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01 / 12 / 2014 | 2 vues
Didier Cozin / Membre
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Le compte personnel de formation : un portail pour quoi faire ? (seconde partie)

Si, dans une première partie de notre analyse (publiée le 25 novembre 2014), nous avons tenté de démontrer que le compte personnel de formation était un système d'information bricolé et dont la fiabilité technique est douteuse (avec un simple numéro de Sécu par exemple et une adresse électronique problématique pour certains salariés), le plus grave n’est sans doute pas là ; il est dans la désorganisation que le CPF va installer dans tout l'univers de la formation avec des procédures à peine ébauchées, des dispositions incomplètes, des décrets lacunaires et ce sentiment que tout est improvisé, construit à la va-vite sans expertise ni réflexion sérieuse.

Avec les records actuels de chômage et la désespérance sociale qui s'installent en France, les pouvoirs publics peuvent-ils se permettre de jouer ainsi aux apprentis sorciers ?

La perte de responsabilité de l’employeur au profit d’une entité désincarnée


À partir du jour (le 1er janvier 2015) où le compteur du DIF ne sera plus de la responsabilité de l'employeur, celui-ci perdra toute fiabilité et crédibilité ; il va devenir une simple mention personnelle (intime) que le salarié portera (ou non) sur un portail internet dont personne ne comprend encore comment il pourra fonctionner et permettre à nos concitoyens de se former (qui paiera, qui organisera les formations, faudra-t-il attendre 2016 ou 2020 si rien ne fonctionne dans cette mécanique un peu folle ?).

Imaginons donc un salarié (ou un chômeur, on n'importe quel Français adulte avec un numéro de Sécu) qui souhaite porter 120 heures de DIF sur l'espace « moncompteformation.gouv.fr » le 5 janvier prochain.

Qui garantira qu'il disposait bien de 120 heures de DIF ?

 

Une attestation de son employeur

  • qui garantira que l'employeur a bien communiqué le compteur DIF à son salarié pour le 31 janvier 2014 (s'il ne le fait pas quelle serait la sanction ?) ;
  • qui peut garantir que l'employeur ne va pas se tromper, qu'il n’oubliera pas des heures ou n’indiquera pas n'importe quoi (après tout, ce n’est plus qui aura à se préoccuper des heures et s’il a moins de 10 salariés, il n’aura même rien à payer) ;
  • combien de temps le salarié aura-t-il pour reporter ses heures de DIF sur le site de la Caisse des dépôts (1 mois, 3 mois, 6 années) ?
  • qu’est-ce que le salarié pourra porter s'il perd son emploi à partir du 2 janvier, c'est-à-dire s’il ne dispose plus de la mention de ses heures de DIF sur son certificat de travail ?

Son ex-employeur n'aura plus à lui communiquer quoi que ce soit (plus de mention des heures de DIF sur le certificat de travail).

Plus généralement, en 2015, les employeurs n'auront plus d'obligations de DIF après les 31 janvier. Que se passera-t-il donc si un salarié perd son travail le 30 juin alors que son employeur n'a pas conservé le compteur et qu’il ne dispose plus de la simple fiche indiquant ses fameuses heures de DIF le 31 décembre 2014 ?

Mais il y a bien d’autres questions toujours sans réponses

  • Quelle forme aura cette attestation DIF de l'employeur ? Une simple fiche écrite à la main (mais quelle valeur ?) un document officiel avec le tampon de l’entreprise (mais comment détecter d’éventuels faux ?).
  • Si des erreurs entachent le compteur (trop ou pas assez d'heures), comment les  corriger ?
  • Qui corrigera ? Jusqu’à quand le salarié pourra-t-il corriger ? Une médiation sera-t-elle possible auprès de la Caisse des Dépôts, de l’OPCA ou de la DIRECCTE ou tout sera-t-il perdu ?
  • L'OPCA sera censé vérifier que le salarié dispose bien d'heures de formation DIF portées sur le compte mais comment procédera-t-il ?
  • Devra-t-il engager des détectives, mener une enquête pour chaque demande de formation (et auprès de qui si l'employeur détruit les compteurs DIF après les avoir communiqués le 31 janvier 2015) ?

