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18 / 07 / 2013 | 56 vues
Samuel Gaillard / Membre
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La Cour de Cassation contraint une direction à payer une expertise CHSCT annulée : retour sur les conditions de démarrage

Le 15 mai dernier, la Cour de Cassation a rendu un arrêt particulièrement intéressant (et fort complexe à analyser), complétant sa jurisprudence en matière d’expertise CHSCT et portant plus particulièrement sur la question du paiement des honoraires de l’expert en cas d’annulation de l’expertise en appel (Cass. soc., 15 mai 2013, P. n° 11-24218, arrêt publié).

  • Au-delà de la motivation retenue dans cet arrêt, la solution posée par la Cour de Cassation permet de mettre en valeur l’importance sous-jacente mais fondamentale de l’obligation de santé et de sécurité de résultat, du principe de l’effet utile des institutions représentatives du personnel et des conséquences résultant nécessairement d’une décision rendue en première instance.

L'expert doit être payé

Dans l’affaire soumise à l’appréciation de la Cour de Cassation, le CHSCT avait mis en œuvre une expertise pour projet important qui avait été contestée devant les tribunaux. L’employeur avait été débouté de sa demande d’annulation par le Tribunal de Grande Instance, mais la Cour d’Appel a infirmé cette décision en annulant la délibération du CHSCT qui avait mis en œuvre l’expertise.

L’expertise ayant été réalisée par l’expert entre la première instance et l’appel, l’employeur contestait devoir la moindre somme à l’expert. Les juges de première instance et la Cour d’Appel avaient donné raison à l’employeur. Par cet arrêt de cassation du 15 mai donnant tort aux juges du fond, la Cour de Cassation a considéré que l’expert devait être payé par l’employeur quand bien même l’expertise a finalement été annulée.


La Cour de Cassation motive sa décision par le double raisonnement suivant.

  • L’expert était tenu de respecter le délai de 45 jours courant à compter de sa désignation pour exécuter sa mission et il ne manque donc pas à ses obligations en l'exécutant.
  • En l’absence de budget du CHSCT, l’expert ne dispose d’aucune possibilité effective de recouvrement de ses honoraires contre le comité qui l’a désigné et l’employeur est donc tenu de prendre en charge les honoraires de l’expert.

A priori, un tel mode de raisonnement ne peut que laisser quelque peu dubitatif, ne serait-ce qu’au regard du principe selon lequel, du fait de l’annulation prononcée en appel, la décision du CHSCT est censée n’avoir jamais existé et qu’elle ne doit pas produire d’effets.

Le recours par la Cour de Cassation au délai de 45 jours pour justifier cette solution est par ailleurs étonnant.

  • Étonnant en fait parce qu’en l’espèce, du fait de l’action en contestation par la direction de l’expertise, l’expertise avait finalement été mise en œuvre postérieurement à la première décision du 17 février 2009 (première instance), soit plus de 45 jours après la délibération du CHSCT qui était intervenue le 18 décembre. Si l’on s’en tient à une interprétation littérale de cet arrêt, l’expert doit ainsi immédiatement débuter l’expertise dès sa désignation, même en cas de contestation et de saisine immédiates des tribunaux par l’employeur et ce dernier est tenu de prendre en charge ses honoraires. Une telle position ne correspond pas à la pratique de la profession où les expertises sont en général suspendues en cas de contestation jusqu’à la décision de première instance (voir ci-après).
  • Étonnant en droit parce que le non-respect de ce délai de 45 jours n’est pas sanctionné par la nullité.
  • Étonnant surtout parce que la motivation pourrait laisser supposer que c’est le délai de 45 jours qui justifie la décision de la Cour de Cassation et que la solution dégagée par la celle-ci dans cet arrêt n’est donc pas applicable aux expertises pour risques graves, qui ne sont pas assorties d’un délai précis de mise en œuvre, alors que ces expertises revêtent le plus souvent un caractère d’urgence encore plus prégnant.

Garantir l’efficacité de l’obligation de santé et de sécurité de résultat de l’employeur

Même si la Cour de Cassation n’y fait pas référence, le motif sous-jacent de cette décision résulte manifestement de sa volonté de garantir l’efficacité de l’obligation de santé et de sécurité de résultat de l’employeur. Cet arrêt permet par ailleurs de rappeler que les décisions d’un CHSCT sont opposables de droit au chef d’entreprise tant qu’elles n’ont pas été annulées. La solution retenue par la Cour de Cassation dans cet arrêt du 15 mai 2013 est d’autant plus justifiée qu’en l’espèce, le bien fondé de l’expertise avait été reconnu dans un premier temps par le juge de première instance. Cette solution pourrait toutefois être à l'avenir combinée avec une prise en compte du caractère exécutoire ou non de la décision rendue en première instance.

