'organisation du travail et aux conditions de travail, à la santé, à la formation professionnelle et aux techniques de production ». On a donc ajouté les prérogatives du CE et du CHSCT. Si effectivement le CHSCT disparaît en tant qu’institution séparée, ses prérogatives sont maintenues. On peut d’ailleurs soutenir qu’elles se verront renforcées dans les entreprises de 10 à 50 salariés, dans lesquelles les CHSCT ne sont actuellement pas présents : le conseil d’entreprise y est explicitement chargé (entre autres sujets) de la santé et de la sécurité.

Cette rationalisation des instances sera bénéfique à l’ensemble des parties : la séparation des attributions entre le CE d’une part et le CHSCT d’autre part n’a plus de sens et est un facteur de handicap pour le dialogue social.

De même, le schéma d’organisation des instances proposé par le document se distingue du schéma de « l’instance unique » (bien que le MEDEF, par une sorte d’étrange obstination masochiste, s’obstine à utiliser ce terme impropre). La crainte exprimée par plusieurs syndicats de voir le dialogue social se centraliser au siège est donc infondée. C’est un point d’importance majeure sur lequel le rapport de Terra Nova présentant le modèle Bélem et les voies du renouveau pour le dialogue social (voir les références ci-dessous) a beaucoup insisté. Le texte proposé à la négociation précise bien que « dans les entreprises de 50 salariés et plus comportant des établissements distincts, des conseils d’établissements et un conseil central d’entreprise sont constitués ». De même une commission chargée de l’assister pour l’exercice de ses attributions liées aux questions d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail est créée « au sein du conseil d’entreprise ou d’établissement ». Le risque majeur d’un éloignement du dialogue social avec les processus de travail nous semble donc écarté. 

Les représentants patronaux sécuriseraient les attributions HSCT du conseil d’entreprise

Les craintes des syndicats de voir les attributions du CHSCT amoindries par sa fusion au sein du conseil d’entreprise sont légitimes et doivent être entendues. Dans sa forme actuelle, le texte ne rassure pas sur le maintien de ces attributions au sein du conseil. Ainsi, par exemple, la capacité du conseil d’entreprise à être consulté en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ou bien en cas de risque grave constaté dans l’établissement n’est explicitement mentionnée que dans les paragraphes concernant le recours aux expertises.

La situation de notre pays au regard de la prévention des risques professionnels et de la santé au travail est loin d’être satisfaisante (voir « Santé et sécurité au travail : 3 bonnes raisons d’investir »). Il serait inopportun de baisser la garde sur ces enjeux. Il suffirait d’indiquer clairement que toutes les prérogatives actuelles des CHSCT sont reprises par les conseils d’entreprise et d’établissement pour convaincre que l’objectif n’est pas d’affaiblir les moyens du dialogue social en entreprise mais de redéployer les attributions des instances.

Les représentants patronaux reconnaîtraient la légitimité du dialogue social dans les TPE

Dans le cadrage de la négociation émis l’été dernier à l’issue de la grande conférence sociale, le gouvernement a demandé aux partenaires sociaux de proposer un dispositif, en particulier pour les salariés des entreprises de moins de 11 salariés qui n’ont pas de délégué du personnel, afin que le dialogue social ne reste pas étranger au monde des TPE. Or, la CGPME et une partie conséquente du MEDEF (notamment les fédérations du bâtiment, des travaux publics, de la propreté, du conseil et des prestations informatiques) sont opposées à toute représentation des salariés de TPE, même hors de l’entreprise.

C’est un vieux débat. Nous continuerons à soutenir le modèle créé par l’artisanat avec ses 22 commissions paritaires régionales interprofessionnelles de l’artisanat (CPRIA) dont l’activité démontre l’effet bénéfique du dialogue social dans les TPE. Nous continuerons également à rappeler que ces instances n’ont pas de prérogatives de négociation, laissées aux branches professionnelles, mais apportent un soutien à la résolution de problèmes, de conflits et un appui à la mise en œuvre de bonnes pratiques. Enfin, comme nous avons un peu de mémoire, nous rappellerons que la proposition d’installer des commissions régionales paritaires, qui représenteraient les salariés des TPE figure dans la position commune, signée le 9 avril 2008 par la CGT, la CFDT et l’UPA mais aussi par le MEDEF et la CGPME…

Il est temps de mettre ces engagements en musique.

Les syndicats accepteraient la simplification des thématiques

Le texte du MEDEF propose de regrouper les informations-consultations et de permettre aux entreprises de déterminer par accord leur agenda social, c'est-à-dire de décider des thèmes de négociations, de leur agencement et de leur fréquence. La voie était ouverte par l’ANI sur la qualité de vie au travail (juin 2013), qui permet d’articuler en une seule négociation plusieurs thématiques (prévention des risques psychosociaux, égalité professionnelle, mobilité interne, prévention de la pénibilité etc.)

Un progrès sensible a été fait lors des quatre premières séances de négociation et plusieurs syndicats ont formulé des propositions concrètes et intéressantes sur le regroupement de certaines informations-consultations ou négociations obligatoires. Ces avancées vont dans le bon sens, tant le « découpage en fines tranches de dialogue social » menait à une impasse. Elles permettront une approche plus stratégique du dialogue social, mieux articulée à la conduite du changement et à la vie des entreprises.

