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18 / 02 / 2011 | 3 vues
Laurent Capella / Membre
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Appel à la clarté et au pragmatisme dans la conception des accords d'entreprise

Seul garant de l’emploi sur le long terme, le dynamisme des entreprises et des salariés passe par une modification profonde des pratiques sociales en France. Dans la première partie de ce sujet, nous avons rappelé le problème global qui est la complexité du droit travail français et du dialogue social en découlant (voir l'article « Simplifier le droit du travail pour redonner du dynamisme à nos entreprises et à leurs salariés »). Avant de détailler dans la troisième et dernière partie l'exemple du groupe ST-Ericsson et STMicroelectronics, nous allons examiner la problématique posée par la complexité, le manque d'harmonisation et le trop grand nombre de thématiques des accords d'entreprise.

  • Ainsi, même si une simplification du droit du travail paraît nécessaire, il faut surtout imposer plus de pragmatisme et de professionnalisme dans la rédaction des accords d’entreprise, qui trop souvent se transforment en « usines à gaz », mêlant des sujets sans rapports et liant inutilement des accords entre eux.

La responsabilité du manque de clarté et de pragmatisme des accords négociés dans les grands groupes français incombe aussi bien aux responsables du dialogue social qu’aux syndicalistes qui négocient et signent ces accords sous les contrôles supposés de leurs directions respectives. Hélas, ces contrôles sont le plus souvent quasi inexistant, à part les contrôles purement financiers en ce qui concerne les directions d'entreprise.

Deuxième partie > Nécessité de clarté, de pragmatisme, de structure et de méthode dans la conception des accords d'entreprise

En renvoyant de plus en plus la négociation des statuts sociaux au niveau de l'entreprise, au lieu de dynamiser son tissu industriel, l'État français est en train de compliquer les opérations de réorganisation structurelle dont les entreprises ont besoin dans des marchés qui évoluent toujours plus vite.

Ces nombreuses nouvelles « obligations de négocier » ne sont en fait pas forcément des avancées sociales dans la mesure où elles servent souvent aux entreprises pour se dédouaner de leurs responsabilités sociétales et que cela rajoute au manque d'harmonisation.

L'intention de l'État est certainement, d'une part de se débarrasser de problèmes complexes et délicats au niveau national et interprofessionnel, et d'autre part de calmer et occuper les syndicats qui ont ainsi l'impression d'avoir plus de pouvoir.

Une solution plus élégante aurait été d'organiser cela au niveau des branches et des secteurs professionnels tout en imposant un cadre défini, contrôlé et unifié à ces négociations. Il faudrait pour cela leur donner une obligation de résultat dans le temps et veiller à instaurer une interactivité permanente entre les branches et les entreprises qui la composent, sans forcément privilégier les grands groupes.

  • On en revient toujours aux deux thématiques importantes que sont la représentativité et la démocratie sociale mais dans tous les domaines et à tous les niveaux.

Absence de cadre

En l'absence de cadre suffisamment imposé, clair et pragmatique, c'est donc les dirigeants d'entreprises et de syndicats qui devraient imposer à leurs négociateurs certaines règles en termes d'efficacité des négociations, de clarté et de pragmatisme des accords résultants de ces négociations.

  • De la très petite entreprise française au grand groupe international, les entreprises du XXIème siècle ont en permanence besoin de se réorganiser entre elles par fusions, reventes ou acquisitions d'activités. Ces opérations sont déjà souvent assez complexes aux niveaux juridique, économique et social. Or, ces entreprises se retrouvent souvent à gérer aussi la fusion de statuts sociaux de conceptions et de philosophies complètement antagonistes lors d'opérations de fusion d'activités et de métiers qui, eux, sont souvent identiques.

Une telle complexité, souvent génératrice de beaucoup de frustrations supplémentaires au niveau des salariés est-elle vraiment utile alors que ceux-ci doivent s'adapter à un nouvel environnement et à une nouvelle culture d'entreprise, souvent source de conflits et d'incompréhensions ?

Des accords incompréhensibles

La première difficulté dans les accords négociés est justement qu'ils sont souvent incompréhensibles pour le simple salarié auquel ces accords s'appliquent et alors qu'il est le premier concerné.

Ceci est en partie dû à la complexité du cadre général mentionné dans la première partie de cet article. Pour palier à ce problème, beaucoup d'entreprises choisissent de rappeler les textes de lois, décrets et directives, soit en les référençant, soit en les rappelant directement dans le texte de l'accord.

C'est rarement bien fait, beaucoup de références manquantes et beaucoup trop souvent la reprise des textes directement dans les accords, les rendant partiellement caduques lors de l'évolution des textes et difficiles à faire évoluer du fait de l'entrelacement entre dispositions légales et dispositions conventionnelles. Dans la plupart des cas, les entreprises et les syndicats pourraient utiliser un canevas commun défini au niveau des branches différenciant bien les références, les rappels des textes et les dispositions des accords d'entreprise en découlant.

Une autre mauvaise habitude dans la rédaction des accords est de rappeler le contexte de la négociation par de longs préambules tout à fait inutiles mais qui feront l'objet de longues discussions. C'est une technique bien connue des directions qui est, hélas, largement éprouvée et utilisée mais qui sur le long terme nuit à la lisibilité de ces accords. Un préambule ne devrait rappeler que les informations strictement nécessaire à la compréhension de l'accord (type d'accord, loi cadre, périmètre etc.).

