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06 / 05 / 2009 | 6 vues
Samuel Gaillard / Membre
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Avis de tempête sur l'expertise CHSCT : l'occasion de faire le point

Le gouvernement a lancé depuis quelques mois un projet de réforme des conditions d’agrément des experts CHSCT, sous couvert de transposition de la Directive Bolkestein. Ce projet, dans sa dernière mouture, consisterait à substituer l’agrément de l’expert par le Ministère du travail par une accréditation de la COFRAC.

Les syndicats s’y sont unanimement opposés, car sous l’apparence d’un simple changement de forme, c’est en réalité un risque de voir à terme les expertises CHSCT considérablement affaiblies. Il existe pourtant d’autres voies de réforme qui mériteraient d’être approfondies.

Ces différents points seront successivement abordés après un rappel préalable des enjeux actuels liés à l’expertise CHSCT.

Les expertises CHSCT dérangent les employeurs


Ce n’est pas un secret que de dire que les expertises CHSCT soulèvent encore l’ire de nombreux employeurs : elles peuvent sanctionner une mauvaise politique de gestion du personnel, aboutir à de nouvelles préconisations consistant à l’engagement de dépenses à court terme, mettre en valeur une « faute inexcusable » de l’employeur, voir même la responsabilité pénale de certains dirigeants, même si ce n’est pas là leur objet principal. Les bénéfices à long terme pour l’entreprise, par exemple une baisse de l’absentéisme, ne sont que trop rarement pris en compte puisqu’ils sont notamment dilués avec leur prise en charge par la collectivité. Les politiques de réduction des accidents du travail et maladie professionnelle mises en place par certains employeurs peu scrupuleux se réduisent trop souvent à des politiques de pressions sur leurs salariés en vue d’une sous-déclaration des accidents de travail, lorsqu’il ne s’agit pas d’une politique d’externalisation du risque (voir : Rapport de la Commission instituée par l’article L. 176-2 du Code de la Sécurité Sociale, juillet 2008, p. 41 et 42).

  • Depuis le fameux arrêt Snecma du 5 mars 2008 (P. n°06-45888), qui a ouvert aux syndicats la possibilité de s’opposer à une « organisation de nature à compromettre la santé et la sécurité des travailleurs concernés », l’expertise CHSCT est devenue de surcroît un outil redoutable. Car c’est désormais en pratique sur la base des constations et préconisations effectuées par l’expert que se renoue (ou pas) un dialogue social, sanctionné (ou pas) par une action en justice.


Le passage devant les Tribunaux pour faire respecter tout ou partie des préconisations de l’expert présuppose néanmoins un gage de sérieux de l’expertise : c’est le rôle de l’agrément qui est actuellement octroyé par le Ministère du travail, au terme d’une procédure lourde et contraignante, faisant notamment intervenir l’ANACT et l’INRS. Ainsi que l’a résumé l’INRS dans sa note consacrée aux experts CHSCT (disponible sur le site internet de l’INRS), « la procédure d’agrément, très stricte et rigoureuse, est un gage de réussite de l’action légale engagée par les élus du CHSCT. »

C’est cette procédure d’agrément que souhaite remettre en cause le gouvernement, sous couvert de la transposition en droit interne de la Directive Bolkestein, ou, plus exactement, de la Directive 2006/123/CE du Parlement Européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.

La directive Bolkestein a bon dos !

L’excuse classique du droit européen pour faire passer des réformes contestables en droit interne, est une nouvelle fois invoquée. Cela suffit !

Que dit en effet la Directive ?

Son article 1 prévoit tout d’abord très clairement que « la présente directive ne s’applique pas au droit du travail, à savoir les dispositions légales ou contractuelle concernant les conditions d’emploi, les conditions de travail, y compris la santé et la sécurité au travail ». Tel est le cas pour l’expertise CHSCT dont toutes les dispositions, y compris celles relatives à la procédure d’agrément de l’expert, sont régies par le Code du travail. La Directive ne s’applique donc pas aux expertises CHSCT, sauf à considérer que l’exclusion prévue par l’article 1 est purement cosmétique et que tous les débats ayant précédé son adoption  n’étaient que poudre aux yeux.

Cette exclusion est d’ailleurs en parfaite cohérence avec la notion de « service » telle précisée dans le Préambule de la Directive comme recouvrant « une grande variété d’activités en constante évolution » qui sont strictement classifiés en trois grandes catégories : « les services aux entreprises »,  « les services fournis à la fois aux entreprises et aux consommateurs », et « les services fournis à la fois aux entreprises et aux consommateurs ».