D'autre questions aussi importantes et toujours sans réponses

  • Qui décomptera les heures de DIF portées sur le CPF jusqu'en 2021 ? L’OPCA peut-être mais comment fera-t-il si le salarié passe d’une branche à l’autre tout au long de l’année ?
  • L'OPCA tiendra-t-il un compteur DIF, le transmettra-t-il à Pôle Emploi ou à d'autres OPCA en cas de changement professionnel ?
  • Quel OPCA garantira le financement des heures de DIF cumulées durant 10 ans par les salariés (1 milliard d'heures, soit une valeur de 15 à 30 milliards d'euros) ? De nombreux OPCA ont déjà répondu qu’ils n’auraient pas un euro à mettre pour financer les heures en 2015. Si les employeurs répondent qu’ils n’ont pas non plus d’argent qui financer dans ce cas ? La providence peut-être ?
  • Comment un employeur réagira-t-il si son salarié lui oppose pendant des années des demandes de CPF/DIF dépassant largement les 120 heures, ne devrait-il pas continuer à compter les heures DIF et CPF ?
  • Quel est le rôle exact de la Caisse des Dépôts et du site portail moncompteformation.gouv.fr ? Additionner simplement des heures CPF (24 h par an) à partir de 2016 ou prendre en compte (et donc disposer de plusieurs compteurs) toutes les heures : DIF, CPF, heures abondées, heures de pénalités… ?
  • Si un salarié se forme en utilisant ses heures de DIF/CPF chez son employeur, qui décrémentera les heures prises ? Comment les décrémenter si aucun compteur DIF n’existe plus (et les heures de DIF ne seront pas mêlées aux heures de CPF) ?
  • Si le salarié passe par l’OPCA de son employeur (mais ce serait quand même à l’employeur de faire le facteur), l’OPCA tiendra-t-il le compteur de chaque salarié ? Que se passera-t-il si le salarié change fréquemment d’emploi et d’OPCA durant les 6 prochaines années ?
  • Le conseil en évolution professionnelle a-t-il la moindre chance d'être accessible en tout point du territoire avant 5 ou 10 années ? Si non, pourquoi mentionner dans les documents du ministère du Travail ce dispositif innacessible ?
Quid des heures de DIF portées depuis 2010 ?
  • Si plus personne ne décompte les heures DIF (sauf le salarié si ça lui fait plaisir), pourquoi alors déclarer ces heures de DIF symboliques utilisées en formation ?

Quid des heures de DIF des chômeurs et des salariés ayant perdu leur emploi en 2014 ?

  • Des salariés ayant un double compteur DIF (le nouveau et celui de leur ancien employeur soit 120 + 40 heures potentielles).


Il faut bien comprendre que dès lors que l’État a décidé (très imprudemment) de tenir seul des millions de compteurs, de centraliser les heures de formation, il a alors fait tomber la responsabilité de l'employeur face à la bonne tenue des compteurs. Les pouvoirs publics empêtrés dans des systèmes d’information qu’ils ne parviennent plus à maîtriser (le système de paie Louvois, le système du DPC, le dossier médical personnalisé…), feront-ils mieux avec ce ridicule budget de 3 millions d’euros (soit 10 centimes par compte !) pour animer entre 30 et 40 millions de comptes ? On peut en douter.

Les problèmes du CPF vont bien au-delà des heures de DIF portées

Face aux centaines de questions qu’il faudra bien un jour se poser (il ne reste plus que 30 jours pour les poser et surtout y répondre !), les salariés risquent de comprendre que la disparition du DIF et l’invention du CPF, n’étaient, au-delà des bonnes intentions affichées (sécurisation des parcours), qu'un bien piètre cadeau de Noël 2014.

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Bonjour, Le CPF repose sur le principe des "formations éligibles". Une première "fournée" vient d'arriver... Cette liste (72 pages !) comporte un certain nombre de formations (diplômantes) qui laissent rêveur. Ce n'est même plus de la formation professionnelle mais de la formation initiale. Cela va du CAP, en passant par le baccalauréat, la licence et même des masters... Comment cela sera-t-il possible ? Il faudra déjà emmagasiner par mal d'heures, trouver des horaires adaptés, avec un coût exorbitant. Combien coûte un master par personne (coût réel et non simplement les frais d'inscription) ?