  • Si la Cour de Cassation avait fait une application stricte des principes applicables en matière de nullité et qu’elle en avait déduit que les honoraires de l’expert n’étaient pas dus, la première conséquence pratique qui en aurait résulté eut été celle de suspendre la mise en œuvre de toutes les expertises jusqu’aux décisions d’appel.

En effet, du fait du principe de prise en charge des honoraires de l’expert par l’employeur et de l’absence de budget du CHSCT, il n’y aurait pas un seul expert qui serait prêt à prendre le risque d’engager des moyens importants pour réaliser une expertise, même validée par le juge de première instance, sans la moindre garantie de paiement de la moindre somme.
Au surplus, le caractère provisoire attaché désormais aux décisions rendues en première instance par le décret n° 2011-1043 du 1er septembre 2011 serait réduit à néant et nul doute que les appels dilatoires se multiplieraient alors dans le seul but de retarder la mise en œuvre des expertises.

  • Du fait de ces inconvénients rédhibitoires, la mise en œuvre d’une application stricte des principes applicables en matière de nullité serait en réalité tout simplement incompatible avec l’obligation essentielle de santé et de sécurité de l’employeur qui est toujours sous-jacente aux expertises CHSCT.

Dans le cadre de cet article, il ne convient pas de rappeler toute la genèse de l’obligation de santé et de sécurité de résultat, issue du droit européen, reprise par les articles L. 4121-1 et suivants du Code du travail et consacrée par l’arrêt SNECMA du 5 mars 2008 SNECMA c/ CGT, P. n° 06-45888) après une longue évolution trouvant son origine dans les arrêts sur l'amiante du 28 février 2002.

Dans un contexte de délitement économique, cette obligation de santé et de sécurité de résultat constitue aujourd’hui le pré carré, l’ultime rempart des intérêts des salariés.
Or, l’expertise CHSCT, qu’elle soit mise en œuvre dans le cadre d’un projet important ou dans celui du risque grave, se situe au cœur de cette notion d’obligation de santé et de sécurité et se caractérise de surcroît quasiment toujours par l’urgence : urgence a priori dans le cadre d’une expertise pour projet important dans le cadre de laquelle l’expert est tenu de réaliser sa mission dans un délai de 45 jours aux termes de l’article R. 4614-18 du Code du travail ; urgence également, à l’évidence  même et de plus fort, en cas de risque grave, même si aucun délai n’est alors imposé par le Code du travail.

Suspendre la mise en œuvre d’une expertise jusqu’à la décision d’appel reviendrait à faire prendre un risque délibéré aux salariés, surtout si l’employeur prend tout son temps pour retarder le bon déroulement de la procédure de contestation devant les tribunaux.

N’en déplaise à ses contradicteurs, l’expertise CHSCT, si elle est de qualité, constitue un élément crucial pour sauvegarder les intérêts et avant tout la santé des salariés.

La question soulevée par cet arrêt n’est donc pas celle de l’octroi d’un budget au CHSCT, comme le propose habilement une partie de la doctrine pro-employeur. Proposer comme réponse à cette jurisprudence d’octroyer un budget au CHSCT revient ni plus ni moins en pratique qu’à proposer de budgéter l’obligation de sécurité, puisque les experts hésiteront forcément à mettre en œuvre une expertise avant l’appel si le budget du CHSCT n’est pas suffisant pour couvrir les frais de l’expertise (et tel sera à l’évidence quasiment toujours le cas). La question et la réponse posées par cet arrêt sont celles de l’efficacité de l’obligation de santé et de sécurité de résultat.

 

Effet utile du fonctionnement des institutions représentatives du personnel


Des motifs sous-jacents également liés manifestement au principe de l’effet utile du fonctionnement des institutions représentatives du personnel.

  • Il convient de rappeler que, à l’instar des délibérations prises par le comité d’entreprise, les délibérations du CHSCT produisent des effets de droit et sont opposables à l’employeur sans qu’elles aient besoin de faire l’objet d’une validation par le juge.

Le seul moyen pour l’employeur d’y faire obstacle est de contester la délibération prise, que ce soit par la saisine du juge des référés aux fins d’une suspension conservatoire (voire à titre d’exemple, Cass. soc., 23 mars 1982, P. n° 80-17098) ou, comme dans le cas de la mise en œuvre d’une expertise CHSCT, de la saisine du juge au fond en la forme des référés, selon la procédure spéciale prévue par les articles L. 4614-13 et R. 4614-19 et R. 4614-20 du Code du travail.

