Participatif
ACCÈS PUBLIC
25 / 04 / 2014 | 1 vue
Martin Richer / Membre
Articles : 24
Inscrit(e) le 20 / 02 / 2008

Pacte de responsabilité : 6 raisons de réhabiliter (d’urgence) les contreparties

La réussite du pacte de responsabilité est aujourd’hui compromise. Il concentre sur lui le feu des critiques de toutes origines : « cadeau au patronat » pour les uns, « mesure sans effet » pour les autres. Il est donc urgent de revenir aux fondamentaux du pacte en remettant sur le devant de la scène l'une de ses composantes étrangement oubliée : les contreparties.

Mon argumentation repose pour l’essentiel sur la note produite par Terra Nova (que je vous invite à consulter : « Réussir le pacte de responsabilité : pour une culture du dialogue économique et social »), à la suite d’un groupe de travail que j’ai eu le plaisir de présider. Terra Nova s’est fortement engagée en faveur de ce pacte, malgré les critiques parfaitement légitimes exprimées par plusieurs organisations syndicales. Les avancées du pacte, mises en avant par les deux organisations signataires du relevé de conclusions du 5 mars 2014, nous semblent en effet plus déterminantes que ses inconvénients, à condition toutefois que la question des contreparties soit correctement traitée.

Or, cette question, qui était fortement exprimée par François Hollande dans sa présentation initiale du pacte (à l'occasion de ses vœux aux Français le 31 décembre 2013), semble aujourd’hui perdue dans les sables au point que le nouveau gouvernement ne s’y réfère plus.

Voici les 6 raisons pour lesquelles je pense que cette réhabilitation est indispensable.

1) Veiller à l’équilibre du compromis

Un pacte, c’est un compromis et un compromis repose sur l’équilibre des engagements consentis par chacune des parties prenantes. Or, la pédagogie actuelle de gouvernement se concentre sur les allègements de cotisations sociales accordées aux entreprises sans rien dire de ce qui est exigé d’elles en contrepartie, c’est-à-dire ce qui permettra d’en obtenir un effet positif sur le front de l’emploi. De ce fait, l’économie du pacte se résume à un allègement de cotisations patronales de 30 milliards pour les entreprises « contre » des économies de 50 milliards pour l’État, les collectivités et les ménages ! De surcroît, ces économies se matérialisent par des mesures impopulaires (gel de prestations sociales, des pensions de retraite, du point d’indice déterminant le salaire des fonctionnaires etc.) sans que les populations touchées ne puissent constater que ces efforts se traduiront par des résultats positifs tangibles en termes d’emploi, d’investissements, de formation. Le pacte essaye de marcher sur une seule jambe et trébuche.

2) Ouvrir le dialogue social vers le dialogue économique

L’intention initiale du pacte était de reconnaître que les partenaires sociaux doivent aussi devenir des partenaires économiques. Au lieu de résumer le dialogue social à une négociation qui s’établit lorsque les décisions sont déjà prises et que l’on ne peut que « limiter les dégâts » (ex. : PSE), il s’agit d’ouvrir ce dialogue vers l’amont, vers le diagnostic de la situation économique et des marges de manœuvre disponibles pour traiter les questions d’emploi et de qualification. C’est la raison pour laquelle le pacte propose une discussion des contreparties entre les partenaires sociaux. Nous préconisons pour notre part d’aller plus loin en réservant l’octroi de l’allègement de charges aux entreprises qui auront conclu un accord avec leurs représentants du personnel, définissant la nature des contreparties. Dans cette approche, l’expression « cadeau aux entreprises » devient caduque puisqu’il s’agit bien d’un échange « donnant-donnant ».

3) Contribuer à la qualité des emplois et du travail

La politique d’allègements des cotisations n’est pas soutenable si elle ne s’accompagne pas d’une stratégie volontariste d’amélioration de la qualité des emplois et du travail. Il s’agit tout d’abord d’éviter que les salariés ne soient enfermés dans ce que les économistes appellent les « trappes à bas salaires », c’est-à-dire condamnés au SMIC. Il s’agit ensuite de reconnaître que le coût du travail ne représente qu’une partie des difficultés de compétitivité des entreprises françaises, qui sont au moins aussi fortement confrontées à la problématique de compétitivité hors-coûts. La réponse efficace consiste donc à effectuer une montée en gamme des produits, qui elle-même se réalise par une montée en qualification, en maîtrise des processus, en capacités d’adaptation. Nous proposons pour notre part de mettre l’accent sur trois contreparties, qui permettent justement cette montée en qualité : les emplois de croissance, la formation professionnelle notamment en direction des moins qualifiés, les investissements productifs.

