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20 / 06 / 2013 | 14 vues
Fabien Valet / Membre
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Mesurer la qualité de vie au travail : entre Prévert et Winslow

Aujourd’hui, dans les revues scientifiques et sur la toile, fleurissent de nombreux questionnaires d’évaluation de la qualité de vie au travail (QVT). Ces outils, « très à la mode », proposent de mesurer les perceptions que les salariés ont de concepts variés comme la satisfaction, la conciliation vie privée/vie professionnelle, l’efficacité, les performances, la sécurité, la rémunération... Plusieurs dimensions s’entremêlent dans ces questionnaires, croisant dans une grande confusion mesures individuelles et environnementales (organisationnelles) ; certains d’entre eux proposant même un indice global de QVT. En outre, nombreux sont les questionnaires hybrides, où chacun y va de sa dimension complémentaire, sur les bases de connaissances et d’expériences certes solides et indiscutables mais spécifiques.

  • Par le biais de ces nouveaux outils, les résultats d’une évaluation de la QVT se réduisent donc aujourd’hui à des assertions du type : « au sein de l’entreprise, 73,4 % des salariés se déclarent satisfaits de leurs conditions de travail », ou « 63,4 % des salariés sont satisfaits de la présence d’une crèche dans leur entreprise » ou bien encore « 73,9 % des salariés estiment que leur rémunération n’est pas satisfaisante ». Cette approche de la QVT n’est bien évidemment pas opérationnelle et elle est fondamentalement insatisfaisante sur le plan méthodologique. En effet, il est très réducteur de limiter l’évaluation de la QVT aux niveaux d’exposition d’un ensemble de concepts hétérogènes d’une part, et à l’administration d’une liste de questions à la Prévert contenant les attentes des acteurs de l’entreprise et les recommandations institutionnelles d’autre part.

Certes le contenu de ces questionnaires peut et doit être abordé (et sans doute une partie du contenu peut être co-construite) mais cette cristallisation actuelle des entreprises, des médias et des pouvoirs publics sur le « que mesurer ? » ne doit pas nous éloigner du modèle de santé publique classique et des réflexions poussées sur le « comment mesurer ? ».

  • En 1920, dans la prestigieuse revue Science, Winslow propose pour la première fois une définition de la santé publique comme « la science et l’art de prévenir les maladies, de prolonger la vie et de promouvoir la santé et l’efficacité physiques à travers les efforts coordonnés de la communauté pour l’assainissement de l’environnement [...], l’objet final étant de permettre à chaque individu de jouir de son droit inné à la santé et à la longévité ».

Cette définition, certes un peu vieillotte, contient déjà à l’époque les notions essentielles de l’approche de santé publique : « la prévention via l’éducation de l’individu et l’action sur son environnement ». Aujourd’hui, la démarche moderne de santé publique repose sur un cycle simple et efficace contenant cinq étapes fondamentales (voir graphique ci-dessous).

 

Si l’élément déclencheur du problème de santé (étape 1) peut être basé sur quelques cas individuels (par exemple, le SRAS ou la grippe aviaire H7N9), l’intégralité des autres étapes repose principalement sur une approche populationnelle qui implique rarement des situations individuelles identifiables. En effet, pour identifier à partir d’un problème de santé des mesures de préventions adaptées et efficaces (qui touchent le plus grand nombre), il est nécessaire d’extraire les facteurs de risques et les facteurs de protection associés (étape 2) et ce, à partir d’informations extraites d’échantillons représentatifs (inférence statistique). Rappelons qu’un facteur de risque pour une maladie donnée est un facteur qui augmente la probabilité de contracter la maladie et qu’à l’inverse un facteur de protection diminue la probabilité de contracter cette maladie (ex. : le tabac est un facteur de risque cardiovasculaire, le sport est un facteur de protection contre les maladies cardiovasculaires). L’identification conjointe de ces deux facteurs (risque et protection) permet alors de mettre en place et valider des mesures de prévention appropriées (étapes 3 et 4) avant d’en faire des recommandations de préventions et de surveillances nationales (étape 5). À l’issue de ces réflexions, une question essentielle s’impose : l’évaluation de la QVT peut-elle s’intégrer dans une approche de santé publique ? Si oui, comment ?