Qu’en est-il du « service » de l’expert du CHSCT, et dans quelle catégorie se situe-t-il ?


Tout d’abord, il ne s’agit pas d’un « service aux entreprises ». En effet, et ce point est très important, l’expert CHSCT n’est pas le prestataire de l’entreprise, mais celui du CHSCT. Dans un arrêt du 29 septembre 2004, la Cour d’Appel de REIMS a ainsi parfaitement analysé la position de l’expert du CHSCT vis à vis du Comité et de l’employeur dans les termes suivant : « L’expert [du CHSCT] n’est ni un expert judiciaire, ni l’expert de l’entreprise, mais l’expert du CHSCT auquel il est lié par un contrat à l’égard duquel l’entreprise reste un tiers, même si les frais d’expertise sont à sa charge. »

Il ne s’agit pas non plus d’un « service fournis aux consommateurs ». La Cour de Cassation vient en effet très clairement d’exclure le qualificatif de consommateur pour le Comité d’entreprise, au motif qu’il ne s’agissait pas d’une « personne physique », en le déboutant de sa demande d’annulation d’un contrat de prestation ayant fait l’objet d’une clause de renouvellement tacite qui était fondée sur le droit de la consommation (Cass. soc., 2 avril 2009, P. n° 08-11231). Le même raisonnement est aussi valable pour le CHSCT.
S’il ne s’agit donc ni d’un service à une entreprise, ni d’un service à un consommateur, c’est donc que la prestation de l’expert CHSCT ne relève, là encore, pas de la Directive du 12 décembre 2006.

Et d’ailleurs ! A supposer même que l’on considère que cette Directive soit applicable, il n’en résulterait pas pour autant une obligation de dérégulation la plus totale.

L’expertise CHSCT constitue donc bel et bien une raison impérieuse d’intérêt général En effet, s’agissant des activités de service subordonnées à l’obtention d’une « autorisation de la part des autorités compétentes », ce qui est actuellement le cas pour les experts CHSCT, la Directive prévoit un maintien de cette dérogation au principe de la libre prestation de service dans la mesure notamment où l’activité dont il s’agit est « justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général », parmi lesquelles on retrouve notamment « la protection des travailleurs » et aussi « la protection des destinataires de services ».

Or, le CHSCT « est le premier acteur de la prévention des risques professionnels » (Numéro spécial Liaisons Sociales sur le CHSCT, 30 juin 2006). L’expert participe de ce rôle essentiel dévolu au CHSCT en matière de prévention en lui permettant de bénéficier d’une « analyse indépendante » de celle de l’employeur, c'est-à-dire une information efficace lui permettant de jouer un rôle utile, comme la rappelé la Cour de Cassation dans un arrêt du 11 février 2004 (P. n° 02-10862). L’expertise CHSCT constitue donc bel et bien une raison impérieuse d’intérêt général justifiant le maintien du principe actuel d’autorisation de la part du Ministère du Travail.

Et ce n’est certainement pas l’erzats proposé, c’est-à-dire une certification par un organisme privé, la COFRAC, qui changerait quoi que ce soit : cette procédure de certification n’est prévue que par l’article 26 de la Directive, et encore… uniquement « à titre volontaire ». Si l’on considère que l’intérêt des salariés à bénéficier d’une expertise de qualité en matière de risque et de conditions n’est plus une préoccupation du gouvernement, si l’intervention de l’Etat n’est même plus un « mal nécessaire », alors nul besoin d’imposer une telle certification, qui serait de surcroît imposée et donc en directe violation de la Directive. Celle-ci risquerait rapidement en outre de devenir une véritable barrière à l’entrée pour les experts CHSCT, favorisant les groupes financiers les plus puissants mais pas toujours les mieux intentionnés, sans parler de têtes de pont sectaires.

Au surplus, comme l’a mis en valeur l’article publié sur Miroir Social le 28 avril dernier, il est difficile de voir quel peut être le rapport entre l’activité de certification de la COFRAC et la complexité d’une expertise CHSCT qui soulève souvent des aspects multiples et variés. Il suffit, à titre d’exemple, de se reporter à l’accord interprofessionnel sur le stress au travail signé le 2 juillet 2008 pour comprendre la complexité de l’analyse des sources de ce problème et la difficulté de réduire les enjeux d’une expertise CHSCT sur un tel sujet à une simple question de certification.