Les syndicats accepteraient l'effet de l'accélération du changement

L’enquête sur les conditions de travail montre l’ampleur des changements qui concernent directement une large part des salariés des secteurs privé et public : 21 % d’entre eux signalent un changement de l’organisation du travail au sein de leur établissement survenu dans les 12 derniers mois, 16 % un changement de poste ou de fonction qui les a personnellement affectés, 14 % une restructuration ou un déménagement de leur établissement, 14 % un rachat ou un changement dans l’équipe de direction, 4 % un plan de licenciements dans l’établissement…[2].

L’enjeu est de trouver des modalités de dialogue social plus en phase avec cette accélération et plus en prise avec les différents moments du changement :

  • anticiper les conséquences humaines avant le changement ;
  • associer les représentants du personnel pendant ;
  • et accompagner les hommes après.

Pour cela, il faut en particulier adapter les délais des procédures d’informations-consultations et produire davantage d’anticipation. Ici, c’est la loi de sécurisation de l’emploi qui a ouvert la voie avec les délais préfixés et la base de données d’informations économiques et sociales[3].

Un autre changement proposé par le document du MEDEF est la co-désignation des experts puisque « le choix de l’expert, ainsi que la nature, l’étendue de sa mission et le montant de ses honoraires se font d’un commun accord entre l’employeur et les membres élus du conseil ». Là encore, cette proposition n’est pas neuve. Je pense qu’aujourd’hui comme hier, elle est très inadaptée aux sujets conflictuels (ex : PSE) ainsi qu’aux sujets qui doivent être traités dans l’urgence (ex : risque grave).

En revanche, elle aurait l’avantage considérable de mieux impliquer les parties prenantes dans la mise en œuvre des préconisations, point faible de « l’expertise à la française » d’aujourd’hui (voir « Les CE et CHSCT : un véritable contre-pouvoir ? »). Un bon terrain d’accord pourrait être de réserver cette co-désignation (ainsi que le cofinancement à hauteur de 20 % sur le budget de fonctionnement du nouveau conseil d’entreprise, que le MEDEF voudrait appliquer à toutes les missions d’expertise) aux missions « à froid », celles qui ne sont ni conflictuelles, ni effectuées dans l’urgence. Elles sont au nombre de 2 : la nouvelle mission sur les orientations stratégiques, créée par la loi de sécurisation de l’emploi (qui entre déjà dans le dispositif de cofinancement à 20 %) et la mission annuelle d’analyse des comptes. Je m’interroge d’ailleurs sur le fait que cette dernière ne fait pas partie des missions énumérées par le document du MEDEF, ce qui dénote peut-être l’intention de la fusionner avec la mission sur les orientations stratégiques.

J’entends souvent dire que la co-désignation de l’expert est vouée à l’échec car le droit à expertise technologique, soumis à cette même contrainte depuis l’origine, n’a jamais véritablement « pris » (on en recense à peine quelques dizaines chaque année). Mais c’est oublier que la raison de cet échec est tout simplement que les représentants du personnel peuvent obtenir le même contenu de mission en activant la mission « projet important », plus simple et mieux bordée.

Enfin, il serait utile de considérer pas seulement une co-désignation de l’expert mais une co-construction de sa mission : c’est lorsque les parties prenantes s’impliquent dans le cahier des charges et dans la réalisation de certaines des tâches que la mission est réellement porteuse de progrès. Ceci aurait également l’avantage de répondre à la demande (à mon sens fondée) de plusieurs syndicats, qui estiment que les missions d’expertise devraient contribuer davantage à la formation des élus et au transfert d’expertise.

Conclusion

Je voudrais pour terminer, partager un point qui m’a frappé : presque tous les interlocuteurs (de tous bords) avec qui j’ai pu échanger ont loué la qualité du préambule du document, c’est-à-dire la partie qui expose les intentions. Il n’est pas besoin d’être démesurément optimiste pour considérer que si les intentions sont partagées, leur mise en accord devrait être possible…

Je ne suis pas seul à le souhaiter. Cela a été peu relevé par la presse mais le 10 décembre, le Premier Ministre Manuel Valls a lancé un appel (assez vibrant) aux partenaires sociaux. Il les encourageait à aboutir dans un esprit de compromis et évoquait son aspiration à voir sa traduction dans une loi sur le dialogue social portée par son ministre du Travail dès le premier trimestre 2015.

Les partenaires sociaux sauront-ils se placer à la hauteur des enjeux et aboutir à une solution mutuellement gagnante cette fin de semaine ? Ce qui était souhaitable mais improbable avant le 11 janvier est devenu nécessaire et possible.

Martin Richer, coordonnateur du pôle « entreprises, travail & emploi » de Terra Nova.

Pour aller plus loin :

Sur le site de Miroir Social : « Seuils sociaux : pour une solution mutuellement gagnante »

Sur le site de Terra Nova : « Le dialogue social au seuil d’un renouveau » 



[1] « Jean-Denis Combrexelle, DGT : « la régulation doit se faire par le biais de la négociation collective », Metis, 29 août 2012.

[2] Thomas Coutrot (DARES) et Emma Davie (DGAFP), « Les conditions de travail des salariés dans le secteur privé et la fonction publique », DARES, decembre 2014.

[3] Il existait un précédent sur l’encadrement des délais : la mission CHSCT sur les risques graves. Qui se souvient que cet encadrement avait été demandé à l’époque pas par le MEDEF mais par le groupe parlementaire communiste, qui voulait par là éviter les manœuvres dilatoires des employeurs ?

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J'avoue ne pas bien comprendre votre point de vue. Nos propositions visent au contraire à renforcer les acteur sociaux et notamment les représentants du personnel; à faire en sorte que le dialogue social soit moins formel et davantage porteur de progrès.