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03 / 08 / 2012 | 2 vues
Rémi Aufrere-Privel / Membre
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La bataille du rail (2) : la « refonte » du premier paquet ferroviaire est passée

C’est sur le ton d’une réclame pour lessive des années 1960 que s’est déployée la communication sur le passage de la révision du premier paquet ferroviaire européen (cf article « La bataille du rail 1 : un projet européen qui fait fondre… »).

Non seulement « les opérateurs historiques et les nouveaux concurrents sont sur un pied d’égalité » mais c’est aussi « la modernisation des trains et le développement du réseau ».  Les libéraux européens en rêvaient, la Commission, le Conseil et le Parlement européens l’ont fait.

Derrière cette autosatisfaction fort habituelle au siège de la Commission, rappelons sa chronologie et tentons d’examiner les principaux éléments de ce texte.

Cette proposition initiale de la Commission européenne date de septembre 2010. Le Parlement européen a arrêté sa position en première lecture le 16 novembre 2011, le Conseil adoptant sa position le 8 mars 2012. Un texte de compromis ayant été formulé par les États le 19 juin 2012, le Parlement a définitivement adopté le sujet le 3 juillet 2012.

Cette « refonte » regroupe les trois directives du premier paquet ferroviaire qui concernent le développement des chemins de fer européens, les licences des entreprises ferroviaires et la gestion de l’infrastructure (DIR. 2001/12/CE, 2011/13/CE et 2001/14/CE) qui a ouvert le secteur à la concurrence au niveau européen. Tout cela sous le signe de la « performance »…

 
Sur la majeure partie de la négociation depuis septembre 2010, seuls l’Autriche et le Luxembourg se sont opposés à certaines parties du texte. Au final, le Luxembourg n’a pas donné son accord le 19 juin 2012.

 
Les motivations des Autrichiens et Luxembourgeois ont été géographiquement logiques. Pays de transit par excellence, à la superficie relativement modeste, ils ont exprimé les dangers d’une libéralisation qui devrait conduire à la division des entreprises historiques provoquant dans le cas du Grand Duché des difficultés très importantes que la gestion quotidienne du réseau et des surcoûts plus importants que pour des pays plus denses et plus grands.

La rapporteuse Debora Serracchiani, benjamine du groupe S&D (« Socialistes et Démocrates ») au Parlement européen (de tendance sociale-libérale) n’a pas hésité à indiquer le résultat à l’issue de « deux ans de négociations difficiles pour garantir une meilleure concurrence et jeter les bases solides d’un financement des infrastructures ».

Le Commissaire européen Siim Kallas s’est empressé de saluer le vote du Parlement européen, y voyant « une avancée tout à fait considérable ».
 
Différents acteurs comme des entreprises privées et publiques ferroviaires, des financiers, des élus ainsi que les organisations syndicales sont intervenus tout au long de la procédure pour faire valoir leurs points de vue comme à l’habitude pour l’élaboration de textes européens. De forts antagonismes se sont exprimés.

Quels sont les éléments majeurs de cette « refonte » ?

  • Accélération de la concurrence par une plus grande transparence pour l’accès au réseau et l’amélioration de l’accès aux services tels que les gares, les terminaux et installations d’entretien (stations essence etc.). Cela suppose aussi que le propriétaire de ces installations dispose de comptes séparés et d’une indépendance organisationnelle et décisionnelle (sans l’obligation d’une structure juridique distincte).

  • L’indépendance des organismes de contrôle nationaux et leurs pouvoirs d’imposer sanctions et audits (ARAF en France). Sans omettre la coopération sur les questions transfrontalières.

  • Planification des investissements à plus long terme, offrant une plus grande sécurité aux investisseurs.

On notera que le compromis entre les États a porté pour l’essentiel sur l’indépendance des organismes de contrôle, les redevances différenciées pour l’utilisation des corridors ferroviaires pour favoriser le système européen de contrôle des trains (ETCS) et la date de transposition en droit national fixé à 30 mois après l’entrée en vigueur de ce texte (ce qui porterait la date limite à décembre 2014/janvier 2015).

  • C’est évidemment un accélérateur de libéralisation du secteur, même si elle est habillée par la vertu de la transparence en ce qui concerne l’indépendance des organismes de contrôle et l’utilisation des fonds publics. Il existe une volonté farouche de procéder à un démantèlement progressif des entreprises publiques historiques, notamment à travers les installations de services et à l’utilisation de financement public.

Bien entendu, il est logique de contrôler le financement public mais la concurrence n’est plus équilibrée lorsque l’actionnaire public est soumis à plus de contraintes que l’investisseur privé. Les aventuriers de la finance pourront donc se concentrer sur les segments les plus rentables. Ainsi les partenariats publics privés sont encouragés avec ce texte.


La séparation est programmée avec la déclaration de la Commission qui indique qu’elle proposera d’ici décembre 2012 « une législation ouvrant la voie à la libéralisation du transport de passagers sur les réseaux intérieurs ».

Quels seraient les points acceptables par toutes les parties ?


Sans doute l’idée que les contrats pour le financement par les autorités publiques aient une durée minimale de 5 ans, ce qui est encore fort peu pour le système ferroviaire. Et que le régulateur doit avoir des possibilités de sanctionner les opérateurs ferroviaires peu scrupuleux.

La question de la séparation complète entre réseau et services a été écartée. Mais elle reviendra dans la proposition de la Commission en fin d’année 2012.

  • À noter une victoire des syndicats et non des moindres : celle de la disparition de la notion de « service minimum », qui aurait comporté une restriction de l’utilisation du droit de grève par les cheminots. Selon les dispositions européennes actuelles (et notamment les traités), ce sujet social est du ressort de chaque État)

Cette question essentielle et celle du dumping social entre salariés du ferroviaire vont bientôt être remises sur la table des discussions. Les salariés des entreprises publiques ferroviaires pourront voir remises en cause leurs organisations du travail et leurs conditions contractuelles.

La Députée européenne italienne Debora Serrcchiani a déjà une réponse à cette question. Son opinion semble partagée par certains dirigeants politiques et patronaux hexagonaux. Elle a déclaré : « Ce ne sont pas les statuts de la SNCF qui devraient être transférés aux concurrents, mais ceux des concurrents qui devraient s’appliquer à la SNCF… ».

Les syndicats exigent toujours un retour d’expérience portant sur les trois paquets ferroviaires qui ont libéralisés le secteur. Quoi de plus logique avant de poursuivre sur une évolution pour le moins contrastée, voire négative ?

Force est de constater que le résultat est très différent selon les pays et que ce n’est pas la libéralisation qui a stimulé la croissance (ou la forte baisse) du trafic.

On sait toutefois ce qui a freiné et fait baisser le développement du ferroviaire et qui pourrait réduire la superficie du réseau européen : manque d’investissement public dans l’infrastructure, tarifs des péages, désorganisation par multiplication des organismes et sociétés, sans oublier la formidable perte du sens du travail, très mal vécue par les salariés du ferroviaire.

Mais cela n’est pas dans la « refonte » du premier paquet ferroviaire…
Une difficulté pour conjuguer le dogme de la « concurrence libre et non faussée », le système ferroviaire et le progrès social sans doute !
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