Ce principe d’opposabilité a notamment déjà été analysé à propos d’une décision  du comité d’entreprise par Patrick Henriet, substitut général, à l’occasion d’une décision rendue par la Cour d’Appel de Paris, le 17 septembre 2009 :

« Par principe,… les décisions d’un comité d’entreprise produisent des effets juridiques, sont opposables de droit au chef d’entreprise et l’obligent pour ce qui concerne les obligations que la loi met à sa charge, sauf pour ce dernier à en solliciter l’annulation…
Dès lors, en négligeant que le comité d’établissement fasse préalablement juger, par ce qui s’apparenterait à une sorte d’action préventive, qu’il était bien en droit de désigner un expert-comptable, les premiers juges ont manifestement méconnu la portée de la décision prise par ce comité… Dès lors, il n’était nullement nécessaire… de faire préalablement juger que [le comité d’entreprise] était bien en droit de désigner un expert-comptable pour que la demande de communication de document formée par ce mandataire soit recevable…»

La même analyse peut bien évidemment être faite pour les décisions du CHSCT.

Ces principes doivent en l’espèce être appliqués d’autant plus fortement qu’il s’agit d’une délibération liée à la mise en œuvre de l’obligation de santé et de sécurité de résultat, pour les motifs exposés ci-dessus : laisser planer le risque d’un non-paiement de l’expertise jusqu’à la fin de la procédure de contestation engagée par l’employeur reviendrait en pratique à annihiler tout effet de droit aux délibérations prises par le CHSCT et plus généralement à remettre en cause le principe même de l’effet utile du fonctionnement des institutions représentatives du personnel.

Une décision favorable en première instance


Des motifs sous-jacents renforcés en l’espèce par l’existence d’une décision rendue en première instance.

  • Dans l’arrêt du 15 mai 2013, l’expertise CHSCT, même si elle avait été annulée par la Cour d’Appel, avait au surplus fait l’objet d’une validation par le juge de première instance et ce point n’est très certainement pas anodin.
  • Il convient de rappeler qu’en pratique, en cas de contestation par l’employeur de l’expertise dans un délai raisonnable, il est d’usage de suspendre la mise en œuvre de l’expertise jusqu’à la décision du premier juge (sous réserve de cas exceptionnels ou il y aurait une urgence caractérisée et une opposition manifestement abusive de l’employeur).

Dans la plupart des cas en effet, et là encore sous réserve d’une attitude abusive de l’employeur (qui par exemple saisirait à dessein tardivement le CHSCT de la mise en œuvre d’un projet), il est possible de suspendre la mise en œuvre de l’expertise jusqu’à la décision rendue en première instance sans que les conséquences ne soient trop graves.
En revanche, la pratique également est de mettre en œuvre les expertises lorsqu’elles ont été validées par le premier juge, même en cas d’appel.

La première raison évidente est que les délais d’appels, si on les ajoute aux délais de procédure de première instance, deviennent cette fois beaucoup trop longs et le plus souvent incompatibles avec la mise en œuvre d’un projet (sauf si celui-ci est retardé) et surtout avec un risque grave.

La seconde raison est qu’il y a tout de même une validation par le juge de première instance qui légitime de plus fort la demande d’expertise.

  • Du fait de cette validation par le juge des référés, on est en effet passé de la simple existence d’un droit subjectif (la délibération du CHSCT mettant en œuvre l’expertise) à la reconnaissance par le juge d’un droit objectif (la décision du juge des référés).

Cette différence entre ces notions de droit subjectif et de droit objectif a notamment été exposée par le Professeur J. Heron  dans les termes suivants : « Aussi longtemps qu’il n’existe pas de jugement, la personne tient sont droit de la règle abstraite qu’énonce le droit… En revanche, lorsqu’un jugement a été rendu, le droit de la personne devient indépendant de la règle de droit. C’est directement du jugement qu’elle le tient. Au sens propre du terme, elle dispose d’un droit nouveau et véritablement distinct de celui qu’elle avait auparavant en ce qu’il repose sur une décision particulière dont elle bénéficie : pour elle, la décision remplace la règle abstraite. » (J. Heron, droit judiciaire privé, 2ème edition, p. 243).

  • Même si une ordonnance rendue par le président du TGI validant une expertise CHSCT se traduit formellement par un rejet de la demande d’annulation de l’employeur, puisque c’est ainsi que fonctionne la procédure de contestation conformément à l’article L. 4614-13 du Code du travail, celle-ci se traduit par la reconnaissance du bien fondé de l’expertise CHSCT par le juge.

