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13 / 07 / 2010 | 2 vues
Jean Meyronneinc / Abonné
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Réforme des retraites : des positions et des revendications clairement exprimées

C'est le sens de l'initiative prise par la confédération FO par un courrier argumenté adressé au Ministre du Travail le 8 juillet , pour que les choses soient claires.

À un moment où la communication gouvernementale s'exprime largement en termes de quasi-propagande sur son projet, il est intéressant de remarquer que ce courrier, qui développe clairement les positions et revendications de la confédération, soit mis à contribution dans le débat juste avant le passage des propositions gouvernementales en Conseil des Ministres.

Chacun pourra en juger...

Monsieur le Ministre,

Au nom de la confédération Force Ouvrière, je tenais à vous faire part de nos positions au regard du dossier de la réforme des retraites que vous nous avez adressé et dont le projet de loi a été rendu public.

Force Ouvrière refuse tout recul de l'âge de la retraite et toute nouvelle augmentation de la durée d'assurance et considère que cette réforme est injuste socialement et inefficace financièrement. Initialement prévu en 2012, le dossier retraites est avancé en 2010 compte tenu de la crise de système que nous traversons et de la volonté affichée de réduire les dépenses publiques et sociales. Autrement dit, la priorité gouvernementale est financière, dans le cadre d'une politique de rigueur, non sociale.

Le recul de l'âge légal


Reculer l'âge de la retraite à 62 ans, qui plus est en l'augmentant de 4 mois par an, alors que les durées d'assurance sont comptabilisées en trimestres, ce serait faire travailler encore plus les salariés pour rien : travailler toujours plus pour gagner toujours moins !

En fait, les salariés nés après le 1er juillet 1951 devraient travailler 4 mois de plus qui ne vaudraient que 3 mois d'assurance et ceux nés en 1952, 8 mois de plus qui ne vaudraient que 6 mois.

Pour Force Ouvrière, tout recul de l'âge légal est inacceptable. De plus, comment ne pas s'interroger sur la capacité du marché du travail à concilier recul de l'âge légal et insertion professionnelle des jeunes lorsque 6 salariés sur 10 sont hors emploi au moment du passage à la retraite.

Comment ne pas redouter un transfert vers d'autres dispositifs sociaux, notamment l'assurance chômage ou l'invalidité : souvenons-nous qu'en 1982, avant la retraite à 60 ans, plus de 40 % des salariés étaient inaptes au travail avant l'âge légal de la retraite.

Par ailleurs, toutes les barrières d'âges seraient affectées : le taux plein (hors durée d'assurance) ne serait plus accordé à 65 ans mais à 67 ans. En sera-t-il de même pour le minimum vieillesse ? Les salariés en situation d'extrême précarité (RSA, ASS…) y seraient maintenus deux années de plus ! Parmi les autres effets induits, figure également le cas des personnes ayant racheté des trimestres et qui se trouvent, de fait, doublement pénalisées.

D'autre part, le gouvernement omet sciemment de rappeler que l'espérance de vie en bonne santé est de 63 ans pour les hommes, 64 ans pour les femmes et que tout report de l'âge de la retraite tend à réduire l'espérance de vie globale.

La reconnaissance de la pénibilité


La prise en compte de la pénibilité se ferait par le maintien de la retraite à 60 ans pour les salariés qui, du fait d'une situation d'usure professionnelle constatée (maladie professionnelle ou accident du travail produisant les mêmes effets) ont une incapacité physique supérieure ou égale à 20 %. Incontestablement, cette proposition n'est pas à la hauteur des attentes et des besoins et n'offre pas de réelle possibilité de départ anticipé avant 60 ans pour les salariés usés.

La reconnaissance médicale, à défaut d'un constat « professionnel », renvoie la charge de la preuve au salarié au lieu et place de l'entreprise. C'est inacceptable et ne résout en rien les nombreuses difficultés que rencontrent aujourd'hui les salariés pour se maintenir au travail, faute de postes adaptés.

Nous vous rappelons que Force Ouvrière est demandeur d'un système mutualisé, sur la base d'une cotisation appliquée à toutes les entreprises, gérée paritairement et permettant de réels départs anticipés.

