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19 / 11 / 2012 | 4 vues
Rémi Aufrere-Privel / Membre
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Libéralisation ferroviaire : la Commission dévoile ses priorités...

La Commission européenne devrait diffuser en décembre prochain la majeure partie de son projet de IVème paquet ferroviaire destiné à libéraliser l'ensemble du trafic ferroviaire en Europe.

La réunion du groupe de réflexion constitué par le vice-président de la Commission Siim Kallas « Rail Strategy Platform » le 15 octobre 2012 a permis de prendre la mesure des futures propositions dans le projet de IVème paquet ferroviaire qui sera présenté au mois de décembre 2012.

L’ouverture des discussions, rassemblant une quinzaine de responsables et experts de haut niveau (dont le président de la DB, le président d’Infrabel, ainsi qu’un unique représentant syndical cheminot européen issu de la CFDT), a commencé par la connaissance des résultats de l’Eurobaromètre spécial 388, commandé par la Direction Générale Transports de la Commission (DG MOVE).

  • 25 États membres ont été concernés (l'UE sauf Chypre et Malte qui sont dépourvus de transports ferroviaires) et près de 1 000 entretiens auraient été menés dans chaque pays par un cabinet anglo-saxon.

Les résultats sont contrastés et exploités pour l’objectif de la libéralisation porté par la Commission.

Les répondants sont satisfaits du système ferroviaire dans leur pays. Comme tout consommateur lambda, ils souhaitent essentiellement des prix plus bas, un réseau plus étendu (plus de gares et de lignes), une plus grande vitesse et des services intermodaux avec des trains confortables et propres.

  • Sur l’ouverture à la concurrence, ils seraient plus de 7 sur 10 à soutenir l’ouverture du système ferroviaire national et régional à la concurrence « à condition que tous les opérateurs répondent aux mêmes standards de sécurité ».

Posée ainsi, la question et les réponses favorables ne manquent pas de saveur quand on sait combien la question de sécurité est prégnante dans les cas de libéralisation complète du secteur.

  • Il est aussi intéressant de noter que des pays qui sont dans un cadre assez libéralisé deviennent réticents sur cette question (plus de la moitié en Hollande, 38 % en Suède).
  • Selon l’enquête, l’influence positive de la libéralisation apparaît sur le prix des billets et la qualité des services mais cela devient plus discutable concernant la sécurité et le nombre de gares desservies.

Enfin, le rapport entre les accidents graves et la libéralisation du secteur est encore plus contrasté. Il prouve qu’il y a moins de risques dans les pays qui ont investi massivement en fonds publics, quel que soit le degré d’ouverture.

Cet enseignement était aussi très éclairant lors de l’analyse de l’ouverture du fret ferroviaire par une étude interne commandé en 2010 par la CER (organisation patronale européenne du ferroviaire). Celle-ci montrait que sans investissements massifs publics et un contrôle public fort du réseau, l’échec du fret ferroviaire pouvait être l’avenir logique du système.

Une Commission fidèle à son dogme et ses contradictions

S’appuyant sur les trois premiers paquets ferroviaires et la révision du premier paquet adopté en juillet, la Commission souligne la basse qualité du service et une mauvaise efficacité opérationnelle, que cela produit un faible niveau de concurrence (et l’absence de pression par celle-ci) et un usage inefficace des fonds publics.

La Commission sombre dans ses contradictions. En effet, pour que l’ouverture à la concurrence et la libéralisation produisent leurs effets, il faut à la fois disposer des textes législatifs et réglementaires européens mais aussi (et surtout) des fonds et investissements publics très importants. Permettre à des acteurs privés de dégager suffisamment de profits avec un très large soutien de la puissance publique.

  • Ce n’est pas un hasard de constater que la moitié des répondants à la question du financement des chemins de fer pensent que la part publique devrait être stable ou augmentée.

À défaut, la solution serait de privatiser progressivement les infrastructures sous de multiples formes.

L’Allemagne opposée aujourd’hui à la privatisation de la DB

L’actualité économique récente n’est plus favorable à l’ouverture du capital des groupes publics. La crise est passée par là.

Fin octobre 2012, le congrès du syndicat des cheminots allemands EVG a permis d’affirmer par la voix de son dirigeant Alexander Kirchner de « se féliciter que l’on ne parle plus de mettre en bourse la DB », le ministre des transports allemand, Peter Ramsauer, proclamant devant les syndicalistes que tant qu’il serait en poste, cela ne se ferait pas.