4) Obtenir des résultats en matière d’emploi

Le mois d’avril a été occupé par le débat entre ceux qui privilégient des allègements de charge fortement concentrés autour du SMIC (ce qui permet d’obtenir des résultats plus rapides et significatifs en termes de création d’emplois) et ceux qui préfèrent des allègements plus répartis sur l’échelle des salaires (ce qui permet d’avoir une conséquence sur les secteurs d’activité exportateurs, qui ont des salaires moyens plus élevés). Une tribune publiée par 34 économistes spécialistes de l’emploi (Le Monde du 4 février 2014) était intitultée « Réduction de charges : priorité aux bas salaires ». Le gouvernement a choisi une solution intermédiaire (si bien que la baisse des cotisations va concerner 90 % des effectifs), choix que nous soutenons car il est essentiel, sdlon nous, de travailler sur l’ensemble des déterminants de la compétitivité. Mais ce choix présente le risque de limiter les résultats en termes d’emplois, si ces derniers ne sont pas explicitement formalisés dans les contreparties. En l’occurrence, les prévisions gouvernementales récemment énoncées (190.000 emplois créés ou préservés à horizon 2017, s’ajoutant à 300.000 résultant du CICE) nous semblent fortement optimistes en l’état… Le Haut Conseil des finances publiques a conforté nos doutes en jugeant ces prévisions d’emploi optimistes. Les entreprises vont d’abord tenter de reconstituer leurs marges (historiquement basses) avant de former, d’investir ou d’embaucher. Seule la formulation précise de contreparties permettrait de changer la donne.

5) Éviter les effets d’aubaine


S’il n’y a pas de contreparties (ou si celles-ci ne sont définies que de façon vague ou non chiffrable) bien des entreprises vont bénéficier de la mesure sans modifier leur comportement de gestion des ressources humaines (recrutement, formation etc). Dans le cas du CICE par exemple, de nombreux observateurs ont fait part de leurs regrets de constater que l’entreprise qui a le plus bénéficié de la mesure est La Poste. Bien que La Poste ne soit pas l’entreprise la plus déficiente en matière de GRH, force est de constater qu’elle n’est pas celle qui avait le plus besoin de ces allègements pour se mesurer à la concurrence internationale… En revanche, si les contreparties sont négociées comme nous le proposons, entreprise par entreprise, il n’y a plus d’effet d’aubaine. C’est le dialogue social qui permettra d’assurer l’utilisation efficace des fonds résultant des allègements de charge. De la même façon, les contreparties permettront d’empêcher que certaines entreprises ne soient tentées de détourner l’esprit du pacte en utilisant les fonds pour augmenter les rémunérations ou les dividendes versés aux actionnaires.

6) Matérialiser la réussite

L’effort demandé aux Français pour financer le pacte (et le CICE qu’il complète) est considérable : 30 milliards d’euros. Souvenons-nous de l’épisode rocambolesque de la TVA sur la restauration, qui n’a aucunement tenu ses promesses de création d’emploi. Plus largement, la politique d’allègement des cotisations sociales est active depuis 1993, sans que la situation de l’emploi ne se soit notablement améliorée. C’est la raison pour laquelle nous proposons un dispositif précis et concret pour gérer les contreparties. Pour résumer : le dialogue social dans les entreprises (et les branches pour le TPE et les PME de taille modeste) permettra de déterminer les contreparties adaptées à leur situation, c’est-à-dire des objectifs (recrutements, apprentissage, formation etc.) associés à des indicateurs. Ces derniers seront intégrés à la base de données unique mise en place par l’ANI du 11 janvier 2013, utilisée comme tableau de bord des engagements. Un site internet géré par l’observatoire national tripartite permettra d’organiser la remontée des informations par branches et par territoires et de formaliser le suivi national des résultats. On pourra ainsi, au vu de la confrontation entre engagements et résultats obtenus, piloter et réguler le déblocage des tranches d’allègements de cotisations sociales.

Conclusion

Le débat sur les contreparties doit donc être résolument posé. Il est au cœur de la réussite du pacte, et au-delà, de notre pacte social, qui repose sur des engagements réciproques et équilibrés. Est-ce si difficile ? Non. Notre rapport propose des solutions concrètes à travers ses 15 propositions. Après tout, il s’agit de revenir à l’intention initiale du pacte, présentée par le Président de la République lors de ses vœux aux acteurs de l'économie et de l'emploi, le 21 janvier 2014 : un pacte comportant « des contreparties claires, précises, mesurables et vérifiables ».

 

Pour aller plus loin :
- Le rapport Terra Nova : « Réussir le pacte de responsabilité : pour une culture du dialogue économique et social »
- Un article de blog : « Pacte de responsabilité : l’impératif de la formation professionnelle »
- Une interview sur Xerfi: Le pacte de responsabilité : quelles contreparties ? Quel rôle pour le dialogue social ? Quels facteurs clés de succès ?  

Pas encore de commentaires