Essentiellement utilisée dans le monde médical pendant de nombreuses années, la notion de qualité de vie fait aujourd’hui son apparition dans le monde du travail, comme énième questionnaire de l’entreprise entre le baromètre social et le questionnaire sur l’ADN et les valeurs.

Quelle différence avec l'évaluation du stress et des RPS ?

Pour beaucoup, la démarche peut sembler radicalement différente d’une approche d’évaluation du stress et des RPS mais quelle est donc, au-delà de la simple sémantique, la réelle différence en termes de méthodologie d’évaluation et de contenus ?

La mesure du stress et des risques psychosociaux (RPS) en entreprise repose actuellement sur une méthodologie rigoureuse, unique et enfin partagée : celle du calcul du risque. Il s’agit d’estimer dans une population donnée, les différents niveaux d’exposition des facteurs auxquels les salariés sont exposés et de quantifier l'effet de chacun de ces facteurs sur les niveaux de santé psychologique. Cette méthode peut s’intégrer dans une démarche de santé publique car elle permet, via une approche populationnelle, d’identifier et de hiérarchiser les principaux facteurs de RPS, alimentant ainsi les réflexions autour des premières mesures de prévention. Mais ne manque-t-il pas des indicateurs essentiels à cette approche afin d’en faire une approche de santé publique ? En effet, à partir des outils de mesure couramment utilisés lors des évaluations du stress et des RPS, n’est-il pas possible d’identifier des facteurs qui réduisent la probabilité d’être en stress élevé, ces fameux « facteurs de protection » ? La réponse est bien évidemment oui. Prenez l’exemple de la conciliation vie privée/vie professionnelle. S’il est vrai que ce facteur augmente la probabilité de stress élevé lorsque les salariés perçoivent des difficultés à les concilier, ce facteur ne réduit-il pas cette même probabilité lorsque cette conciliation est perçue comme bonne ? Dans le contexte économique actuel, le manque de communication sur les changements à venir est un facteur de risque de stress élevé. Quid d’une communication et d’un accompagnement réguliers au travers les différents canaux de l’entreprise expliquant clairement et progressivement les différentes étapes du changement ? Un facteur de protection sans doute... En outre, il est à noter qu’en incluant simplement dans ce type d’évaluations un outil de mesure du bien-être psychologique, nous serions en mesure d’identifier clairement des poches de population « en bonne santé psychologique » et d’en déterminer les caractéristiques ainsi que les éventuels facteurs de prédisposition qui seront autant de facteurs de protection pour la santé de psychologique.

Finalement, si les mesures de préventions basées sur l’identification des facteurs de risque participent indirectement à l’amélioration des conditions de travail en diminuant les risques, les mesures de prévention alimentées par les facteurs de protection ne participent-elle pas directement au renforcement de la QVT ? À la question « comment évaluer rigoureusement la QVT ? », la réponse semble donc plutôt méthodologique et une approche diagnostique de santé publique permettrait d’identifier les environnements et/ou comportements bénéfiques pour la santé psychologique en entreprise et de les promouvoir. Finalement, la QVT ne serait- elle pas la simple expression des mesures de prévention axées sur la réduction des facteurs de risque et la promotion des facteurs de protection ? En outre, si l’on rappelle que nous en sommes aux premières étapes d’un cycle de santé publique qui en compte 5, agir au niveau 4 et 5 ne serait-ce qu’à partir des évaluations stress & RPS, c’est également agir efficacement et concrètement en termes d’amélioration des conditions de travail et donc de promotion de la QVT.

Il est précoce et inconscient de vouloir aujourd’hui construire un outil exhaustif pour évaluer la qualité de vie au travail. Dans le domaine psychosocial, de nombreux outils de mesure existent et ont pour la plupart déjà fait l’objet de validations scientifiques et d’acceptations auprès des différents acteurs du domaine. Mesurer la QVT aujourd’hui, ce n’est pas construire une nouvelle liste « à la Prévert » des facteurs qui seraient susceptibles d’affecter positivement même le plus petit nombre d’entre nous. Mesurer la QVT aujourd’hui, c’est replacer l’ensemble de nos outils psychométriques dans une approche méthodologique « à la Winslow ».

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merci Denis Garnier pour cette remarque, il fallait bien évidemment lire "la non QVT est d'abord un ensemble de tensions organisationnelles dégradant la performance collective" un "non" m'a échappé, le texte était me semble t'il clair à l'exception de cet oubli