Une Commission qui ne change rien…

« La libéralisation est comme un train lancé à grande vitesse sans conducteur et sans possibilité de réduire vitesse et destination. » Trois paquets ferroviaires et une « refonte du premier paquet » passés, la Commission poursuit son action s’appuyant sur le principe essentiel de la « concurrence libre et non faussée » inscrit dans les traités européens comme moyen et but pour la croissance économique du continent.

Le syndicaliste participant à la réunion d’experts « Rail Strategy Platform » ne s’y est pas trompé en illustrant ainsi son propos : « la libéralisation est comme un train lancé à grande vitesse sans conducteur et sans possibilité de réduire vitesse et destination ».

Car il existe une insincérité persistante, celle qui est portée par le refus d’effectuer un vrai retour d’expérience sur les différents paquets ferroviaires pour comprendre les nombreux échecs et rares progressions.

Quels objectifs de la Commission européenne ?

« Améliorer la compétitivité du rail et développer l’espace ferroviaire unique » sont le crédo.

Le IVème paquet ferroviaire a comme objectifs spécifiques :

  • d’ouvrir le transport ferroviaire de voyageurs domestique (national et local),
  • d’améliorer le rendement-coût des services,
  • créer les conditions identiques pour tous les opérateurs.

Quelles options ?

La Commission veut généraliser un accès ouvert (« open access ») avec toutefois la possibilité de limiter l’accès lorsque « l’équilibre économique » du service public contractuel est compromis (par amendement de la directive de refonte du premier paquet ferroviaire, adoptée en juillet 2012).

Cette option de limitation d’accès semble marqué du sceau du bon sens mais est remis en cause par une autre option préférentielle qui est un vrai recul : la soumission obligatoire des marchés de service public à la procédure d’appel d’offres. Il s’agit tout simplement de la remise en cause d’une disposition majeure du règlement d'obligations de service public qui permet aux autorités publiques de faire son « libre choix » sans passer par un appel d’offre contraignant et coûteux.

Cette proposition de la Commission modifierait le règlement 1370/2007 par des changements portant sur la sélection des marchés de service public à définir selon les principes généraux du traité européen, la définition de seuil pour le volume du contrat, l’établissement de seuils minimaux pour attribution de bonus, l’établissement de phasages lors des procédures d’appels d’offre pour les contrats existants.

L’effet réseau : vers un coma annoncé…

Autre sujet longuement abordé par les syndicats est la conservation de l’effet réseau.

La Commission propose « d’encourager les États membres, les autorités compétentes, les entreprises ferroviaires à mettre en place au niveau national des procédures de ventes et mettre en place des conditions de non-discrimination pour l’usage des installations « essentielles » (stations de carburants, gares, ateliers…) ».

Toujours dans le « cadre préférentiel » défini par la Commission, celle-ci veut obliger les États membres à prendre les mesures pour assurer l’accès non discriminatoire aux matériels roulants, selon les conditions du marché, pour les entreprises fournissant des services dans le cadre du marché de service public.

A contrario, la Commission se contente de vouloir « encourager les États membres, les autorités compétentes à user des dispositions existantes lors de transfert du personnel considéré comme nécessaire ».

Il s’agit d’un sujet de négociation et de conflictualité essentiel pour l’ensemble des organisations syndicales cheminotes adhérentes à la Fédération européenne des transports (ETF).

Quid du gestionnaire d’infrastructure idéal ?

Depuis l’ouverture de ce débat, il y a quelques années, les syndicats cheminots français CFDT et CGT ont toujours défendu le principe de gestionnaire d’infrastructure intégré au groupe ferroviaire public SNCF.

Plus qu’une défense naturelle des droits des cheminots, c’est surtout l’observation attentive de l’histoire ferroviaire récente qui a renforcé cette détermination syndicale. Nombreux sont les pays qui ont tenté l’expérience funeste de la séparation (voire de la privatisation) tant de l’exploitation que de l’infrastructure. La Nouvelle-Zélande, l’Estonie et la Grande-Bretagne sont des exemples différents d’un retour progressif à un plus grand contrôle de l’État sur le réseau ferroviaire. Les politiques libérales ont toutes échouées.