Multiplications des mesures spécifiques

Le premier aspect dans lequel ces négociations souffrent vraiment du manque de contrôle au niveau des directions d'entreprise et de syndicats, c'est l'incroyable multiplications des mesures spécifiques à telle où telle catégorie ou sous-catégorie. On est là au cœur du problème et il faudrait beaucoup plus qu'un article pour expliquer pourquoi la nature de ces négociations et la nature des partenaires sociaux, aboutissent à de tels sac de nœuds.

  • Disons pour simplifier que d'une part cela donne l'impression à chacun d'avoir obtenu ou concédé quelques points, et que d'autre part cela permet souvent à chaque syndicat d'avoir des visées électoralistes plus spécifiques sur telle ou telle sous-catégorie de personnel.

Les accords AORTT sont souvent typiques de ces problématiques, chaque salarié ne s'efforçant alors plus qu'à comprendre uniquement le statut qui s'applique à lui.

  • À noter que de manière théorique, ces accords sont, pour la plupart, illégaux sur le plan des mesures sous-catégorielles. Ils sont discriminants et ils contreviennent aux principes du droit du travail français tel que le fameux « à travail égal, salaire égal ». Mais de manière pratique, les entreprises ne prennent qu'un risque mineur en proposant de tels accords. En effet, avant d'en arriver à sanctionner ces accords il faudrait déjà s'occuper des mesures catégorielles de la plupart des conventions collectives qui, d'après certains analystes en droit du travail, ne respectent pas ces principes.

Le brouillon du mélange des thématiques

Le deuxième aspect problématique pour la gestion de ces accords est le mélange de thématiques très différentes au sein des mêmes accords. Là aussi, c'est un manque de méthode évident.

S'il n'est pas illogique dans la négociation des accords collectifs d'entreprise de prendre du recul et de demander une concession dans un accord contre une concession réciproque dans un autre accord, négocier cela dans un même accord fait très brouillon.

C'est pourtant ce qui se produit en permanence. Par exemple, depuis la promulgation des lois sur les 35 heures, ce mélange des thématiques est volontairement et systématiquement mis en œuvre par les directions qui exercent leur agilité à concevoir des dispositifs pour contraindre les salariés à concéder tout ou partie de leurs RTT contre un avantage spécifique (prime variable, par exemple).

On arrive enfin à la principale source de confusion dans les accords. Après qu'une première version d'accord ait été signée, beaucoup trop souvent ce n'est pas une nouvelle version de cet accord qui est négociée mais une annexe à celui-ci.

Des annexes en forme d'accords

Plutôt que de présenter de manière différentielle les changements apportés à l'accord existant permettant d'en déduire un accord final modifié (tel alinéa est remplacé par... etc.), ces annexes sont souvent organisées comme des accords à part entière, avec leur propre préambule (souvent long et inutile) et leur propre organisation de compilation bout à bout de toutes les mesures supprimées, ajoutées ou modifiées par rapport à la précédente version de l'accord.

Heureusement que certains accords sont à durée limité, on ose à peine imaginer ce que pourraient devenir les accords triennal d'intéressement, qui ont généralement deux annexes successives et qui sont souvent d'une lisibilité très faible pour le salarié, si l'on permettait que ceux-ci est une durée plus longue.

À qui profite la complexité ?

Pour terminer, nous pouvons noter qu'il y a au moins deux énormes avantages au manque d'harmonisation à la complexification des accords tels qu'ils sont souvent négociés en France et notamment dans les grands groupes. Tout d'abord, cela permet à certains membres des directions, spécialisés dans le droit social conventionnel, de réussir à devenir indispensables au vu de leur connaissance de la structure et de l'historique des accords qu'il faut bien maîtriser afin de pouvoir les modifier lorsque nécessaire.

Ensuite et de manière similaire, cela permet à certains syndicalistes de justifier leur utilité et leurs postes de permanents syndicaux du fait de leur grande expertise sur un domaine complètement inutile, car cette expertise ne se situe plus dans l'innovation sociale et dans leur capacité à négocier de nouvelles mesures pour les salariés, mais uniquement dans leur capacité à comprendre l'« usine à gaz » qu'ils ont aidé à construire.

  • Que deviendraient ces membre de directions et ces permanents syndicaux si les accords d'entreprise étaient cohérents au niveau des branches, si les références aux textes étaient claires et limpides, s'ils n'introduisaient pas des tas de sous-catégories de personnel, s'ils étaient aussi simples et pragmatiques que possible, si les salariés pouvaient les comprendre sans décodeurs, s'ils avaient des préambules clairs, concis et utiles, s'ils ne mélangeaient pas des sujets sans rapport, s'ils n'étaient pas tous liés comme un jeu de mikado et que les modifications négociées étaient directement intégrées et structurées dans les accords existant ?

Quant à parler des intérêts de nos entreprises en évolution permanente et de leurs salariés soumis à des changements de plus en plus fréquents et importants, c'est une autre histoire qui est trop éloignée des préocupations de ces négociations ! Nous verrons cependant dans la dernière partie de ce sujet, comment se présente l'harmonisation des statuts sociaux de ST-Ericsson, qui, en France, est le fruit il y a deux ans de la fusion encore inachevée entre NXP Wireless (ex-Philips Wireless) et STMicroelectronics Wireless.

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