L'emploi des seniors


L'aide à l'embauche des seniors demandeurs d'emploi, sous forme de « prime » égale à 14 % du salaire brut qui serait accordée aux entreprises, présente un risque certain de dumping social au détriment des jeunes demandeurs d'emploi. Elle s'inscrit dans une politique inefficace vis-à-vis de l'emploi, coûteuse et dangereuse d'exonérations de cotisations sociales patronales, dénoncée y compris par la Cour des Comptes.

L'augmentation des recettes


À de maintes reprises, Force Ouvrière a souligné son attachement à la recherche de ressources pérennes permettant de rééquilibrer les finances de nos régimes de retraite, à court et moyen terme.

La confédération Force Ouvrière a d'ailleurs fait des propositions permettant d'équilibrer, rapidement, le régime d'assurance vieillesse et de garantir les droits des salariés. Cela passe par des mesures de recettes supplémentaires et nécessite une réforme fiscale d'ensemble. Il y a de fait un lien entre la politique économique restrictive menée et l'aspect financement du dossier retraites.

Les propositions avancées par le gouvernement ne sont pas à la hauteur des enjeux et ne permettront pas d'envisager sérieusement le retour à l'équilibre financier en 2018. C'est ainsi que les 3,7 milliards d'euros annoncés ne représentent même pas la valeur d'un point de cotisation (4,2 milliards d'euros) et que la contribution des hauts revenus avec son apport limité à 0,4 milliards d'euros est purement symbolique.

Toutes les mesures d'économie envisagées reposent quasi-exclusivement sur les salariés, les revenus du capital étant faiblement sollicités.

Nous rappelons, par exemple, que Force Ouvrière n'est pas opposée à une augmentation de cotisations de sécurité sociale, voire de CSG, sous condition d'un rééquilibrage de l'assiette de cette contribution en direction des revenus du capital.

Les convergences public/privé


Le taux de retenue du secteur public serait aligné sur celui du privé (passage de 7,85 à 10,55 %), en l'étalant sur 10 ans. Cette augmentation du « taux fictif » de cotisation se traduirait par une nouvelle perte de pouvoir d'achat des agents publics, s'ajoutant aux pertes accumulées depuis une décennie. L'augmentation des cotisations réduisant le pouvoir d'achat risque de briser une croissance fragile.

De même, la fermeture du dispositif de départ anticipé sans condition d'âge pour les parents de 3 enfants ayant 15 ans de service, annoncée à compter de 2012, est inacceptable alors que l'on sait qu'en 2004 seules 44 % des femmes avaient validé une carrière complète.

L'application de la même règle d'obtention du « minimum garanti » que dans le secteur privé conduirait ces fonctionnaires à justifier de tous leurs trimestres ou à attendre l'âge d'annulation de la décote pour pouvoir bénéficier du minimum garanti.

Toutes ces mesures, présentées sous couvert d'équité, n'ont qu'un but : rapprocher toujours plus les règles des régimes publics et privés, en vue de les fusionner plus aisément le moment venu et de remettre en cause une conception républicaine de la fonction publique, ce qui serait l'objet d'une réforme dite systématique ou de convergence public/privé. À cet égard, l'article créant un comité de pilotage, tant par sa composition que ses missions, est lourd d'inquiétude.

L'amélioration de la couvertures des jeunes chômeurs


Le nombre de trimestres validés par la solidarité (FSV) lorsqu'une personne est au chômage non indemnisé serait augmenté de 50 % (passage de 4 à 6 trimestres). Si cette mesure va dans le bon sens, encore faut-il que le demandeur d'emploi ait cotisé au préalable au régime général, faute de quoi il n'y aura pas de validation.

Aussi, l'affirmation du gouvernement selon laquelle plus de 6 000 personnes pourraient bénéficier de la mesure laisse perplexe : en 2009, seulement un millier de personnes ont bénéficié de ces 4 trimestres à la CNAV.