Une situation française contrastée : alliance et divergences…

Même s’il semble y avoir une alliance de raison entre l’actuel président de la SNCF et les syndicats cheminots sur un contrôle public fort opéré par l’entreprise publique sur l’infrastructure, toutes leurs motivations respectives ne sont pas identiques, ni égales.

Pour la direction de la SNCF, il s’agit de conserver un avantage comparatif lié à son histoire, son expérience et sa volonté de ne pas se voir dépossédé de son patrimoine intellectuel, technique et économique sur le réseau ferré.

À l’occasion, les hauts dirigeants du groupe SNCF n’hésitent pas à utiliser certaines filiales du groupe (près de 900 filiales) par des méthodes clairement empreintes de la logique du dumping social pour favoriser une plus grande flexibilité pour sa règlementation du travail interne à l’EPIC (le référentiel « RH 077 »). La récente longue négociation de la convention collective du fret ferroviaire n’en est qu’un éclatant exemple.

Les syndicats cheminots considèrent généralement que la raison juridique des structures permet de justifier les actuelles dispositions qui règlementent l’organisation du travail mais aussi les éléments essentiels du statut avec le système de protection sociale (assurance maladie, retraite, action sociale…).

À l’avenir, la dynamique du dialogue social pourrait être portée par la négociation d’une convention collective nationale de branche (pour toutes les entreprises ferroviaires), avec un accord d’entreprise de l’EPIC SNCF reprenant les dispositions actuelles. Ce dernier point n’est pas vraiment partagé par la direction de la SNCF, qui entend obtenir une plus grande flexibilité d’utilisation du personnel et la prise en charge de la cotisation supplémentaire « T2 » pour la retraite des cheminots (compensation supportée par la SNCF pour des avantages complémentaires).

La problématique du gestionnaire d’infrastructure

La Commission a identifié des problèmes dans la gouvernance des gestionnaires d’infrastructure et un défi majeur d’efficacité.

Selon la technocratie bruxelloise, les constats sur l’efficacité sont ceux-ci :

  • l’infrastructure ferroviaire est un monopole naturel ;
  • la gouvernance actuelle ne fournit pas des garanties suffisantes pour les besoins ;
  • pas de motivation pour une coopération européenne et intermodale ;
  • la législation actuelle de l’UE préconisant une répartition des fonctions ne permet pas au gérant d’infrastructure d’accomplir ses missions telles que l’attribution des sillons pour la maintenance, le développement et les imputations budgétaires.

Sur l’égalité d’accès, la Commission considère que :

  • les exigences actuelles de séparation n’empêchent pas les conflits d’intérêts ;
  • il demeure des discriminations de fonctions non définies (fonctions essentielles) ;
  • il existe des avantages compétitifs découlant de l’information « asymétrique » ;
  • il demeure un risque de subdivisions croisées sans transparence financière complète.

La Commission précise sans ambages que « s’il est correctement conçu, il n’y a aucune preuve que le modèle de structure séparé ne soit plus cher que le modèle intégré ».

Sur cet avis, l’honnêteté intellectuelle voudrait aussi que l’on indique que le contraire peut être efficace (gestionnaire unifié public) tant les dysfonctionnements quotidiens ont été visibles et concrets depuis une décennie dans toutes les entreprises publiques ferroviaires en Europe (la SNCF avec sa gestion par activité n’étant pas en reste !).

Quels sont les objectifs de la Commission (gestionnaire d’infrastructure) ?

Au titre de l’efficacité, elle propose « d’encourager la coopération appropriée entre G.I. et transporteurs, mais sur une base équitable » et « d’assurer que le G.I. dispose de toutes les fonctions nécessaires afin d’exploiter de manière optimisée et non-discriminatoire les infrastructures ».

Pour l’égalité d’accès, la Commission veut « définir le degré minimum approprié de séparation de gestionnaire d’infrastructure des opérateurs ferroviaires » et « s’assurer que toutes les activités de gestionnaire qui pourraient être des sources potentielles de conflits d’intérêts soient soumises aux exigences de la stricte séparation ».

Quelles sont les options de la Commission ?

  • Création de règles communes pour une gouvernance structurée des G.I. (traitement égalitaire de toutes les entreprises ferroviaires, implication des autorités publiques et de tous les utilisateurs, établissement d’un organe de coordination avec transporteur, clients, utilisateurs et autorités publiques…).
  • Promotion de la coopération entre les G.I.
  • Mettre en place des critères économiques de mesure de la motivation et des critères de performance.

