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15 / 05 / 2012 | 360 vues
Jean-Marc Quattrochi / Membre
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Loi Diard : une communication anti-grève à la sauce Air France

Publiée au Journal Officiel du 20 mars, la loi encadrant le droit de grève dans les transports aériens est entrée en vigueur le 21 mars 2012. Air France vient de publier une information sur sa propre interprétation des modalités d’application de la loi Diard. Une note spécifique pour chaque population a été mise en ligne et un courrier du directeur général adjoint aux ressources humaines et à la politique sociale nous a été adressé.

La compagnie n’était pas totalement étrangère à l’émergence de cette proposition de loi votée en urgence dans les tout derniers jours de la dernière session parlementaire avant les échéances électorales que nous connaissons.

Nous avons combattu cette loi en appelant l’ensemble des navigants de toutes les compagnies à cesser le travail, avec le peu de succès que l’on sait. Sans doute la majorité du PNC n’avait-elle pas entendu nos arguments. Sans doute la situation économique dans le transport aérien en général et à Air France en particulier a-t-elle réduit l’implication de notre population. Avec l’éclairage donné par les dernières publications de la compagnie qui donnent une interprétation singulière à cette loi, les objectifs que poursuivait Air France en soutenant cette loi deviennent évidents.

De fait, cette loi introduit des modifications de différentes natures au recours à cet outil ultime de la négociation.

  1. Le nouvel article L.1114-2 du code des transports invite les entreprises du secteur du transport aérien de passagers à la conclusion d’accords-cadres de prévention des conflits.
  2. L’introduction d’un préavis individuel de 48 heures avant toute participation à une grève. L’obligation de déclaration pèse sur tout salarié dont l’absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols.
  3. L’introduction d’un préavis de 24 heures pour déclarer son intention de renoncer à faire grève ou de reprendre le travail.
  4. L’introduction de sanctions disciplinaires pour les salariés qui n’auraient pas satisfait aux nouvelles obligations de préavis individuel.
  5. La possibilité de recours à un médiateur choisi d’un commun accord.
  6. La possibilité à l’initiative de l’entreprise ou d’une organisation syndicale représentative, voire du médiateur, d’organiser une consultation ouverte aux salariés concernés par les motifs de la grève et portant sur la poursuite de celle-ci.

Certaines de ces modifications n’ont d’autre vocation que d’habiller un texte qui, selon nous, n’a pas d’autre objectif que de restreindre le droit de grève des navigants.

  • Les points 1 et 5 ne servent d’évidence que de garniture pour les points qui les suivent.


Le point 1 n’est qu’une invitation à la négociation d’un accord de prévention des conflits (on pourrait dire de veille sociale) qui, dans les faits, existe déjà dans la plupart des entreprises du secteur et notamment à Air France. D’expérience, on sait quelle est la piètre valeur que les deux parties, employeurs comme syndicats, accordent à de tels accords... On se souvient que l’UNAC a été le seul syndicat à respecter sa signature d’un tel accord en 2007.

Le point 5 est une procédure de médiation déjà prévue notamment par l’article L. 2523-1 du Code du travail. Ici, il habille le point 6 qui, par l’introduction d’une possibilité de consultation purement consultative, introduit un outil de pression et de propagande au service de l’entreprise.

Le corps du texte, son essence, réside dans les points 2, 3 et 4 qui sont pour les initiateurs de la loi, des points « d’encadrement » du droit de grève et pour nous, les éléments qui apportent une restriction à notre droit de grève. Au-delà de la lecture directe de ces points, de nouvelles obligations sont induites. En contraignant les moyens de lutte des syndicats, cette loi diminue la capacité des salariés à utiliser le conflit social comme arme de négociation, ce qui restreint de façon importante le pouvoir de négociation des syndicats.

  • La déclaration individuelle à 48 heures nécessite de la part des syndicats appelant à un conflit une information publique largement supérieure à 48 heures. Ce qui, implicitement, rend nécessaire (si ce n’est obligatoire) un « préavis » collectif de fait, dans des entreprises de droit privé déconnectées d’un service public. Cette obligation constitue une « évolution » inédite du droit du travail, dont les conséquences à terme sont vecteur de remises en causes plus inquiétantes encore.

Ce préavis ampute la nécessaire capacité de réaction des organisations syndicales. Ce qui, dans un contexte aussi difficile que celui que nous traversons, peut s’avérer être un handicap certain.

  • Outre le fait que cette anticipation des entreprises sur la mobilisation des salariés permettrait l’information des passagers (le prétexte de cette loi), elle permettra assurément à l’entreprise de différer la négociation pour connaître le niveau de mobilisation des salariés et ensuite de caler ses propositions au plus bas.


Pour ceux qui douteraient encore de l’objectif de ce texte, précisons que les entreprises n’ont pas d’obligation de résultat dans l’information des passagers.

Les obligations, c’est pour le salarié. La loi ne manque d’ailleurs pas de lui rappeler qu’il encourt des sanctions disciplinaires. C’est bien principalement cette partie du texte qui est mise en exergue dans la communication anti-grève d’Air France.

Libertés d’interprétation


Dans un mémo très orienté, Air France prend quelques libertés d’interprétation de la loi. Elle précise les obligations et met l’accent sur les sanctions.

Pour les obligations, elle précise un peu trop. Quitte à sortir du cadre de la loi, Air France introduit un préavis pour les activités au sol qui ne correspondent pas à l’objet de la loi. Elle définit une procédure de déclaration et un moyen de contact restrictif quand la loi l’autorise seulement à désigner la personne à prévenir dans l’entreprise… La procédure imposée par la compagnie génèrerait pour certains salariés, dans certains cas, des impossibilités d’exercer son droit de grève.

  • D’autre part, la compagnie profite de cette communication pour nous livrer son interprétation du décompte des jours de grève, des possibilités de grève en escale en oubliant de mentionner le fait que certaines escales sont également des bases d’affectation de l’entreprise dans lesquelles la grève n’est pas interdite etc. Bref, beaucoup de choses fausses, inventées, non décrites par la loi, et qui, au minimum, nécessiteront des négociations, certaines devant même être tranchées par les tribunaux.


Lors de la dernière campagne électorale, de nombreuses voix se sont élevées contre cette loi et certains ont même parlé de l’abroger.

Un outil de négociation, même dégradé, reste un outil indispensable dont nous devrons apprendre à optimiser l’efficacité. Si cette loi n’est pas modifiée dans les prochains mois, nous devrons repenser l’organisation des conflits, leurs séquencements, leurs durées…

Nous devrons également être très fermes dans l’utilisation de cette loi. Nous n’oublierons pas que si elle introduit des sanctions disciplinaires pour les salariés, elle introduit également des sanctions pénales (1 an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende) pour la personne qui utiliserait les déclarations individuelles à d’autres fins que d’organisation de l’activité et du service pendant la durée de la grève.

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