  • La substitution de cette procédure d’agrément par une simple accréditation de la COFRAC risquerait donc d’entraîner une baisse du niveau de qualité minimum exigés des experts et, partant, de la crédibilité des rapports vis-à-vis des Juges, c'est-à-dire de leur « effet utile ». A terme, c’est la remise en question de la légitimité mêmes des expertises CHSCT qui risque un jour de se poser, et même celle du rôle des CHSCT qui risquent de se retrouver dans la position de lampiste qu’ils occupaient il y a une dizaine d’année. Une telle évolution n’est pas acceptable au regard de la tendance actuelle du droit du travail, qui tend indéniablement vers un reflux des prérogatives économiques des institutions représentatives du personnel au profit de la sauvegarde d’un « pré carré » en matière d’hygiène, de sécurité, et de condition de travail.

 

Il existe d'autres pistes pour améliorer le système


Les expertises CHSCT dérangent certes encore de nombreux employeurs, mais pas tous : d’autres ont parfaitement saisis, comme l’ont mis en valeur certains exemples récents, le rôle de vecteur de régulation des rapports sociaux que pouvait jouer le CHSCT, s’il était utilisé à bon escient comme une instance de dialogue et non de confrontation. Dans une telle optique, l’expertise CHSCT peut constituer une source d’avancées importantes si elle est utilisée comme un instrument d’information de qualité, « d’expertise ».

L’expertise CHSCT redonne en effet tout d’abord la parole aux salariés (par l’intermédiaire d’entretiens hors présence de l’employeur et par des mises en action concrètes) et à leurs représentants. Elle permet ainsi d’identifier sans tabous, par l’analyse de l’expert, les sources des difficultés ou des situations de crise que la direction ne pouvait pas, ou ne voulait pas, appréhender clairement. Elle ouvre de nouveaux espaces de discussion dans la mise en œuvre d’une politique de prévention efficace, qui ne bénéficie d’ailleurs pas seulement aux salariés, mais aussi indirectement à l’entreprise en raison de la diminution de l’absentéisme, du turn over, de l’augmentation de la qualité, de l’implication des salariés, etc.

  • Ce n’est cependant là aussi pas un secret que de dire que les expertises CHSCT ne sont pas toutes de la même qualité, et que l’on a pu constater, ça et là, quelques insuffisances, et même quelques abus.


Mais c’est par une augmentation des standards exigés que se situe la réponse, non par un abaissement par une réforme à la petite semaine. Ce sont ces conditions de renforcement qui devraient faire l’objet de discussions avec les partenaires sociaux sous l’égide du gouvernement, non celles de leur démantèlement.

  • D’autres réformes pourraient aussi être envisagées, notamment celles de l’institution d’un véritable CHSCT central lorsqu’il existe plusieurs CHSCT, en particulier dans le domaine de l’expertise pour projet important (par exemple, la mise en œuvre d’un nouvel outil de travail ou de nouvelles méthodes de travail communs aux différents établissements). Lorsqu’un tel projet est de nature transversale, et qu’il concerne de nombreux CHSCT, il est bien souvent inutile de multiplier le nombre d’expertises par le nombre de CHSCT. On pourrait donc envisager pour de tels cas une expertise unique au niveau d’un CHSCT central, avec une faculté subsidiaire de désignation par les CHSCT locaux en cas d’inaction de ce dernier.


Loïc Lerouge avait relevé il y a quelques années, dans sa thèse intitulée « la reconnaissance d’un droit à la protection de la santé mentale au travail » (LGDJ, juin 2005), que « il serait… souhaitable d’envisager le concours d’experts en psychiatrie ou en psychologie du travail. La reconnaissance par le Code du travail de la santé mentale rend leur intervention indispensable au sein du CHSCT. La prévention des risques d’ordre psychique doit être abordée par de véritables experts en santé mentale. ». L’évolution de la jurisprudence depuis lors pour « risque grave » a répondu en grande partie à cette attente. Il subsiste toutefois, en raison de la position actuelle de la Cour de Cassation, un manque d’unité des juridictions de fond dans l’appréciation des conditions d’ouverture de l’expertise, qui ne concerne d'ailleurs pas seulement les expertises pour souffrance morale au travail. Cela est peut-être dû au climat, mais l’on peut tout de même constater, malgré d’heureuses exceptions, le développement d’une jurisprudence d’Oc et d’une jurisprudence d’Oïl qui ne sont guère compatibles. Il serait donc peut-être temps, là aussi, que la Cour de Cassation reprenne la main dans un but unificateur.

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