Concernant les « fonctions » des G.I., la Commission liste celles-ci :

- développement d’infrastructures (planification, financement, et bâtiments),

- utilisation et commercialisation des infrastructures (détermination et collecte des péages, relations avec les clients),

- opérations d’infrastructure (attribution de sillons, prévision, gestion de trafic, contrôle des commandes et signalisation et services d’informations du trafic),

- entretien d’infrastructure (mise à niveau, rénovation, gestion de patrimoine).

Quel avenir pour l’Agence Ferroviaire Européenne (E.R.A.) ?

À la demande de la Commission, l’ERA a procédé en 2011 à une étude menée par un consultant externe et consulté les parties prenantes du système ferroviaire.

L’objectif général est « d’éliminer les barrières administratives et techniques existantes en développant plus loin l’espace ferroviaire unique européen et ainsi contribuer à accroître la compétitivité du secteur ferroviaire vis-à-vis d’autres modes de transport ».

Les « objectifs spécifiques » de l’ERA et la Commission sont éclairants. Il s’agit de « faciliter l’entrée de nouveaux opérateurs dans le marché » et de « réduire les coûts administratifs des entreprises de transports ferroviaires ».

Si le second objectif est synonyme d’efficacité, le premier pose la question des missions de l’ERA.

L’ERA ne doit absolument pas être un outil de libéralisation du secteur mais se concentrer sur les évolutions techniques permettant l’interopérabilité et d’assurer le plus haut niveau de sécurité du système ferroviaire en Europe.

La volonté dogmatique de la Commission de développer à tout prix l’ouverture à la concurrence par de nouveaux opérateurs est en contradiction avec l’impératif historique et culturel des cheminots pour la sécurité ferroviaire qui s’est construite par les nombreux retours d’expériences et un cadre d’organisation du travail le permettant.

Dès lors, lorsque l’ERA indique que parmi les problèmes principaux du système, il y a celui de la discrimination contre de nouveaux entrants, les syndicats ne peuvent être qu’en opposition à cette vision.

L’ERA dénonce avec « des procédures longues et coûteuses, un fonctionnement inefficace et un patchwork de régimes des régulateurs et des règles différentes » et cite le prix d’un certificat de sécurité pour un type de véhicule (entre 0 et 70 000 euros, et pour un véhicule supplémentaire entre 900 000 et 2 millions d’euros).

L’agence souligne aussi que « des agences de sécurité ferroviaire nationale sont même à court de personnel » et que dans quelques autorités nationales, « une grande partie du personnel (comme pour l’EPSF française) est détachée d’opérateurs ferroviaires, d’où un risque accru de discrimination ».

Plusieurs options ont été évaluées par l’ERA et la Commission en termes de coûts et avantages notamment en posant les questions sur :

  • le rôle accru de l’ERA en matière des certifications de sécurité,
  • la « migration vers l’autorisation de circulation de véhicule (wagon isolé) et l’instauration d’un passeport européen pour les véhicules,
  • le contrôle renforcé de l’ERA sur le fonctionnement des agences nationales de sécurité ferroviaire et des agences de certifications qualité (AFNOR, CertiFer, AFAQ…).

Parmi les options, l’option 4 (préférée) préconise que l’ERA et les autorités nationales de sécurité ferroviaire se répartissent les compétences identifiées de la manière la plus avantageuse. Dans cette option, la décision finale est prise par l’ERA en concertation avec les autorités nationales de sécurité.

Il s’agit là d’un nouveau contrôle qui doit être précisé dans son contenu.

Un projet de IVème paquet à discuter et à combattre…

Les propositions générales de la Commission européenne ne permettent pas de réorienter une politique européenne ferroviaire toujours obsédée par la « concurrence libre et non faussée », hydre dangereuse car moyen et objectif non dépassables par la technocratie bruxelloise, soutenus par des gouvernements aux budgets en fort déficit et des parlementaires européens toujours suivis par le mensonge « libéralisation = prix en baisse = plus de services = plus d’efficacité ».

Si l’on peut se féliciter des propositions favorisant l’interopérabilité et des investissements dans la recherche et le développement de nouvelles techniques pour un meilleur niveau de sécurité, force est de constater que la remise en cause du règlement d'obligations de service public et l’absence complète de prise en compte de la sécurité du personnel, des conditions sociales et de l’effet réseau, est de mauvais augure pour le chemin de fer en Europe.

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