Améliorer la retraite des femmes


Pour que le congé maternité ne fasse plus baisser la pension, l'indemnité journalière perçue pendant le congé maternité serait désormais intégrée dans le salaire de référence pour le calcul de la pension. Cette mesure symbolique qui, à l'évidence, ne peut s'appliquer qu'aux grossesses futures, et ne concerne pas la prise en charge des cotisations retraite.

Si la retraite des femmes est notoirement inférieure à celle des hommes, nous avons eu maintes fois l'occasion d'en exprimer les raisons. Ce n'est pas cette mesure ou les sanctions promises aux entreprises qui ne font pas de diagnostic de situation en matière d'inégalités salariales qui y porteront remède.

Les retraites agricoles


Le gouvernement entend faciliter l'obtention par les femmes exploitantes agricoles du bénéfice de la revalorisation du minimum de pension agricole, par un assouplissement des conditions d'accès à ce dispositif. De même, il veut changer les règles du minimum vieillesse pour que les agriculteurs ayant peu cotisé puissent avoir au moins 709 euros de revenus au titre de la retraite pour une personne seule.

Si Force Ouvrière n'entend pas alimenter les polémiques stériles opposant les générations ou les publics de retraités, nous ne pouvons rester muets devant ces mesures. Il est clair que, pour les retraités exploitants agricoles comme pour les autres catégories de la population, Force Ouvrière exige un revenu de remplacement décent. Pour autant, cet engagement solidaire ne doit pas conduire à accroître des dérogations entre citoyens en matière de recouvrement sur succession. Il ne faudrait pas, pour corriger des inégalités, en créer d'autres.

L'équilibre dès 2018


Les déficits accumulés durant cette période seraient intégralement transférés à la caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), qui aurait la propriété des actifs et des ressources du Fonds de réserve pour les retraites. Le FRR resterait le gestionnaire de ces actifs et de ces ressources, pour le compte de la CADES.

La nature du FRR serait ainsi changée. De fonds de réserve, il deviendrait fonds de garantie et pourrait à ce titre être sollicité partiellement ou intégralement autant que de besoin. Il y a bien là détournement d'objet du FRR : on diminue comptablement la dette et l'on peut vider le FRR au détriment des générations futures !

« Le retour à l'équilibre dès 2018 ». Ce genre d'affichage est commun à toutes les « réformes » des retraites qui nous ont été imposées depuis 1993, mais aucune n'est parvenue à assurer l'équilibre et nous doutons fortement que celle-ci y parvienne. On mélange les ressources nouvelles, les économies escomptées, l'hypothétique basculement de l'UNEDIC vers la CNAV mais aussi « l'effort de l'État » qui n'est en fait que la prise en compte, comme « ressource », de la contribution de l'État à l'équilibre du régime de pension des fonctionnaires.

Aussi, en regardant objectivement ce tableau d'équilibre à l'horizon 2020, plus de 50 % des réalisations seraient imputables aux amputations des droits des salariés des secteurs public et privé ; a contrario près de la moitié du déficit n'est pas réellement financée.

Cette situation est inacceptable. Ainsi, par un tour de passe-passe, on assimile 15,6 milliards d'euros par an du budget de l'État, destinés à honorer ses engagements, à un effort sur les retraites ; bref on transforme une dette en recette.

Force Ouvrière porte donc un jugement très sévère sur cet avant-projet de loi qui ferait porter la quasi-totalité des efforts sur les salariés, qu'ils soient des secteurs privé ou public et n'apporterait pas les ressources indispensables à l'équilibre de nos régimes de retraite.

Par ailleurs, la confédération Force Ouvrière considère que la pérennité de notre système de retraite par répartition n'est nullement assurée par le projet de loi. La question des retraites est un choix de société : quelle place et quel financement le gouvernement veut-il lui réserver ? Il est évident qu'en faisant le choix d'un recul du bénéfice de la retraite, les pouvoirs publics entendent imposer une politique de restriction sociale. Cela concerne celles et ceux qu'on appelle les seniors et toutes les jeunes générations, qui n'ont par ailleurs aucune garantie d'avenir.

Force Ouvrière demande donc le retrait de ce projet, néfaste et contraire aux intérêts des salariés.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, mes respectueuses salutations.

Jean-Claude Mailly
Secrétaire général

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