Dans un arrêt récent du 19 décembre 2012, la Cour de Cassation a considéré qu’il y avait lieu à expertise lorsqu’il existait un « risque sérieux » pouvant « potentiellement » atteindre la santé des salariés (P. n° 11-11799). On peut faire un parallèle avec cette décision par le raisonnement suivant : la reconnaissance par le juge de première instance d’un risque grave constitue la reconnaissance de l’existence d’un risque sérieux d’atteinte potentielle à la santé et à la sécurité des salariés et le respect de l’obligation de santé et de sécurité de résultat exige alors d’autant plus fort la mise en œuvre immédiate de l’expertise.

Vers une prise en compte du caractère exécutoire ou non de la décision rendue en première instance ?
Si l’on peut considérer qu’en cas d’expertise, la notion d’urgence n’est a priori pas compatible avec l’attente liée aux délais d’appel, tel n’est pas forcément toujours le cas : s’agissant par exemple d’une expertise pour projet important dont l’employeur déciderait de suspendre le processus de mise en œuvre jusqu’à la décision rendue en appel, la mise en œuvre d’une expertise immédiate deviendrait alors beaucoup plus difficile à justifier et l’on retrouve à cette étape la notion d’abus qui est cette fois-ci appliquée dans la mise en œuvre de l’expertise.

  • C’est la raison pour laquelle ce principe de mise en œuvre immédiate de l’expertise devrait pouvoir être modéré par le premier juge en fonction du caractère exécutoire ou non de la décision qu’il rendra.

De prime abord, il est indifférent que l’exécution provisoire soit attachée ou pas à une décision déboutant l’employeur de sa contestation : l’employeur est débouté de sa demande d’annulation de la délibération du CHSCT mettant en œuvre l’expertise, un point c’est tout. Que la décision soit exécutoire ou pas, cela revient au même.

Cependant, si l’on s’attache à « l’efficacité substantielle » de l’acte juridictionnel, si l’on reprend la distinction entre droit subjectif et droit objectif, la suspension de l’exécution provisoire peut être interprétée comme traduisant la volonté du juge de ne pas donner d’efficacité substantielle à sa décision, et par là même de suspendre la reconnaissance du droit à l’expertise (et donc sa mise en œuvre) à la décision d’appel.

C’est peut être ainsi qu’il faut comprendre un autre arrêt rendu le 16 mai 2012 par la Cour de Cassation qui a critiqué le refus du premier président de la Cour d’Appel d’avoir rejeté la demande de suspension de l’exécution provisoire fait par l’employeur à l’encontre d’une décision ayant validé l’expertise sous prétexte que l’exécution provisoire était de droit (Cass. soc.., 16 mai 2012, P. n° 11-19395). Par une interprétation a contrario de cet arrêt, toujours délicate à faire, on peut penser que pour la Cour de Cassation, le caractère exécutoire ou non d’une décision pourrait avoir une certaine importance.

C’est là que le pouvoir du juge pourrait reprendre toute sa force : si le juge estime qu’il n’y a pas urgence, on pourrait envisager qu’il puisse, par exception au principe posé par le décret n° 2011-1043 du 1er septembre 2011, suspendre l’exécution provisoire attachée à sa décision.

  • Dans l’espèce soumise à l’appréciation de la Cour de Cassation dans l’arrêt du 15 mai 2013, la décision rendue en première instance n’était pas exécutoire. Mais il convient de souligner que les faits s’étaient déroulés avant la publication du décret du 1er septembre 2011 prévoyant une exécution provisoire de droit aux ordonnances rendues en la forme des référés. La question de l’exécution provisoire n’avait donc peut-être pas été soumise au juge des référés, sur la base du raisonnement exposé ci-dessus, selon lequel une demande d’exécution provisoire sur une décision déboutant l’employeur de sa contestation n’a guère de sens.


Dans la mesure où de telles décisions sont aujourd'hui exécutoires de droit et que le juge dispose d’une faculté de suspendre par exception l’exécution provisoire attachée à sa décision, il n’est pas exclu de penser que la Cour de Cassation pourrait à l'avenir être amenée à atténuer la portée de sa décision du 15 mai 2013, en cas de décision expresse prise par le juge des référés de suspendre l'effet exécutoire attaché à sa décision. Cela supposerait que  le juge estime, dans son pouvoir souverain d’appréciation, qu’une telle suspension est effectivement compatible avec l’obligation de santé et de sécurité de résultat.

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